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    Voyage dans l’au-delà

    Publié le 1 novembre 2013 dans HistoireLecture

    Bernard Rio, spécialiste des cultures indo-européennes, nous entraîne à travers les siècles et les millénaires pour explorer les rites chrétiens de la mort.

    Par René Le Honzec.

    Voyage-au-delaDes milliers de Français vont encore une fois, rituellement, envahir les autoroutes à péages et les voies à écotaxe différée à l’occasion des fêtes de la Toussaint (1ernovembre) et de la fête des Morts (2 novembre). Beaucoup en profiteront (mais de moins en moins) pour aller se recueillir sur les tombes de parents décorées de chrysanthèmes en promo dans les grandes surfaces. Peu sauront pourquoi, déchristianisation oblige et laïcité contraint. Fixée en 835 par le Pape Grégoire IV au 1ernovembre, la fête des Morts catholique chevauche les trois nuits de Samain, fête celtique par laquelle, pendant quelques jours, les hommes ont accès à l’Autre Monde.

    C’est tout le talent de Bernard Rio, journaliste, écrivain, spécialiste des cultures indo-européennes que de survoler siècles et millénaires pour décrypter les rites chrétiens d’aujourd’hui, plus ou moins catholiques, à la lueur de la tradition. « Les Morts instruisent les Vivants » écrivit Chateaubriand. « Il y a beaucoup à apprendre en écoutant et en étudiant les morts, tandis que nier l’Au-delà n’est pas s’en affranchir » poursuit l’auteur, qui «  s’élance sur les traces d’Anatole Le Braz auquel on doit La légende de la Mort chez les Bretons Armoricains, mais en faisant œuvre d’ethnologue et d’anthropologue, car il embrasse un très large panorama » précise Claude Lecouteux, professeur émérite à la Sorbonne dans son élogieuse préface.

    Pour autant, si ce livre est savant par sa teneur, il est passionnant en sa lecture, épicée de multiples exemples et anecdotes qui illustrent  tous les stades de la mort, depuis son annonce, ou plutôt ses annonces, jusqu’au retour des Âmes errantes. Les intersignes, avertissements, messages que l’Autre Monde adresse aux vivants qui étaient autrefois familiers et aisés à décrypter sont aujourd’hui inaudibles à une société qui achète Halloween à domicile et fait mourir ses vieux ailleurs. Pourtant, en 2004, le répondeur de Lisa M., à Lorient, enregistre le message de vœux d’anniversaire de sa sœur, décédée un an auparavant. Homme de terrain autant que de livre Bernard Rio a recueilli toutes sortes de confidences, visité et photographié les lieux de mémoire, depuis les chapelles jusqu’aux tombes de dévotion, comme la « tombe à la Fille » qui fait l’objet d’un culte suivi depuis la révolution ou « le chêne à la Vierge » serti de dizaines de statuettes votives. Il remonte jusqu’aux pieds sculptés du Petit-Mont en Arzon (56), 5000 ans avt J.-C., pour expliquer le culte de Saint Mélar et les amputations rituelles. « Le rituel funèbre observé depuis plusieurs siècles sur les tombes doit être réinterprété pour retrouver toute sa superbe symbolique. Il possède plus qu’une valeur historique. Il ouvre une voie spirituelle. » Ainsi le personnage de l’Hankou, valet de la Mort, est-il relié au dieu gaulois Ogmios, et le culte des Têtes, retrouvé dans les Mabinogion gallois, fait écho aux témoignages des historiens de l’Antiquité Posidanios d’Apamée et Polybe sur les Celtes.

    Ainsi le livre est-il aussi  fortement et rigoureusement structuré à l’image du squelette de la Mort dans les danses macabres moyenâgeuses des chapelles bretonnes : l’annonce de la Mort, la Mort, le culte des Morts, l’Au-delà.

    Mais il est aussi charnu de ses multiples chapitres et histoires qui laissent un goût de vivant : le chien de l’Enfer, la roue du temps, l’arbre des morts, la barque de nuit, les aboyeuses de Josselin, les lavandières de la nuit, la lanterne des morts, l’auto-stoppeuse fantôme, les Âmes des noyés, les Passeurs d’Âme, la charrette grinçante de l’Ankou… Le « meil béniget », le « Marteau bénit », utilisé pour hâter le trépas de l’agonisant souffrant était posé sur le sommet du crâne, au point correspondant à la grande fontanelle et le 7ème chakra, pour ouvrir symboliquement la boîte crânienne afin de délivrer l’Âme. Souvent relatées comme des légendes et superstitions, ces faits ou phénomènes vous frôlent encore aujourd’hui, à vous de ressentir le frisson de l’intersigne, comme le concierge du lycée de Pontivy qui côtoie le fantôme du moine défroqué du XVIIème siècle.

    L’auteur est aussi photographe de talent et l’ouvrage fourmille d’images belles et fascinantes. Qui illustrent superbement les propos parfois étonnants : ainsi, ces Âmes en attente qui apparaissent sous formes « d’orbes » grâce au numérique. Et si vous peinez à croire que nombre d’églises et de chapelles furent construites sur des critères telluriques, penchez-vous sur les photos p.110, les « pierres des morts ». Endroit spécifique de l’édifice pour faciliter le départ de l’Âme du défunt. J’ai personnellement, en ma paroisse, détecté le réseau tellurique et constaté son utilisation pour ordonner la chapelle de Locmaria sur ses axes principaux. Oui, la « Pierre des morts », dallage particulier, matérialisait le vortex reliant par un tourbillon d’énergie les niveaux telluriques et célestes. Le défunt placé à cet endroit, le prêtre officiant à partir du vortex placé au pied de l’autel (en réalité, l’inverse : l’autel est placé devant le vortex), pouvait utiliser ce puits d’énergie comme un courant ascensionnel pour expédier l’Âme du Mort de bas en haut, au-delà du ciel, dans le cosmos.

    L’Église a oublié tout cela et renié beaucoup de ces rituels ; elle ne sait plus construire des lieux où souffle l’esprit.

    La mort n’est pas une légende. Le fantôme n’est pas un fantôme. La hantise demeure. L’Âme veille et anime l’homme intérieur tandis que le spectacle agite le monde. Au XXIème siècle, le passage de l’Au-delà reste ouvert, dans un sens comme dans l’autre. Bernard Rio n’hésite pas à convoquer au tribunal des Âmes Descartes, Saint Augustin, Einstein, Newton, Kant, le Pseudo-Denis l’Aéropagyte, Mircea Eliade, Chateaubriand, Flaubert, Arnold Van Gennep ou Ogmios. Je vous convoque aussi, amis libéraux-libertaire de l’ancienne Gaule Celtique devenue France devant cet ouvrage pour y trouver des réponses au spirituel, nous qui nous en posons tant au temporel économique sans pouvoir toujours y répondre…

    — Bernard Rio, Voyage dans l’Au-delà, Les Bretons et la mort, Éditions Ouest-France, septembre 2013, 287 pages.

  • Le Monde des Religions bis

    Les lectures de Michel Cazenave

    Un amour cosmogonique. 

    Du sexe, nous avons souvent fait, dans notre culture, un objet de « gauloiseries » (mais n’était-ce pas méconnaître ce que nos très lointains ancêtres entendaient de ce pouvoir ?), et l’évocation de nos désirs les plus obscènes. 

    Devons-nous pourtant en demeurer à cette position, et ne pas chercher ce que pouvaient signifier, autrefois, ces cérémonies à une divinité ityphallique – que ce fût par exemple avec le dieu Min en Egypte, ou encore dans la Grèce la plus classique ? En se rappelant bien qu’il s’agissait de cérémonies religieuses … 

    Or, c’est bien à un tel travail que s’est livré Bernard Rio, spécialement dans la région où l’on se serait le moins attendu à ce genre de réflexion : l’ensemble du monde celtique, et particulièrement breton, où l’on sait comme le christianisme le plus traditionnel a imprimé sa marque. 

    Et les résultats en sont étonnants : comme l’on savait déjà que c’était aux chapiteaux d’églises que l’on trouvait en Grande Bretagne des représentations de sheela-na-gig, c’est-à-dire de ces figures féminines qui offrent au regard toute l’interrogation de leurs vulves qu’elle ouvrent béantes de leurs mains, on découvre que bien des images sexuelles nous ont été transmises dans ces lieux de culte d’où l’on aurait pu croire qu’elles avaient été définitivement bannies. 

    Et, du coup, l’auteur est obligé de remonter jusqu’aux profondeurs de notre héritage indo-européen, et parfois même encore plus : jusqu’à des croyances du néo, pour ne pas dire du paléolithique, pour comprendre de quoi il est réellement question. 

    Et l’on prend alors conscience comme le sexe était d’abord conçu en ces époques comme une force cosmogonique - et que s’y livrer en revenait d’abord, d’une certaine manière, à s’inscrire dans la plus profonde harmonie de l’univers… Comment comprendre autrement tant de représentations qui ont survécu à la grande « pudeur » de l’Occident et la présence « obsédante » de phallus et de vulves qui nous parlent d’abord de l’ordre supra-humain dans lequel nous nous inscrivons ? Comment comprendre (au delà de tous les arrangements que nous en avions faits ?), la passion physique de Tristan pour la reine Iseut, ou que, jusque dans La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils (et quels que fussent les a priori idéologiques de ce dernier), on ne puisse renoncer à la fascination du sexe qu’après l’avoir totalement vécu avec une demi-mondaine ? 

    Ainsi, appuyé sur une réflexion savante et sur tant de photographies exécutées là où, souvent, on s’y serait le moins attendu, nous introduisant à un tout autre rapport au 

    monde que celui auquel nous sommes habitués, Bernard Rio nous force-t-il à nous repenser et à revisiter un domaine dont nous croyions, à tort, tout savoir. 

    Bernard Rio, Le cul bénit/Amour sacré et passions profanes, édité par Coop Breizh, et abondamment illustré, 191 pages,25 euros. 

  • Les 400 culs

    Chronique d'Agnès Giart sur le blog de Libération.fr

     

    08/01/2014

    «Epingler» l’homme de sa vie

    Nous jetons des pièces de monnaie dans les fontaines pour que nos voeux se réalisent. En Bretagne, on jette des épingles: «Je veux un amoureux.» Pourquoi ? Dans un livre débordant d’énigmes et d’images, le spécialiste du patrimoine breton Bernard Rio explore les dessous de ces étranges croyances qui se perpétuent encore, un peu, de nos jours.

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    Si vous cherchez un homme à marier, ou à aimer (soyons moderne), rien de plus facile: partez dans le Morbihan, à Augan, pour visiter la grotte de l’ermite, trouvez une fissure dans la roche et plantez-y des épingles… En 1484, un seigneur révolté s’était réfugié là, pour sauver sa tête et avait fini par goûter si fort à la vie d’anachorète qu’il s’en était fait une mission. Il s’appelait Yvon Harscouet et les gens du pays, à force de le voir repriser ses vêtements en loque devant l’entrée de la grotte, avaient fini par l’appeler Saint Couturier. L’Eglise ne l’a jamais canonisé, mais en Bretagne l’affaire est entendue: Couturier est un saint. «A sa mort, l’ermitage de Saint-Couturier devint un lieu de pèlerinage. Le peuple y plaça une petite statue, laquelle fut vénérée par les jeunes filles à marier. Les épingles, qui servaient à recoudre les vêtements du saint, devinrent des ex-voto. Les pèlerins les fichaient dans la statue et dans les interstices du rocher.»


    Bernard Rio, qui parcourt en tous sens la Bretagne depuis 1985, traquant les vestiges de cultes anciens et de lieux magiques, affirme que l’efficacité de ce rituel était reconnue jusqu’au début du 20e siècle, même dans les plus hautes sphères de la société. Le marquis de Bellevue racontait ainsi qu’en 1837 une de ses grands-tantes «avait piqué dans la grotte de Saint-Couturier trois épingles ; l’une était petite, l’autre longue, la troisième se tordit en pénétrant dans la fente du rocher. Or, dans cette même année, la main de celle qui craignait de voir sur ses cheveux blonds la coiffe redoutée de sainte Catherine (1) fut demandée par trois prétendants: un petit, un grand et un bossu». Ces superstitions n’étaient guère prisées par le clergé. En 1835, la statue de Saint-Couturier  ressemble tellement à un fétiche vaudou qu’un abbé l’enlève et, avec la complicité de deux autres prêtres, va l’enterrer au cimetière «à l’endroit réservé à la sépulture des enfants morts sans baptême.» Le peuple est privé de son objet de culte, mais qu’importe: il y a d’autres statues ailleurs.

    A Perros-Guirrec, les jeunes filles plantent une épingle dans le nez du saint, dont la statue est en bois. Si l’épingle tient, c’est bon signe: le mariage aura lieu dans l’année. Le nez du saint ne résiste pas aux dévotions intéressées des jeunes filles. En 1904, son effigie défigurée est remplacée par une statue de granite, mais en vain: des touristes «perpétuent» la coutume et la sainte face de Guirec se creuse d’année en année.
    Au Pertre, c’est dans les pieds de Saint Lénard que les épingles sont fichées. Ses orteils ressemblent à des pelotes d’épingle, signe que certaines continuent de pratiquer le rituel. Pourquoi ? Parce que les pieds, tout comme le nez, sont des symboles phalliques, répond Bernard Rio: planter une épingle dedans c’est comme «ferrer le poisson ». «Ne dit-on pas d’une célibataire qu’elle cherche chaussure à son pied? Bien avant  que l’expression «prendre son pied» ne devienne populaire, il existait dans l’Europe médiévale un culte et un fonctionnement érotique du pied». 

    Dans son livre Le Cul bénit, guide illustré de la Bretagne érotique, Bernard Rio relève encore trois autres lieux de culte similaire: A Bazouges-la-Pérouse, les filles viennent «piquer» les pieds de la statue de Saint-Mathurin et certaines visent les anfractuosités du bois afin que le message soit clair : «Je veux qu’il m’épingle.» Aux Moutiers-en-Retz et à la chapelle de Prigny, des dizaines de tiges d’acier ornent encore de nos jours les pieds de la statue de Sainte-Guénolé. Qu’il s’agisse d’une sainte ne change rien au symbolisme du rituel : cribler le pied d’une statue, c’est faire un appel du pied au destin. «Le pied, situé à l’extrêmité du corps, est l’affirmation d’une impulsion, explique Bernard Rio. Lorsqu’une jeune fille sollicite un saint (qu’il soit mâle ou femelle), elle s’attache symboliquement à ses pieds pour aller de l’avant. Ce rituel équivaut à un premier pas.» Bernard Rio note d’ailleurs que suivant un renversement symbolique, la statue de saint-Guénolé -pendant masculin de Sainte Guénolé- fait l’objet à Brest d’une vénération d’un genre plus qu’explicite : au 19e siècle, un voyageur scandalisé raconte que le bois de sa «cheville » est râpé puis avalé avec de l’eau par les femmes inféconde. Le mot «cheville» désigne le pénis et, comme le note malicieusement Bernard Rio, ce culte priapique a, jusqu’au début du 20e siècle, un succès tel que la «cheville» du saint doit régulièrement être remplacée. 

    Autre lieux de cultes bizarres : les fontaines. «L’usage le plus fréquent consiste à y jeter des épingles. A Trébabu, c’est à la fontaine de Notre-Dame du Val que les garçons et les filles se rendent pour consulter l’oracle en jetant des épingles dans le bassin. Si l’épingle flotte, c’est bon signe. Même diagnostic à la fontaine Saint-Ourzal à Porspoder, à la fontaine Sainte-Barbe au Faouët, à la fontaine de Bougès à Saint Thégonnec, à la fontaine Saint Séni à Guisseny et à la fontaine des filles à marier au Folgoët. (2)» Pour Bernard Rio, le symbolisme est transparent : tremper une épingle, c’est mélanger des principes mâles et femelles. Il en veut pour preuve quelques détails révélateurs : le nom breton de la fontaine Saint-Seni par exemple est Sant Sutig, du breton Sut, "sifflet", c’est à dire "pénis". Et dans la fontaine Sainte-Barbe, il y a une cuve de bois avec une fente : pour savoir si elles se marieront dans l’année, les filles doivent  -dos tourné au bassin- lancer une épingle dans l’eau. Si l’épingle pénètre dans la fente au fond de la cuve, les noces sont assurées ! «La jeune fille qui fait l’offrande d’épingles à la fontaine n’est plus une fillette. Elle affirme son désir d’émancipation familiale, sociale et sexuelle», conclut Bernard Rio, qui ajoute : vient alors pour elle le moment fatidique, celui qui la fait passer «de l'épingle à l'aiguille, du désir inaccompli au passage à l'acte».

    L'aiguille bisexuelle fera l'objet de mon prochain article. Rendez-vous lundi.

    "Le cul bénit, amour sacré et passions profanes", de Bernard Rio, préface de Michel Maffesoli, éditions Coop Breizh, 25 euros.

    (1) Elle craignait de rester vieille fille. La coutume veut en effet que le 25 novembre, en hommage à leur sainte patronne - Sainte Catherine - on célèbre la fête des vierges (filles à marier ou vieilles filles) et la fête des couturières en allant, si l'on n'est pas fiancée, poser un voile sur la tête de la statue afin de s'en attirer les faveurs. Le voile est nuptial, bien sûr. Et il faut le faire tenir avec des épingles. Toutes les filles à marier, selon l'expression "coiffent Sainte Catherine" mais passé un certain âge, il y en a qui deviennent définitivement coiffées. 

    (2) Il y a encore un autre endroit pour trouver le vit de son âme et l'homme de sa vie… Entre le port et la côte de la commune Le Croisic (Loire-Atlantique à 28 km à l’ouest de St-Nazaire) se trouve la chapelle Saint Goustan. Près de cette chapelle, il y a un rocher dont on dit que s’y trouve l’empreinte d’un corps. Les femmes célibataires lançaient autrefois des épingles vers une fissure de ce rocher. «Si elles réusissaient du premier coup à en ficher une, elles se marieraient dans l’année, sinon, il leur fallait attendre autant d’années qu’elles avaient dû jeter d’épingle.» Même chose à Plouvien (Finistère) : la fontaine sacrée de la chapelle Saint-Jean-Balanant est longtemps réputée pour indiquer aux filles quand leur voeu de mariage sera exaucé : si l’épingle qu’elles y jettent surnage, ce sera dans l’année. (source: Guide des lieux insolites et secrets de Bretagne, par Alain Dag'Naud).

  • Le salon littéraire

    Chroniques d'Anne Bert dans Le Salon littéraire et sur le blog impermanence

     

    Haut les culs, hauts les cœurs,  Le cul bénit c’est  une quête du Graal, le sexe principe d’amour, fût-il divin.

     

     

    Les belles épousailles que voilà en terre bretonne !   Le titre Cul bénitoxymore qui acoquine la chose dont il ne faudrait pas parler et la morale qu’il faudrait suivre, comme le dit joliment  l’auteur, sied à merveille à ce beau livre qui réconcilie les bas morceaux du corps avec le très haut esprit saint  en nous invitant  à changer notre regard  sur les représentations canailles qui ornent les édifices religieux de la région.

     

    Bernard Rio refuse de décrypter les scènes érotiques avec une vision religieuse ou moraliste, ou même  exhibitionniste, non, ces sexes érigés  et ces culs ouverts ne sont pas là pour effaroucher les bonnes âmes et les dévots ou ravir les voyeurs. Le sexe et ses plaisirs sont aussi un chemin qui mène à Dieu et il faut pour  aller chercher au-delà du christianisme, lever le voile pudibond.

     

    L’auteur ôte  donc les œillères  de la bienséance et  cherche  une connexion pour comprendre le sens de cette débauche de sexes et de chair tentatrice,  il ne se focalise pas sur ce qui fascine l’œil, il embrasse l’ensemble des scènes, il interroge  les  lieux, les paysages, l’architecture, la mythologie, les fêtes calendaires, l’étymologie, bref  il lui faut retrouver toutes les pièces du puzzle pour  débusquer le sens de cette imagerie érotique et pornographique qui  envahit porches et calvaires de la Bretagne.

     

    Ce spécialiste de l’environnement et du patrimoine  s’est  livré  à un travail historique de fourmi.  Il dit en préambule avoir  épuisé les traités d’art sacré et les ouvrages érotiques sans trouver réponse. Alors il a franchi les frontières  et c’est un ouvrage d’ Alain Daniélou  sur les temples hindous qui lui a donné une clef : ces lieux de culte  sont des endroits choisis pour des raisons précises, des lieux magnétiques,  magiques,  de véritables centres de communication entre deux mondes qui se méconnaissent et qu’il faut réunir, le visible et l’invisible. 

     

    B.Rio  transpose cette vision des choses aux sanctuaires bretons et ne voit plus dans une vulve exhibée une provocation ou un objet de péché.

     

    Ainsi, dit notre auteur, La voie de Dieu peut aussi emprunter le chemin des Dames…

     

    Nous voici donc  embarqués pour  plusieurs millénaires  d'amour et de désir après que notre guide nous a présenté  la grande Déesse et ses signes symboliques, vulve ouverte, sein,  fesses, lune, soleil et la fertilité, et le  Bon Dieu et son phallus (donc dressé), son homologue masculin.

     

    Les présentations faites, il s’agit d’ouvrir son champ de vision et de ne jamais se contenter de regarder le détail pornographique ou évoquant le sexe, ce qui est tentant il est vrai, tant l’iconographie  choisie  est  étonnante. Mais l’auteur  au regard affûté ne nous laisse pas gamberger, le contexte  historique est  décortiqué dans cette invitation à remonter le temps.

     

     

    Le livre est impossible à résumer tant le propos est soigneusement fouillé pour chaque sculpture sur laquelle s’arrête l’auteur.  Alors pêle-mêle quelques images récurrentes :  au chapitre 2, Les sirènes et l’amour, s’intéresse à ce que les fontaines disent de la féminité, ces portes d’un autre monde décrites  par Chrétien de Troyes, et qui ont donné corps à de si nombreuses légendes, telles celles des jeunes filles et des épingles avec leur symbolique sexuelle.  Dans le chapitre 3, la figure de la sirène  nue   ou  toujours seins nus est diabolisée et opposée à La Sainte Vierge désexualisée (ses seins servent à nourrir) ;   cette sirène  est[..parfois dotée d’une double queue, elle fait le grand écart pour offrir son sexe au regard et susciter le désir..] telle Sheela, l’irlandaise (Chapelle Notre Dame-du- Tertre à Chatelaudren). L’église a dû faire bonne figure avec cette diablesse parce qu’elle est omniprésente.

     

    B. Rio donne à chaque fois très précisément le lieu se trouvent les représentations qu’il mentionne mais c’est dommage qu’il n’ait pas inclus en fin d’ouvrage  une carte de la région les répertoriant, ce qui 

     

    permettrait d’organiser un périple breton réjouissant pour aller rendre hommage au phallus à clochette et à pattes à Langolin,  méditer à  Brasparts en compagnie  de cette sculpture pensive qui empoigne son sexe en érection , déchiffrer la présence du phallus dans la gueule du chien à Gourin, imaginer les scènes de carnaval face à la dame  les jambes écartées  tenant une  quenouille de la main droite et la queue du cochon de la main gauche… et  cheminer  ainsi de fous en  pétangueules, de cornus  en lèche-cul,  jusqu’aux  autres  innombrables sculptures si bavardes pour peu qu’on veuille bien les écouter.

     

     

    Après avoir refermé ce livre, on ne pourra plus s’arrêter  devant un sanctuaire sans avoir envie de faire son  propre jeu de piste à la recherche de toutes les composantes  qui justifient  le lieu de culte et  ses ornements, en gardant toujours à l’esprit que ces endroits  rassemblent et invitent au vivre ensemble  dans l’harmonie.  Et  surtout que  les plaisirs charnels ne sont pas un péché.  L’érotisme, pour ne pas dire le cul,  est assurément le premier pas vers  Dieu… le Bon Dieu … la Grande Déesse… Bel ode à la vie, non ?

     

    Anne Bert

     

    Le cul bénit- Amours sacrés et passions profanes - Bernard Rio - 190 pages -  éditions Coop Breizh-  oct 2013 -  25 €

     

     

    Le cul bénit de Bernard Rio

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    Si vous êtes féru d’art, d’érotisme, d’ histoire avec un grand H ou pas, ou si vous envisagez une balade en Bretagne je ne saurais trop vous conseiller ce bel ouvrage qu’est Le Cul bénit, sur l’érotisme des lieux de culte bretons, doté d’une étonnante iconographie parfois très explicite.

    Bernard Rio,  nous ouvre les portes d’un monde d’amour en rejetant de l’art érotique sacré, la notion de péché. Ce livre révèle combien le sexe participe à l’amour de dieu comme à celui de nos prochains, et comment depuis des millénaires les sculpteurs l’ont intégré dans leur art pour fêter la vie autant que Dieu. Mais fallait-il encore vouloir  regarder plus loin que par la lorgnette du péché….IMG04337-20140112-1452

    IMG04338-20140112-1452 brSi le coeur ( ou le cul) , vous en dit, vous pouvez aller lire ma chronique du Cul bénit sur :

     

     → Le Salon Littéraire

     
     
  • Le Monde des Religions

    Michel Cazenave Le Monde des Religions

    Mythologies celtiques et autres

    Philippe Jouët, Dictionnaire de la mythologie et de la religion celtiques, Ed. Yoran Embanner, 1040 p ., 48 euros / John Sharkey, Mystères celtes, Dervy, 128 p., 14 euros / Bernard Rio, Voyage dans l’Au-delà - Les Bretons et la mort , Ed. Ouest-France, 28

     

    Les mythologies (et les contes et les légendes qui, si souvent !, les déguisent à peine), n’ont pas fini de nous faire rêver… Et encore plus, lorsque nous découvrons les mythologies des Celtes qui, sans doute, n'ont pas fini de nous faire songer, et dont on sait à quel point elles sont pour une grande part à l’origine de notre imaginaire culturel - et de notre littérature : il suffit de penser à cette Matière de Bretagne qui a inspiré tout notre Moyen Age, et dont quelqu’un comme Chrétien de Troyes, ou une auteure comme Marie de France, reconnaissaient sans ambages qu’elles les avaient inspirés…

    Aussi, soyons reconnaissants à Philippe Jouët, dans un remarquable dictionnaire, et à John Sharkey – fût-ce, parfois, et dans ce dernier cas, au cours de « dérives » qui ne sont pas sans nous faire penser aux théories les plus aventureuses du New Age – de nous introduire à des figures et à des conceptions du monde qui nous sont apparemment devenues si étrangères, et dont nous sommes néanmoins, que nous le voulions ou non, les lointains descendants.

    Mais ces mythologies sont-elles vraiment dépassées ? Et ne continueraient-elles pas à se manifester encore aujourd’hui ?

    Je pense que, pour toute personne qui a peu ou prou voyagé en Irlande, dans les Highlandsd’Ecosse, dans les collines du Pays de Galles, ou même dans la Cornouailles anglaise – sans vouloir parler de tout le territoire de la Grande Bretagne - la réponse va quasiment de soi… Mais quant à la France, pays des « esprits forts » et de ceux qui ne veulent pas s’en laisser conter ? Eh ! bien, il suffit de consulter l’ouvrage de Bernard Rio, consacré auVoyage dans l’Au-Delà selon l’imagination des Bretons les plus contemporains, pour s’apercevoir que les mythes n’en ont pas fini de nous abreuver. Que ce soit l’Ankou, le conducteur des morts, ou les annaon, les âmes errantes, comme ils sont encore « vivants » de nos jours ! – tout en se pliant parfois à ce que nos technologies, en particulier informatiques, peuvent offrir de plus moderne – et sans oublier que tous ces mots proviennent d’une vieille racine indo-européenne, *an, qui désigne le vent (d’où, nosanémomètres), et par dérivation, cette âme (anima en latin) qui ne cesse de s’interroger sur son sort.

    Peut-être parce que la science la plus pointue ne peut rien nous dire de ce qui nous attend derrière ce seuil fatidique, et que la mythologie prend là la relève en nous permettant de nous expliquer à nous-mêmes ce qui reste autrement du domaine du mystère ?

    Toujours est-il qu’il faut aussi prendre connaissance de l’étude, rédigée par Claude Lecouteux, ancien professeur à la Sorbonne, et préfacée par Régis Boyer, notre meilleur spécialiste en culture scandinave, sur Les Nains et les Elfes – puisque le succès du Seigneur des Anneaux de Tolkien et des films qui en ont été tirés par Peter Jackson, nous les a largement remis en mémoire… Alors, on a vite fait de s’apercevoir que ces êtres « fantomatiques » ne cessent de nous hanter, et que ce n’était pas pour rien que Siegfried, dans les Nibelungen, s’en remettait à eux pour perpétuer l’Or du Rhin. N’est-ce pas, aussi bien Richard Wagner que Fritz Lang ?

    Bref, des ouvrages à lire de toute urgence pour saisir un peu de notre époque ; pour comprendre comme les mythologies ont encore (nécessairement, pourrait-on presque dire) de beaux jours devant elles ; pour se rendre compte que, au contraire de l’image trop bien convenue, le christianisme dominant en nos contrées ne les a pas forcément éradiquées – mais, devant leurs survivances têtues, a souvent préféré les « baptiser » pour tenter de les « ré-orienter ».