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  • Le cul bénit entretien avec Bernard Rio

    Entretien avec Bernard Rio

    - Après votre ouvrage sur les Bretons et la Mort, « Voyage dans l’au-delà » publié en septembre aux éditions Ouest-France, voici que parait en cette fin d’année « Le cul bénit, amour sacré et passions profanes » aux éditions Coop Breizh. N’est-ce pas paradoxal d’écrire sur des thèmes aussi différents ?

    J’ai écrit plusieurs ouvrages qui traitent du patrimoine et de l’environnement avec toujours en filigrane la question de la nature humaine et des relations que l’homme entretient avec la nature. Ces deux derniers livres ponctuent de longues années de recherches et d’études. Ils s’inscrivent dans une même démarche intellectuelle que je pourrai résumer comme une double tentative de réconcilier d’une part les trois plans de l’homme : le corps, l’esprit et l’âme ; et d’autre part d’appréhender les rapports entre l’individu, le couple et la communauté. Dans cet ouvrage, j’analyse les diffférents thèmes érotiques représentés sur les monuments religieux, que ce soit les seins sculptés sur les allées couvertes du néolithique ou les phallus dans les chapelles en Bretagne.

     

    - Ce livre représente combien d'années de travail ?

    Autant que je me souvienne, j'ai dû photographier une première scène au milieu des années "quatre-vingt" dans une chapelle du Morbihan, mais c'est à partir de 2005 que je me suis vraiment interrogé sur le sens de ces motifs récurrents dans l'art sacré. 

    Dans un premier temps, je n'avais pas l’intention d’écrire un livre. Je n’en avais d’ailleurs pas la matière. Mon but était personnel, je cherchais simplement une ou des réponses aux questions que je me posais sur la présence de ces sculptures et fresques bien peu conformes à l’orthodoxie catholique.

    L'accumulation des images dans les chapelles était telle que ce ne pouvait pas être un motif anecdotique. L’idée la plus communément énoncée pour expliquer ces scènes érotiques, à savoir la dénonciation de la luxure pour édifier les fidèles ne me convenait pas davantage qu’une hypothétique volonté licencieuse du sculpteur. Ainsi l'homme au phallus (page 131) est-il visible de tous dans l'église Saint-Jean de Le Croisty (56) tandis que ce n'est pas le cas de la femme qui dévoile son sexe dans l'église Saint-Gilles à Malestroit (56), laquelle est sculptée sur une sablière de la travée nord... Pour édifier, il faut montrer or certaines scènes sont cachées ou placées hors du regard du visiteur. A contrario, pour prendre le contrepied de la morale puritaine tout en évitant la censure, l'artiste doit dissimuler son oeuvre or certaines scènes érotiques sont visibles de tous !

     

    - Le cul bénit, le titre de votre livre résonne comme une provocation !

    Je dirai que ce titre fonctionne d’abord comme une interrogation pour suggérer ensuite une réconciliation entre la chair et l’esprit. Beaucoup de personnes confondent la religion et l’église, la morale et le puritanisme. Or le sanctuaire a été conçu par les batisseurs comme un lieu de rencontre entre la terre et le ciel, un lieu d’harmonie pour que l’homme intègre un plan divin. 

    Il n’y a pas à mon avis à séparer le profane et le sacré. Il convient au contraire de requalifier le plaisir de la chair pour célébrer Dieu sur le modèle des temples hindous par exemple. L’amour charnel peut aussi s’avérer spirituel !

     

    - Peut-on vraiment parler d’une continuité religieuse depuis le néolithique ?

    L’originalité de la Bretagne est de posséder une amplitude historique et une multitude de sources depuis la préhistoire.

    Sur une longue durée, il apparaît que l’homme cherche avec constance les moyens de s’unir à Dieu, que ce soit la Grande Déesse dont les attributs ornent les allées couvertes, les personnages de la sirène ou de la fée, ou encore la sainte Vierge, sainte Anne, sainte Brigitte ou les autres saintes dites à la quenouille. Ce principe féminin est corroboré par son pendant masculin et les représentations ithyphalliques visibles sur les mégalithes, les stèles de l’âge du fer, les chapiteaux romans ou les sabllières de la renaissance. 

     

    - Le postulat de votre livre est que le sanctuaire chrétien aurait conservé les traces de cultes antiques.

    Oui, je l’explique dans cet ouvrage avec le décryptage de plusieurs sites par exemple à Gouézec (29) ou à Rimou (35). Les bâtisseurs du Moyen Âge et les sculpteurs de la Renaissance ont légué un puzzle de scènes dont on ne peut comprendre le sens si on ne cherche pas à interpréter l’ensemble du décor. Le langage des bâtisseurs n’est ni désinvolte ni inintelligible. Isoler une scène érotique d’un ensemble que ce soit par voyeurisme ou par puritanisme, tel l’homme en érection à la croisée du transept de l’église Saint-Jean de Le Croisty (56) où la femme qui dévoile son sexe dans le porche de la chapelle Notre-Dame du Tertre à Chatelaudren (22),c’est tronquer et trahir un schéma symbolique cohérent.

    - Pouvez-vous développer un de ces exemples ?

    Prenons le cas de la dame à la quenouille. C’est à la fois une allégorie de la fileuse du temps qet une représentation de la féminité.

    La dame s’arme littéralement de la quenouille, outil phallique, pour attraper la queue du renard lui ayant volé une saucisse sur une sablière de la chapelle de Krenenan à Ploërdut (56) et de la chapelle de La-Trinité à Cléguerec (56). Le renard ne représente pas seulement le voleur par excellence. Il est aussi celui qui aime les filles. Le renard à deux pattes, « louarn a daou droad » en breton est le coureur de jupons. La dame à la quenouille qui attrape la queue du renard dévorant une saucisse est donc un enchaînement symbolique à plusieurs sens ! C’est en effet lors de la fête des Fous et des carnavals que saucisses et boudins étaient distribués et engloutis par la foule qui entonnait des chants obscènes et mimaient des accouplements lors de danses effrénées.

    Cette interprétation licencieuse de la femme à la quenouille tirant la queue du renard mangeant une saucisse vaudrait également pour une autre version de la dame qui attrape la queue du cochon qui tient entre ses dents la cheville d’un tonneau. Dans l’église Saint-Thomas à Landerneau (29), la dame assise par terre les jambes écartées tient sa quenouille de la main droite et la queue du cochon de la main gauche… tandis qu’un homme s’arc-boute derrière elle en lui tirant les tresses de sa chevelure. Les tresses étant une des marques de la prostituée, le commentaire est aisé. La scène est sans équivoque si on veut bien ouvrir les yeux. Car le tonneau en perce c’est évidemment la femme qui perd sa virginité. Le cochon a tiré la cheville de bois pour s’amuser…L’expression : « Fest an ibil sonn », « le festin de la cheville dressée » signifie une partie de jambes en l’air !

     

    Le cul bénit, amour sacré et passions profanes, Bernard Rio, éditions Coop Breizh, 200 pages, 25 euros

  • Voyage dans l'au-delà : les Bretons et la Mort, Bernard Rio

    A voir : 

    http://www.youtube.com/watch?v=Bjr1FlIG8Yg&feature=c4-overview&list=UUoARnnA96FMEkaE1_Z3QXbQ


    Entretien avec Bernard Rio

     - Qu'est-ce qui vous à pousser à écrire sur ce thème ?

    Ce livre résulte d’une longue collecte de témoignages, de faits et d’images accumulés depuis une vingtaine d’années, de rencontres et d’interrogations personnelles. Mon environnement familial m’a probablement et naturellement influencé, je pense notamment aux histoires racontées par ma grand-mère originaire de Branderion qui avait la particularité de « voir », c’est-à-dire d’être avertie de la mort de ses proches. Elle racontait ses histoires sans leur conférer un caractère sensationnel car la fréquentation des morts et l’existence d’un autre monde parallèle étaient pour elle des évidences.  Plusieurs décès et obséques dans mon entourage ont également suscité des interrogations quant à la pérennité de certains rites et à la disparition de certains autres. Par ailleurs, je me suis rendu compte que les anciennes pratiques funèbres étaient de moins en moins compréhensibles tout en s’avérant de plus en plus nécessaires pour accepter l’idée de la mort, je pense par exemple à la veillée, au repas de funérailles. …Il m'importait donc de redonner du sens à ces rites et pratiques afin de les partager avec mes contemporains 

      - La mort, les rites, les pratiques funèbres est-ce plus présent en Bretagne que dans d'autres régions de France ? 

    Il existe en Bretagne des relations singulières avec la Mort que je n’ai observées nulle part ailleurs. Outre le personnage de l'Ankou, avatar du dieu celte Ogmios, il y a le bag noz, c'est-à-dire la barque des morts dont Procope cite déjà l'existence au Ve siècle. De même les anaon, "âmes errantes", les saints Diboan, Abibon, Tu-pe-tu- Genefort qui sont les avatars d'un autre dieu celte Sukellos et sont invoqués à la vie et à la mort. La liste de ces particularismes est longue, pour ne citer qu'un dernier exemple : Kidu, le chien noir dans lequel le recteur de Bégard enfermait les âmes damnées et qu'il menait pour le noyer dans le Yeun Ellez, le marais de Brasparts...  

    Paradoxalement, ces relations qui perdurent sont de moins en moins acceptées par une société à la fois laïque et hygiéniste, où la part du sacré et de l’irrationnel est perçue comme un atavisme rétrograde. Ainsi l’existence du mell beniguet, le marteau bénit utilisé dans le pays vannetais pour libérer l’âme du défunt a été considéré comme une pratique barbare à la fois par les esprits cartésiens et le clergé catholique… Or cette pratique originale subsiste au Vatican avec l’usage d’un petit marteau en argent utilisé par le camerlingue pour déclarer la mort du pape, de même les brahmanes vont pratiquer l’ouverture du 7e shakra du défunt avec un marteau symbolique avant de procéder aux funérailles. Cet exemple est révélateur de la complexité culturelle des rites funèbres en Bretagne. C’est à la fois la dimension symbolique des rites et la permanence des pratiques dans la Bretagne contemporaine que j’ai voulu d’abord étudier puis partager publiant cette enquête.

     - La Toussaint n'est pas une fête bretonne ?

    La Toussaint est effectivement une fête chrétienne qui a été superposée à une fête celtique connue des anciens Celtes : Samain. C'est au VIIe siècle que la fête de la Toussaint a été instaurée. Il ne s'agit pas d'une fête des morts mais l'usage ancien de célébrer les défunts à cette occasion a conduit le pape Boniface IV  à créer la fête des défunts, le 13 mai 610, à l’occasion de la dédicace de l’église Sainte-Marie-et-des-Martyrs au lieu et place du Panthéon à Rome. Ce n'est qu' au IXe siècle que le pape Grégoire IV s'est finalement résolu à accepter le culte rendu aux morts les 1er et 2 novembre et donc à christianiser ces fêtes païennes. 

     
    Vous parlez de nouveaux rites funéraires et signes funèbres, quand sont-ils apparus et pourquoi à votre avis ?
     
    Le monde évolue, mais, sur l’échelle du temps, ce que nous appelons autrefois n’est que l’instant d’hier. Aujourd’hui, les Bretons poursuivent les  dévotions sur les tombes, continuent de croire et de voir les « âmes errantes »  les Anaon,  le « messager de la mort » l’Ankou se manifeste toujours ainsi qu’en attestent des témoignages récents collectés dans toute la Bretagne. 
    Les intersignes peuvent désormais se manifester par le biais de la technologie : téléphone, ordinateur, appareil photo numérique… Les morts savent s’adapter aux modes des contemporains, ainsi l’auto-stoppeuse fantôme qui est apparue en Bretagne  voilà une vingtaine d’années peut être considérée comme une variante moderne de la dame blanche !
    Les rites, les pratiques et les phénomènes « surnaturels » perdurent donc. Ils s’inscrivent certes dans un continuum, mais il importe aussi de redonner un sens à cet ensemble de croyances qui ne relève pas de la fiction ou de la psychiatrie, de retrouver une cohérence à la fois cultuelle et spirituelle qui ne s’apparente nullement à un sensationnalisme. 
     
    Pensez-vous que ces histoires ne concernant que les anciennes générations ?
     
    Non, il suffit d’écouter les jeunes d’aujourd’hui et d’observer leur intérêt pour les histoires surnaturelles, notamment les séries télévisées traitant de vampires et autres   sorcières. Les nouvelles générations naviguent entre la réalité du quotidien et la virtualité des jeux sur internet et du cinéma. Mais les pratiques et croyances des Bretons sont bien plus complexes que la matière exploitée par la littérature fantastique ou les séries télévisées qui confondent, dans un même bric à brac puéril, fantômes, esprits, spectres, vampires et démons. L’autre monde n’est pas peuplé de figurants et de chimères qui disparaissent en fumée après un signe de croix. Il ne suffit pas d’une aspersion d’eau bénite pour éloigner l’âme en peine, pour protéger le vivant et pour refermer la porte au passage de l’âme. 
    Au XXIe siècle, le passage de l’au-delà reste ouvert, dans un sens et dans l’autre. Cette simple perspective relativise les signes de désagrégation de la pensée contemporaine.
    Certes, les hommes ne décèdent plus à leur domicile, les défunts ne sont plus inhumés au centre du village, l’incinération devient de plus en plus “tendance”, l’Église catholique n’est plus la vigie morale de la société  moderne… Tous ces changements voire cette perte de repères désorientent les vivants et les morts, mais l’oubli et la relégation des trépassés ne sont que des échapatoires, des dénis intellectuels pour celui qui refuse de dépasser la dualité et se limite à ce que saint Bernard appelait « l’homme charnel ». La Mort n’est pas une légende pour répondre un siècle plus tard à Anatole Le Braz, auteur en 1893 de la fameuse  légende de la mort.
     
     
    Voyage dans l'au-delà : les Bretons et la Mort, Bernard Rio, éditions Ouest-France 2013

  • Le cul bénit : amour sacré, passions profanes, Bernard Rio

    Le cul bénit : amour sacré et passions profanes

    Bernard Rio, préface Michel Maffesoli, édition Coop Breizh

    Parution le 7 décembre 2013 et présentation à la librairie Coop Breizh, rue Elie Fréron à Quiimper (29)

     

    Préface de Michel Maffesoli

    Des penseurs comme Nietzsche ont rendu attentif à cette « magie des extrêmes ». Manière, pour lui, de renverser les barrières établies par la bêtise philistine. Mais également force agissante d’une sagesse humaine fondée sur l’acceptation de ce qui était considéré comme le Mal. L’intérêt du livre de Bernard Rio est de montrer que , sur la longue durée, et fortement enracinée dans la vie quotidienne, ce que le moralisme "bien-pensant" nomme excès est au fondement même de tout vivre-ensemble. Telle est bien l’essentielle "leçon" que nous donne  LE CUL BÉNIT !

    G. Bataille , dans toute son œuvre, a montré la puissance de «la « dépense » dans la constitution de l’homme souverain. Cet « homme du surcroît » qui ne s’accommode pas des petitesses comptables. Sans oublier G. Deleuze : « nous nous servons de l’excédent pour inventer de nouvelles formes de vie ». Même si cela n’est pas conscientisé ou verbalisé en tant que tel, c’est bien ce souci d’un qualitatif qui semble prévaloir dans la vie de tous les jours. Créer sa vie, créer dans sa vie. Jouir au présent de ce qui est donné à vivre. Voilà bien la sensibilité à l’œuvre dans l’élaboration de ces « lois » particulières, officieuses, souterraines mais dont l’efficace est, de plus en plus, évident.C’est bien ce que résume l’auteur lorsqu’il declare : “ l’amour charnel peut aussi s’avérer sprirituel”

    J’ai parlé, pour ma part, d’une « éthique de l’esthétique » comme un écho diffus au panache du Cyrano d' E. Rostand : « c’est bien plus beau lorsque c’est inutile ». Inutilité ambiante. Voilà bien quel pourrait être le modus operandi d’un monde que l’on n’entend plus dominer, mais dont on veut, tant bien que mal, jouir. Avec érudition et humour, B.Rio nous fait “déambuler dans les champ mégalithiques ou les chapelles” à la recherche de cette nécessaire inutilité ciment ( ethos) de tout socialité

     Ainsi que le remarquait le sage Montaigne : « les hommes aux faits qu’on leur propose s’amusent plus volontiers à en chercher la raison qu’à en chercher la vérité. Ils laissent là les choses et s’amusent à en traiter les causes » (III, 13). Avec une gradation judicieuse : "Préhistoire amoureuse", "Les Sirènes de l’amour", "Un culte pas catholique", "Le langage du corps", ce livre nous permet de rester aux choses mêmes. En ne les maltraitant pas, ne les surplombant pas, il souligne le désengagement radical vis-à-vis de l’utilitarisme du moralisme marchand.Ce qui est nommé une "juxtaposition des symboles" montre bien cette intemporelle “quête du Graal” suscité par la nostalgie de ce que je nomme  "ordo amoris".

    Par ce que B.Rio nomme "Le beau Dieu", on entre dans une "connaissance progressive" de la déité. Ainsi   l’homme peut comprendre l’ordre divin, "le contempler et contribuer à l’harmonie universelle". Ce qui renvoie à un être englobant : celui de la raison et du sensible. En d’autres termes autant la recherche de l’au-delà, d’une essence des choses a pu être le fondement d’une vision morale du monde, autant l’éthique mettra l’accent sur l’existence en ce qu’elle a d’impulsif, d’instinctuel, de pré-conscient, en bref de jouissance animale. Forme primaire ! Elan vital

    Le lecteur suivra, avec délice existentiel et intérêt de connaissance, la déambulation que propose B.Rio au travers de ces lieux saints dont il connaît la vraie signification: celle du symbole constitutive d’un éternel inconscient collectif . Ainsi l’on entrera , progressivement, dans une conception cosmogonique qu’exprime le lieu saint qui est, comme le dit bellement l’auteur « le milieu du monde… centre de communication entre le plan terrestre et le plan céleste ». Organicité du matériel et du spirituel, du bien et du mal, en un centre de l’union enrichi des contraires.

     

     

    Michel Maffesoli

    Professeur à la Sorbonne

    Institut universitaire de France

    Administrateur du CNRS

     

     

    Sommaire

    Préface Michel Maffesoli

    Introduction

    I Préhistoire amoureuse

    La grande Déesse

    Le bon Dieu

    Fuseau et quenouille

    De chair et de pierre

    Vénus au bain

    Cupidon, Éros et Guernichon

    II Les sirènes de l’amour

    Femmes à la fontaine

    Aux sources de l’amour

    Le pied du saint et la fille épinglée

    La fée et la sirène

    L’être et le paraître

    Le peigne et le miroir

    Belle de mer

    Centaure lubrique

    III Un culte pas catholique

    Scheela

    Mauvaise fille et Notre-Dame

    Sein et sainte

    Les trois seins de Gwenn

    Cul nu

    IV Le langage du corps

    Le sexe des anges

    Baiser et embrasser

    Le péché de chair

    Le chant des grenouilles

    L’évangile des quenouilles

    Le principe du mâle

    Le chien, l’androgyne et le satyre

    Le règne du petangueule, du chieur et du lèche-cul

    Un monde de fous

    Les danseurs endiablés

    Conclusion

    Lexique/Glossaire

    Index géographique

    Index des noms propres

    Index thématique

    Bibliographie

     

     

    Introduction Bernard Rio

    Le cul-bénit associe la partie cachée du corps et l’esprit bien pensant. Cet oxymore qui acoquine la chose dont il ne faudrait pas parler et la morale qu’il faudrait suivre, joue avec les mots et les concepts, en juxtaposant le derrière de l’homme et la vitrine de la religion, l’image de l’un et l’imagination de l’autre permutant aisément !

     

     

    Le cul-bénit : ces deux mots qui désignent à l’origine le paroissien si confit de dévotion qu’il en oublierait l’œuvre de chair, ce bon mot et ce gros mot qui ne vont prétendument pas ensemble, ce mot qui place les idées sous la ceinture et cet autre qui élève l’esprit, cette expression improbable, tout cela se révèle finalement pertinent pour évoquer ce que chacun peut voir ou ne veut pas voir, ce qui est caché et ignoré dans la nature et dans l’architecture, dans le cœur de l’homme et dans l’âme du monde, dans le microcosme et le macrocosme.

    En visitant les sanctuaires bretons, je sentais confusément qu’il existait une cohérence entre le lieu et l’esprit du lieu, entre la forme et la fonction. Je pressentais que l’image licencieuse ne se réduisait pas à une vulgaire exhibition. J’en ai cherché la clé dans les livres et les bibliothèques, accumulant les traités d’art sacré et effeuillant les ouvrages érotiques, ouvrant les portes des chapelles et papillonnant sur les blogs coquins. La quête fut souvent vaine, tant dans les discours orthodoxes des docteurs de l’art chrétien que dans les propos superficiels des jouisseurs. La porte s’entrouvrit une première fois en lisant la topographie légendaire de Claude Gaignebet et de Jean-Dominique Lajoux, en particulier leurs interprétations symboliques de la chapelle de Berzé-la-Ville (71) et de l’église de Commensacq (40). L’ethnologue et mythologue Claude Gaignebet redonnait du sens en raccordant l’architecture, le paysage, le calendrier, l’étymologie, le folklore et la mythologie. Il dépassait en les amplifiant les travaux d’Arnold van Gennep et Henri Dontenville. « Un site constitue, selon nous, une sorte de réseau qui, à partir des toponymes, relie les vestiges archéologiques, les fêtes calendaires, les monuments et les œuvres d’art sacré. Dans la plupart des cas, le travail de reconstitution d’un paysage mythique cohérent est aléatoire et les chaînons manquent » (Claude Gaignebet et Jean-Dominique Lajoux, « Art profane et religion populaire au Moyen-Âge » Presses universitaires de France, 1985).  En parcourant le réseau de la Bretagne sacrée, je me suis à mon tour évertué à relier les lieux et les rites. Mes yeux se décillaient, toutefois la matière qui s’offrait à mon regard demeurait hermétique, complexe, voire contradictoire et incompréhensible.

    C’est hors d’Europe et hors du champ moderne que j’eus le déclic. Je dois à Alain Daniélou de m’avoir ouvert la porte invisible. Claude Gaignebet m’avait apporté une hauteur et une amplitude de vue qui me permettaient d’englober un site, Alain Daniélou m’offrait la pratique religieuse. C’est en lisant les premières lignes de l’ouvrage qu’il consacra en 1977 au temple hindou, que je compris la nécessité de changer mon regard sur le sanctuaire breton et son décor pour les appréhender et les apprécier pour ce qu’ils devaient être. « Le temple hindou n’est pas un lieu de réunion où s’assemblent les fidèles. C’est, dans un endroit choisi pour des raisons magiques, un édifice construit dans le but de capter des influences subtiles. C’est un centre magnétique grâce auquel des prêtres, magiciens qualifiés, vont pouvoir au moyen de rites évoquer la présence réelle d’une divinité. C’est donc un centre de communication entre deux mondes qui se côtoient et s’entremêlent et pourtant s’ignorent, un peu comme un récepteur de radio permet de capter et de révéler des ondes partout présentes mais non perçues », écrit Alain Daniélou (Alain Daniélou, « Le-Temple-Hindou » éditions Buchet-Chastel, 1977). Certes le clergé séculier breton n’est plus depuis belle lurette composé de magiciens qualifiés, mais constitué d’animateurs sociaux plus ou moins motivés et moins que plus cultivés. À défaut des prêtres épris de spiritualité, il subsiste les lieux dont chacun peut chercher le sens. Chacun voit selon son degré de conscience.

    Le point de vue d’Alain Daniélou induit que le sanctuaire est une continuité du monde divin et qu’il existe « une interdépendance absolue entre ces divers aspects de ce que nous appelons l’existence, la réalité ». Partant de ce principe, j’ai adapté au sanctuaire breton les règles du temple hindou en revoyant les formes, les orientations, les dimensions, les dédicaces, le calendrier et les rites qui font de ces lieux des centres d’énergie. La présence d’une sculpture sur un chapiteau roman ou sur une sablière de la Renaissance opère dès lors que l’homme déambule dans le bon sens et élève son esprit en corollaire à son regard. A contrario, regarder sans conscience et à contresens un personnage ithyphallique ou une « sheela na gig » peut induire un basculement, une inversion, une aversion ou un envoûtement.

    Supposer que le phallus ou la vulve exposés au vu et au su de tous est un divertissement d’artisan ou une représentation du péché, c’est méconnaître la structure du sanctuaire et la pensée traditionnelle.

    Le décor n’est pas anodin. De même que les astres influent sur le règne végétal et le règne minéral, il existerait des relations subtiles entre les règnes animal, végétal et humain. Au temple et à son décor correspondraient l’homme, ses organes et ses humeurs. Le sanctuaire breton posséderait l’équivalent des chakras hindous, des seuils pour sentir et percevoir une autre dimension.

    Résultat de longues années d’errance et de tâtonnement, puis de réflexion sur le sexe et la religion, cette étude induit des retrouvailles. L’erreur serait en effet de séparer le profane et le sacré, de disqualifier l’un pour célébrer l’autre car le sujet n’est pas frivole et l’exhibition d’un cul n’aiguise pas seulement les sens physiques. L’amour charnel peut aussi s’avérer spirituel ! La voie de Dieu peut aussi emprunter le chemin des Dames. Aux grenouilles de bénitier font écho les vêpres des grenouilles.

    Ce n’est point avec des préjugés qu’il convient de déambuler dans les champs mégalithiques ou les chapelles, car l’apparence est souvent un voile qu’il faut soulever pour apercevoir, apprendre et comprendre le sens de la déesse du soir et du démon de midi. La quenouille du diable et le fuseau de la Vierge sont indissociables sur le rouet cosmique.

    Les bâtisseurs du Moyen Âge et les sculpteurs de la Renaissance ont légué un puzzle de scènes dans l’ombre de la voûte et dans la lumière du chœur, scènes dont on ne peut comprendre le sens si on ne cherche pas à interpréter l’ensemble du décor et si on sépare le motif du lieu. L’analyse symbolique est complexe. En 1908, dans son monumental ouvrage « L’art religieux de la fin du Moyen Âge en France », Émile Mâle (1862-1954) soulignait : « Au XVe siècle comme au XIIIe siècle, il n’est pas une œuvre artistique qui ne s’explique par un livre. Les artistes n’inventent rien ; ils traduisent dans leur langue les idées des autres. Pour expliquer une œuvre d’art du XVe siècle, les fines remarques de l’amateur, ses vues les plus ingénieuses ne sauraient suffire. Il ne sert à rien d’essayer de deviner, il faut savoir. Il faut trouver le livre que l’artiste a eu sous les yeux, ou, tout au moins, si l’on ne peut nommer un livre, il faut faire comprendre de quel grand travail de la pensée religieuse son œuvre est sortie. La lecture des théologiens, des mystiques, des hagiographes, des sermonnaires, du XIVe au XVIe siècle était donc une des parties essentielles de notre tâche. Cette méthode quand il s’agit de l’art du moyen âge, est la seule qui puisse être féconde : on atteint ainsi jusqu’aux sources profondes de la vie morale du temps ». L’historien de l’art avait raison mais il convenait d’y associer la mythologie et le folklore, puis d’apprendre la langue d’Hermès, ce qui suppose d’identifier le symbole et de l’articuler avec un ensemble. Le langage des bâtisseurs n’est ni désinvolte ni inintelligible. Il se réfère à une culture structurée et est un enseignement. Isoler une scène pour justifier une théorie, ce serait tronquer et trahir un schéma cohérent. L’historien de l’art ne peut faire abstraction de l’archéologie et de la mythologie dont les traces se prolongent dans les croyances populaires et le folklore. Isoler un élément, ce serait aussi négliger la comparaison et réduire le sujet à une catégorie, ainsi la représentation dans le porche sud de la chapelle Notre-Dame-du-Tertre à Chatelaudren (22) ne serait aux dires de certains qu’une personnification de la luxure ! Or, cette acrobate n’ouvre son sexe qu’au regard des seuls ignorants si envoûtés par le spectacle qu’ils en oublient de regarder autour, de suivre la chasse sculptée du porche qui métamorphose cette proie en une initiatrice matricielle tandis que les fresques intérieures offrent la perspective d’une divinité virginale associée à sainte Marguerite !

    L’originalité de la Bretagne est de posséder une amplitude historique et une multitude de sources. Il serait d’ailleurs plus judicieux d’évoquer une évolution des techniques et des formes depuis l’antiquité voire depuis la préhistoire qu’un changement structurel tant la symbolique s’inscrit dans un temps mythique. L’art d’aimer se décline à la fois dans les tracés du néolithique, dans la sculpture romane du XIIe siècle, sur les sablières du XVIe siècle, dans la légende grivoise et dans la chanson courtoise. Cet art dans les chapelles est hors du temps. Il ne relève pas uniquement d’une époque où les bâtisseurs illustraient davantage la connaissance que le savoir. Cet art est aussi étranger au dogme. Il n’appartient pas aux docteurs de la foi. Cet art est une manifestation sacrée, l’écho d’une civilisation où se conjuguent l’élan terrestre de la grande déesse honorée par le peuple des mégalithes et la flamme céleste des pasteurs indo-européens.

    La juxtaposition des symboles est en réalité une superposition et une conjugaison qui s’inscrivent dans une durée. Aux mélanges primitifs, succède le roman d’amour du XIIe siècle. La littérature courtoise et la pensée mystique puisent leur inspiration dans les sources de la mythologique celtique. La quête aventureuse du Graal bouleverse alors les codes chrétiens, pénètre dans les livres de pierre et les parchemins. La culture du moyen âge est janusienne, ce que Marie-Madeleine Davy a mis en évidence dans « Initiation à la symbolique romane » en 1977, l’année même où Alain Daniélou publiait « le temple hindou ». « L’amour de Dieu se suffit ; l’amour charnel peut se suffire. ce dernier n’est point d’ailleurs privé de signification : il s’exprime dans un ordre de beauté et de poésie. Défions-nous des esprits dévots qui risquent toujours de discerner des grimaces dans ce qui leur échappe ». (Marie-Madeleine Davy, « Initiation à la symbolique romane », éditions Flammarion 1 977)

    Il n’y a pas au Moyen Âge une opposition absolue entre le sacré et le profane. La séparation qui va apparaître et s’accentuer au cours des siècles ultérieurs pour culminer à partir du XVIIIe siècle introduit l’idée d’une dualité entre la chair et l’esprit. De cette distinction naquit une confusion intellectuelle et spirituelle où la honte, la violence et la dévotion prévalurent sur la beauté, l’équilibre et la connaissance.

    En modifiant sa façon de pensée et sa manière de se comporter, l’homme a refermé la porte du temple intérieur. Il a nié la chair ou déifié l’esprit et vice-versa, se réfugiant dans les extrêmes de la concupiscence et de la mortification, de la pulsion et de la raison. Le paradoxe du cul-bénit, qui dévoie le profane et le sacré, était né. C’est donc à un va-et-vient entre la préhistoire et les temps modernes, à des retrouvailles et des épousailles que cet ouvrage invite le lecteur et le promeneur, retrouvailles avec la chair et avec l’esprit, pour réapprendre l’amour dans les chapelles et dans les corps, pour bénir le cul et pour affranchir l’âme de l’esprit pompeux.