Vient de paraître :
La Matière hagiographique de Bretagne a été soumise à des influences multiples tout au long de son histoire. Un apport vrai-semblablement notable, mais difficilement évaluable, concernant la composition des Vies des saints bretons dans ce foyer de langue brittonique, a consisté dans le recyclage d’anciennes traditions orales celtiques, remontant à des mythes et rites préchrétiens, qui, toujours plus dépouillées au fil du temps de leur ancienne portée religieuse et culturelle, avaient pu être mises par écrit et toilettées par des lettrés chrétiens, ou continuaient de figurer dans les répertoires des conteurs bretons armoricains, mais aussi corniques, gallois ou bien encore ceux d’Irlande, de Man et d’Ecosse.
Cet apport n’est pas toujours évident à identifier, du fait que notre connaissance des anciennes mythologies des sociétés celtiques est largement fragmentaire; du fait aussi que ces biogra-phies de saints et les chroniques de leurs miracles sont en général des oeuvres composites et hybrides que les hagiographes ont élaborées en combinant données historiques et motifs littéraires puisés aussi bien à des thèmes épiques, folkloriques que bibliques ou d’autres fonds hagiographiques antérieurs, et en les adaptant avec une grande liberté au système de valeurs de la société de leur temps. Il en résulte qu’il est souvent plus aisé d’authentifier un petit substrat celtique en cours de narration que d’affirmer la structuration d’un personnage ou d’une Vita entière à partir du décalque d’un ancien mythe celte. Il n’est pas moins délicat de tenter d’évaluer le caractère volontaire de l’emprunt, de compren-
dre s’il était détenu de première ou d’énième main, d’identifier sa source de provenance - parfois une autre oeuvre hagiographique -, de savoir s’il fut motivé par un objectif religieux précis, enfin de jauger la part de ‘resémentisation’, d’adaptatio christiana qu’il contenait.
On l’aura compris, le thème Hagiographie bretonne et mythologie celtique est périlleux, épineux, et a toujours cristallisé bien des débats entre hagiologues sourcilleux et celtisants hyper-spéculatifs. Il n’en demeure pas moins d’un formidable intérêt pour la compréhension de la littérature hagiographique bretonne et la connaissance des anciennes croyances païennes. Il méritait bien qu’un ouvrage tente une mise à jour de l’état de cette question, et peut-être la renouvelle par le biais des approches diverses de la recherche actuelle dans les domaines des sciences sociales et d’histoire des religions. C’est aujourd’hui chose faite avec ce livre collectif rassemblant une série d’essais validés par un comité scientifique. Une bonne occasion de redécouvrir sous un jour nouveau, entre autres, la légende des sept saints de Bretagne, le duo formé par saint Corentin et son anguille, et le bâton merveilleux de saint Goëznou...
SOMMAIRE
AVANT-PROPOS,
par André-Yves Bourgès ……….…………………………………… p.9
Résumé : Retour sur les diverses approches du matériel hagiographique breton développées par les historiens depuis la fin du XIXe siècle.
SAINT CORENTIN ET L’ANGUILLE DE LA FONTAINE, par Philippe Walter ………………………………………………….. p.37
Résumé : Le poisson découpé qui se régénère lui-même est l’épisode merveilleux principal de la Vie de saint Corentin (XIe siècle). Loin d’être une simple fantaisie hagiographique ou une imitation naïve des Evan-giles (Marc, 8,8), l’épisode gagne à être rattaché à la mythologie celtique après qu’on a cerné la nature exacte dudit poisson (une anguille) et l’imaginaire mélusinien qu’il engage : poisson d’abondance et poisson de science à la fois.
Mots-clés : miracle; anguille; Mélusine; abondance; conte ATU 511
SAINT GOËZNOU ET LA FOURCHE DU DAGDA,
par Valéry Raydon et Claude Sterckx ………………………. p.69
Résumé : Les auteurs se sont penchés sur l’épisode de l’hagiographie du saint bas-léonard Goëznou relatif au miracle d’arpentage qu’il accom-plit à l’aide d’un bâton merveilleux lors de la fondation de son monastère. Ils proposent de renforcer, à l’aide du comparatisme structural, le paral-lèle déjà signalé entre le bâton de Goëznou et un des principaux attributs du dieu gaélique et panceltique Dagda, et démontrer ainsi que cet épisode hagiographique a incontestablement adapté un ancien motif mythologique celtique. Le miracle de l’arpentage avec le bâton merveilleux connaissant d’autres applications hagiographiques en Armorique et à Meaux, les auteurs défendent l’antériorité et l’influence du cas mettant en scène
Goëznou. Ils avancent des arguments faisant du monastère de Langoues-nou le foyer où fut forgé ce miracle, peut-être à partir d’anciennes tra-ditions locales, et vraisemblablement entre le Xe et le XIIe siècle.
Mots-clés : saint Goëznou; saint Goulven; saint Hernin; saint Fiacre; Dagda; Sucellos; comparatisme structural; Guillaume le Breton; mini-hi; mell benniget; Goulet de Brest
LES SEPT SAINTS,
par Bernard Rio ………………………………………..……………….p.161
Résumé : Samson, Patern, Corentin, Pol-Aurélien, Tugdual, Brieuc et Malo, les saints évêques de Dol-de-Bretagne, Vannes, Quimper, Saint-Pol-de-Léon, Tréguier, Saint-Brieuc et Saint-Malo, font l’objet d’un culte septenaire en Bretagne. Ils patronnent également le Tro Breiz, en fran-çais le « Tour de Bretagne », un pèlerinage datant du Moyen âge qui connaît un regain de popularité au XXIe siècle. Les légendes populaires associées aux sept saints de Bretagne offrent une source d’étude com-plémentaire à la littérature médiévale. Elles confirment que le culte des sept saints de Bretagne véhicule des mythes celtiques. Cette dévotion peut être interprétée comme une croyance préchrétienne structurant une tradition pérégrine.
Mots-clés : Sept Saints de Bretagne; Samson; Patern; Corentin; Pol-Aurélien; Tugdual; Brieuc; Malo; Tro Breiz; Pèlerinage; Dioscures; Ju-meaux; Lug; Grande Ourse.
RAVEN ET RASIPHE : DES JUMEAUX MYTHOLO-GIQUES ?,
par Patrice Lajoye ………………………..…...………………….... p.215
Résumé : La Vie - ou plus correctement la Passion - des saints Raven et Rasiphe, deux frères donnés comme Bretons, est un texte sans aucune valeur historique, mais qui contiendrait un nombre important de motifs issus de la mythologie celtique. À l’issue d’une mise à jour du dossier
hagiographique, impliquant un examen des manuscrits et tenant compte des variantes tardives, le subtil assemblage de ces motifs est mis en évidence, assemblage qui ne permet cependant pas la recons-titution d’un mythe précis.
Mots-clés : Lugus; Nuada; bras; fontaine guérisseuse; jumeaux
LES ACTES DES SAINTS DE REDON,
par Bernard Robreau………………………………………..…….. p.229
Résumé : L’auteur des Gesta Sanctorum Rotonensium possède une solide culture antique et biblique qui dissuade souvent de rechercher des traces de celticité dans ce texte. Pourtant, plusieurs des miracles énoncés y attestent un phénomène de recyclage mythologique, notam-ment de celui de la roue apocalyptique du Jupiter celtique. Plus large-ment, l’ouvrage semble imprégné d’une certaine mémoire du calendrier et de l’idéologie royale préchrétiens, probablement parce qu’il té-moigne des ambitions de Nominoë et de ses successeurs.
Mots-clés : Calendrier; Chandelle; Foire; Nominoë; Odeur; Rayon lu-mineux; Redon; Roue; Royauté; saint Conwoïon; saint Marcellin; saint Melaine; Symbolisme numérique
MYTHES FONDATEURS DE LA CORNOUAILLE
LA QUATERNITÉ CORNOUAILLAISE - UNE
CONSTRUCTION IDÉOLOGIQUE À L’ÉPOQUE
CAROLINGIENNE EN BRETAGNE,
par André-Yves Bourgès ………………………………………... p.273
Résumé : Au nombre des mythes fondateurs de la Cornouaille - ‘mythe fondateur’ entendu ici au sens de représentation idéologique associée à un récit des origines - figure en tête de série le schéma quaternaire qui associe à trois saints tutélaires, l’évêque Corentin, l’abbé Guénolé et le moine Tugdual/Tudi, le personnage du roi Gradlon, qui n’est pas encore,
longtemps s’en faut, le souverain de la fameuse ville d’Is. C’est à Landé-vennec que cette Quaternité apparaît pour la première fois sous la plume de l’hagiographe de Guénolé, Wrdisten : son succès s’avère durable dans la production littéraire locale jusqu’au XIIIe siècle au moins; mais, dès le XIIe siècle, apparaît un concurrent sérieux, Ronan, protecteur privilégié de la dynastie comtale et dont la figure finira par éclipser loca-lement celle de Tugdual/Tudi. Ainsi, au travers de cet opportunisme hagiographique, se dévoile la véritable nature de la Quaternité cornouail-laise : loin de renvoyer à la cosmogonie celtique et au mythème des Grands sages équipolés aux quatre coins du Monde, il s’agissait avant tout de rendre compte de l’organisation politico-religieuse de la Cornouaille, telle que l’avait imposée la normalisation carolingienne. Sublimation d’une réalité attestée par les actes de la pratique, la Quaternité cornouaillaise décrite par Wrdisten témoigne sans doute également de l’imprégnation mentale de l’hagiographe par les autres schémas quaternaires développés au sein du monachisme carolingien dont Landévennec est à l’époque le phare occidental.
Mots-clés : Bretagne continentale; Cornouaille; Landévennec; mythes fondateurs; schéma quaternaire; récit des origines; monachisme; Caro-lingiens
LES MIRACLES DES ABEILLES DANS
L’HAGIOGRAPHIE BRETONNE,
par Chiara Garavaglia ……………………………………………………. p.293
Résumé : L’article se propose d’essayer de reconstituer un possible apport des littératures mythologiques celtiques à l’hagiographie bretonne et l’emprunt de certains mythèmes par la culture monastique à travers l’analyse des miracles des abeilles relatés dans les textes hagiographiques, en partant de la production hagiographique de la Bretagne continentale au haut Moyen Age.
Mots-clés : abeilles; saint Modomnoc; sainte Brigitte; saint Paul Auré-lien; sainte Gobnait; Medb; Vie de saint Paul de Léon; Wrmonoc; Gesta Sanctorum
CONOMOR ET MÉLIAU. DES MYTHES INSULAIRES
À LA LITTÉRATURE HAGIOGRAPHIQUE,
par Goulven Péron……………………………………………….….. p.317
Résumé : Les noms de Conomor et Méliau apparaissent réunis dans les Vitae de saint Mélar et de saint Malo mais aussi dans l’Historia Francorum de Grégoire de Tours. Ce dernier présente nos deux chefs bretons à la fois comme des personnages historiques et des contempo-rains. On devrait pour cela conclure assez naturellement que Conomor et Méliau sont des personnages réels évoluant au VIe siècle dans le monde politique du sud de la Bretagne. Pourtant le passage de l’Historia porte la marque de la fable, et les événements racontés par l’archevêque de Tours se superposent étrangement avec des événements historico-légendaires qui concernent, non pas la Bretagne continentale, mais le Gwynedd et la Northumbrie. Dans ces conditions on est en droit de se demander si Méliau n’est pas la matérialisation de ce côté-ci de la Manche du fameux Maelgwn de Gwynedd, et Conomor, celle d’un Dom-nonéen insulaire qui aurait cristallisé, dès la fin du VIe siècle, des légendes plus anciennes.
BUEZ LOUIS EUNIUS DIJENTIL HA PEC’HER BRAS.
UN MYSTÈRE BRETON, EN DEUX JOURNÉES,
BASÉ SUR LA LÉGENDE DU PURGATOIRE DE
SAINT PATRICK,
par Frédéric Kurzawa …………………………………………..…. p.341
Résumé : La légende du Purgatoire de saint Patrick, oeuvre du XIIe siècle, a été largement répandue en Europe au point de devenir un best-seller du Moyen Âge. Son succès lui a valu d’être traduite dans de nom-breuses langues vernaculaires. Réédité à travers les siècles, ce récit a également été adapté en Bretagne sous la forme d’un Mystère breton, en deux journées, basé sur le récit des aventures du chevalier Owein au Purgatoire de saint Patrick. Écrit dans la plus pure tradition des Mys-tères bretons et de la littérature de colportage, ce drame joué par des acteurs amateurs fait suite à un autre Mystère breton sur la vie de saint Patrick et, comme ce dernier, il fournit de précieuses informations sur
la vie des Bretons à l’époque de sa rédaction, sur leur mentalité, mais aussi sur leur manière de jouer une pièce de théâtre. La comparaison avec le Tractatus d’Henry de Saltrey permet de distinguer les éléments propres aux deux récits, mais aussi les particularités et les innovations propres à chacun d’eux.
Mots clefs : démons; drame; enfer; Louis Eunius; Mystère; Owein; paradis; purgatoire; saint Patrick; vision
INDEX, …………………………………………………………………… p.369
BIBLIOGRAPHIE, …………………………………………………… p.381