Première note de lecture "Les masques irlandais"
Il y a des livres écrits trop tôt ou trop tard, celui-là tombe au bon moment. C'est une bouffée d'oxygène, une philosophie joyeuse de la pluie, une kermesse des états d'âme, une ivresse qui ne donne pas mal à la tête mais apporte du baume au coeur. Rebecca n'est pas une héroïne à l'eau de rose. Certes le lecteur des "Masques irlandais" doit s'accrocher à ses basques dans les premières pages du livre, car elle ne sait pas où elle va et lui non plus, mais il est bientôt récompensé car tout part en vrille. Le voyage se mue en une aventure pleine de mystères. L’histoire religieuse et politique de l’Irlande fait irruption entre des cures de pluie et de bière. C’est vraiment drôle, émouvant, décapant. C’est de l’Irish spirit dans le texte, non filtré, tourbé, ironique et décalé. Flann O’Brien, Brendan Behan et Sean O’Kelly, superbes romanciers irlandais, ont trouvé leur partenaire pour jouer une partie d’enfer arbitrée par le poète William-Butler Yeats.
Le décor irlandais sert à merveille l’intrigue, avec ses contrastes vertigineux, d’une part les charmes bucoliques de la campagne et d’autre part les atmosphères déjantées des villes où l’argent de la nouvelle économie coule à flot.
Bernard Rio a concocté un roman étonnant. Il ressuscite un univers de fantaisie et de feérie. Ses personnages se moquent des conséquences de leurs actes. Ils sont ailleurs. Ils vont ailleurs et entraînent le lecteur dans un imaginaire qui devient réalité. Rebecca va de surprise en surprise. Et c’est tant mieux. Elle entreprend un voyage à l'extrême ouest, dans les marges de l'Europe et surtout au pays de nulle part et du n’importe comment. Tout devient possible. Il suffit d’écouter le délire des philosophes de comptoir dans les pubs ou le vent qui chante en gaélique. L'intuition renvoie la raison à ses chères études.
La vie aurait-elle un sens ? Oui, nous dit Rebecca qui rompt avec ses niaiseries de rentière et fait un magnifique pied de nez au système, aux professeurs de vertu et aux penseurs qui ne rêvent pas. Accepter de se tromper, choisir son personnage et son rôle dans la vie, voilà la trame de ce roman d'un âge que tout un chacun espère atteindre un jour : l'âge du tendre.
Finalement, cette histoire visionnaire d’un autre monde est fondamentalement inadmissible et terriblement réconfortante.
Les masques irlandais est le second roman de Bernard Rio, auteur du “Voyage de Mortimer” paru sous le pseudonyme de Tomàs Turner aux éditions Balland en avril 2017.