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Voyage dans l'au-delà : les Bretons et la Mort, Bernard Rio

A voir : 

http://www.youtube.com/watch?v=Bjr1FlIG8Yg&feature=c4-overview&list=UUoARnnA96FMEkaE1_Z3QXbQ


Entretien avec Bernard Rio

 - Qu'est-ce qui vous à pousser à écrire sur ce thème ?

Ce livre résulte d’une longue collecte de témoignages, de faits et d’images accumulés depuis une vingtaine d’années, de rencontres et d’interrogations personnelles. Mon environnement familial m’a probablement et naturellement influencé, je pense notamment aux histoires racontées par ma grand-mère originaire de Branderion qui avait la particularité de « voir », c’est-à-dire d’être avertie de la mort de ses proches. Elle racontait ses histoires sans leur conférer un caractère sensationnel car la fréquentation des morts et l’existence d’un autre monde parallèle étaient pour elle des évidences.  Plusieurs décès et obséques dans mon entourage ont également suscité des interrogations quant à la pérennité de certains rites et à la disparition de certains autres. Par ailleurs, je me suis rendu compte que les anciennes pratiques funèbres étaient de moins en moins compréhensibles tout en s’avérant de plus en plus nécessaires pour accepter l’idée de la mort, je pense par exemple à la veillée, au repas de funérailles. …Il m'importait donc de redonner du sens à ces rites et pratiques afin de les partager avec mes contemporains 

  - La mort, les rites, les pratiques funèbres est-ce plus présent en Bretagne que dans d'autres régions de France ? 

Il existe en Bretagne des relations singulières avec la Mort que je n’ai observées nulle part ailleurs. Outre le personnage de l'Ankou, avatar du dieu celte Ogmios, il y a le bag noz, c'est-à-dire la barque des morts dont Procope cite déjà l'existence au Ve siècle. De même les anaon, "âmes errantes", les saints Diboan, Abibon, Tu-pe-tu- Genefort qui sont les avatars d'un autre dieu celte Sukellos et sont invoqués à la vie et à la mort. La liste de ces particularismes est longue, pour ne citer qu'un dernier exemple : Kidu, le chien noir dans lequel le recteur de Bégard enfermait les âmes damnées et qu'il menait pour le noyer dans le Yeun Ellez, le marais de Brasparts...  

Paradoxalement, ces relations qui perdurent sont de moins en moins acceptées par une société à la fois laïque et hygiéniste, où la part du sacré et de l’irrationnel est perçue comme un atavisme rétrograde. Ainsi l’existence du mell beniguet, le marteau bénit utilisé dans le pays vannetais pour libérer l’âme du défunt a été considéré comme une pratique barbare à la fois par les esprits cartésiens et le clergé catholique… Or cette pratique originale subsiste au Vatican avec l’usage d’un petit marteau en argent utilisé par le camerlingue pour déclarer la mort du pape, de même les brahmanes vont pratiquer l’ouverture du 7e shakra du défunt avec un marteau symbolique avant de procéder aux funérailles. Cet exemple est révélateur de la complexité culturelle des rites funèbres en Bretagne. C’est à la fois la dimension symbolique des rites et la permanence des pratiques dans la Bretagne contemporaine que j’ai voulu d’abord étudier puis partager publiant cette enquête.

 - La Toussaint n'est pas une fête bretonne ?

La Toussaint est effectivement une fête chrétienne qui a été superposée à une fête celtique connue des anciens Celtes : Samain. C'est au VIIe siècle que la fête de la Toussaint a été instaurée. Il ne s'agit pas d'une fête des morts mais l'usage ancien de célébrer les défunts à cette occasion a conduit le pape Boniface IV  à créer la fête des défunts, le 13 mai 610, à l’occasion de la dédicace de l’église Sainte-Marie-et-des-Martyrs au lieu et place du Panthéon à Rome. Ce n'est qu' au IXe siècle que le pape Grégoire IV s'est finalement résolu à accepter le culte rendu aux morts les 1er et 2 novembre et donc à christianiser ces fêtes païennes. 

 
Vous parlez de nouveaux rites funéraires et signes funèbres, quand sont-ils apparus et pourquoi à votre avis ?
 
Le monde évolue, mais, sur l’échelle du temps, ce que nous appelons autrefois n’est que l’instant d’hier. Aujourd’hui, les Bretons poursuivent les  dévotions sur les tombes, continuent de croire et de voir les « âmes errantes »  les Anaon,  le « messager de la mort » l’Ankou se manifeste toujours ainsi qu’en attestent des témoignages récents collectés dans toute la Bretagne. 
Les intersignes peuvent désormais se manifester par le biais de la technologie : téléphone, ordinateur, appareil photo numérique… Les morts savent s’adapter aux modes des contemporains, ainsi l’auto-stoppeuse fantôme qui est apparue en Bretagne  voilà une vingtaine d’années peut être considérée comme une variante moderne de la dame blanche !
Les rites, les pratiques et les phénomènes « surnaturels » perdurent donc. Ils s’inscrivent certes dans un continuum, mais il importe aussi de redonner un sens à cet ensemble de croyances qui ne relève pas de la fiction ou de la psychiatrie, de retrouver une cohérence à la fois cultuelle et spirituelle qui ne s’apparente nullement à un sensationnalisme. 
 
Pensez-vous que ces histoires ne concernant que les anciennes générations ?
 
Non, il suffit d’écouter les jeunes d’aujourd’hui et d’observer leur intérêt pour les histoires surnaturelles, notamment les séries télévisées traitant de vampires et autres   sorcières. Les nouvelles générations naviguent entre la réalité du quotidien et la virtualité des jeux sur internet et du cinéma. Mais les pratiques et croyances des Bretons sont bien plus complexes que la matière exploitée par la littérature fantastique ou les séries télévisées qui confondent, dans un même bric à brac puéril, fantômes, esprits, spectres, vampires et démons. L’autre monde n’est pas peuplé de figurants et de chimères qui disparaissent en fumée après un signe de croix. Il ne suffit pas d’une aspersion d’eau bénite pour éloigner l’âme en peine, pour protéger le vivant et pour refermer la porte au passage de l’âme. 
Au XXIe siècle, le passage de l’au-delà reste ouvert, dans un sens et dans l’autre. Cette simple perspective relativise les signes de désagrégation de la pensée contemporaine.
Certes, les hommes ne décèdent plus à leur domicile, les défunts ne sont plus inhumés au centre du village, l’incinération devient de plus en plus “tendance”, l’Église catholique n’est plus la vigie morale de la société  moderne… Tous ces changements voire cette perte de repères désorientent les vivants et les morts, mais l’oubli et la relégation des trépassés ne sont que des échapatoires, des dénis intellectuels pour celui qui refuse de dépasser la dualité et se limite à ce que saint Bernard appelait « l’homme charnel ». La Mort n’est pas une légende pour répondre un siècle plus tard à Anatole Le Braz, auteur en 1893 de la fameuse  légende de la mort.
 
 
Voyage dans l'au-delà : les Bretons et la Mort, Bernard Rio, éditions Ouest-France 2013

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