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RCF et Bernard Rio à l’auditorium Saint Louis de Lorient le 14 juin 2018
Pour se faire connaitre, RCF Sud Bretagne a eu la bonne idée d’inviter le spécialiste bien connu qu’est Bernard Rio sur un de ses thèmes favoris : « à la découverte des pardons bretons ».
RCF, « radio chrétienne francophone » est un réseau de 64 radios locales qui couvrent la France et la Belgique. En Bretagne sud, les antennes de Vannes et de Lorient émettent sur la bande FM (90,2 à Vannes, 102,8 à Lorient) toute la semaine, de 5 h 30 à minuit, sauf les lundi, mardi, jeudi et vendredi où le programme commence l’après-midi à 13 h 30 et le dimanche à 6 h 30 du matin, pour tenir compte de l’incontournable grasse matinée dominicale.
C’est la radio de l’évêque, Mgr Centène aujourd’hui, hier, Mgr Gourvès, l’initiateur de « Radio Sainte Anne », présidée un temps par le Commandant Philippe Chauvois. A partir de 2015, ce sera « RCF Sud Bretagne », présidée par le Commandant Arnaud Lacoin et financée, notamment, par un club de mécènes, présidé par le Général Bertrand Clément-Bollée, organisateur de la soirée du 14 juin animée par Bernard Rio.
Le conférencier s’est avéré particulièrement à l’aise sur un sujet qu’il connait parfaitement et sur lesquels il a écrit de nombreux ouvrages qu’il faut avoir lu :
- « Pardons de Bretagne », éditions Le Télégramme, 2007, 140 pages, 24,90 €
- « Sur les chemins des pardons et pèlerinages en Bretagne » Le Passeur éditeur, 2015, 360 pages, 21 €
- « Pèlerins sur les chemins du Tro-Breiz » éditions Ouest-France, 2016, 120 pages, 14,90 €
Françoise Morel, directrice de l’antenne lorientaise de RCF Sud Bretagne, en présentant Bernard Rio, a dit de lui qu’il est « un poète qui aime le mystérieux », et c’est bien vrai ! C’est vous dire à quel point il est dans son sujet comme un poisson dans l’eau : avec lui, on apprend à penser le monde, non plus rationnellement comme nous l’a enseigné René Descartes, mais fabuleusement, dans une autre dimension où la raison laisse le pas au merveilleux.
Ainsi, le mascaret, la vague de mer qui frise sur le courant de l’estuaire au moment de la marée montante comme le rappel liquide de la voie lactée, cet amoncellement d’étoiles aux frontières de la constellation dont notre système solaire une infime partie sont deux images du chemin terrestre vers Saint Jacques de Compostelle, pèlerinage médiéval qui mène aux confins du continent européen vers le kornog profond, au milieu de la Galice celte.
Le Tro-breiz, circumnavigation autour des 7 évêchés primitifs qui fait du pèlerin une sorte de randonneur gyrovague alors qu’il ne fait que le « tour du propriétaire », inscrit sa pérégrination autour d’un pays qui a compté jusqu’à 18.000 chapelles, églises et lieux de culte il y a un siècle et demi. Même s’il n’en reste que 6.000 aujourd’hui, en raison des conséquences, en Loire Atlantique, de la révolution et de la chouannerie qui s’en est suivie et, en pays léonard, de l’attitude pastorale du clergé local souhaitant regrouper les fidèles au sein d’une seule et même église paroissiale aux dépens des chapelles tréviales ainsi volontairement éliminées.
C’est en Bretagne, pourtant, en pleine laïcisation militante, dans un contexte de
Chapiteau du chœur de l’église Saint Pierre de Chauvigny (Vienne)
déchristianisation rampante que, sur l’initiative, en totale contradiction avec une simple logique élémentaire, d’un homme, Philippe Abjean, pour qui, dire, c’est agir, qu’est né, en plein milieu de nulle part, une sorte de sanctuaire dédié, en plein vent, sous le soleil et la pluie, aux hommes et aux femmes qui l’ont animé par leur foi en Dieu, créateur et transcendant : la « Vallée des Saints ».
Le pardon breton c’est du sacré intriqué dans du profane, d’accord avec Eflamm Caouissin, Bernard Rio insiste : s’il n’y avait qu’un officereligieux, suivi éventuellement d’une procession à la fontaine et/ou au feu – « tan tad » - ce ne serait qu’une liturgie un peu plus solennelle que d’habitude ; s’il n’y avait que le défilé des talabardeurs au son de la bombarde et du biniou coz, suivis des membres du bagad en costume local traditionnel, avec ou sans la croix et les bannières au vent, ce ne serait qu’une manifestation folklorique pour touristes étrangers en mal d’authenticité.
Mais en aucun cas ce serait un « pardon » comme ceux qui rassemblent autour de leur chapelle et de leur saint fondateur, souvent éponyme, les membres d’un même quartier, une fois l’an, pour bruler ensemble, toutes les vilénies de l’année écoulée, quitte à reprendre dès le lendemain les querelles de voisinage qui font le bonheur de la vie collective.
Bernard Rio est passé maître dans l’art de nous présenter ce sujet d’ethnographie pratique qu’il connait bien pour y être aussi fidèle qu’assidu.
Son dernier livre, paru ce mois-ci aux éditions Balland, 260 pages, 18 €, porte le titre : « Les masques irlandais » est, curieusement, un roman.
Ce n’est pourtant pas le genre habituel de l’auteur qui n’hésite pas à prendre des risques pour donner une suite au roman de Tomas Turner intitulé « le voyage de Mortimer » paru en mars de l’année dernière aux mêmes éditions Balland, 340 pages, 20 €.
La deuxième de couverture du roman de Bernard Rio semble prétendre que « le voyage de Mortimer », originairement attribué à Tomas Turner et publié sous son nom, serait « du même auteur » que « les masques irlandais ». Qui croire ?
On se rappelle que Tomas Turner nous avait laissé avec son héros sur les quais du port de plaisance de Lorient à l’issue du festival inter-celtique, prêt à embarquer avec ses nouveaux amis irlandais à bord du « Slainte mhath », gage de bonne santé en gaëlique, pour le port de Youghal dans l’estuaire du Blackwater.
Auparavant il avait envoyé à son amie Rebecca qu’il avait rencontrée au chapitre 19, connue bibliquement dès le chapitre suivant et quittée page 206 pour le Puy en Velay, avec promesse de se retrouver en Irlande, une carte postale avec le ticket de loto que l’inspecteur César Saintavé avait listé, page 333, parmi les papiers du portefeuille substitué à Mortimer à son insu.
Ce fameux ticket de loto acquis dans des circonstances tues par Tomas Turner, où que je n’ai pas retrouvées, malgré mes recherches, s’est avéré, par le fait de l’extrême bienveillance de Bernard Rio, gagnant, au bénéfice de son heureuse destinataire et possesseure, Rebecca, qui l’aura touché bien avant la premier page de son roman « Les masques irlandais », suite du « voyage de Mortimer » de Tomas Turner.
Grâce à ce pactole et - partant, à Motimer Linskey, le héros de Tomas Turner - voilà notre Rebecca à l’abri du besoin et en mesure de se livrer aux joies de l’oisiveté…
Pourtant le rendez-vous irlandais avait été, d’après Bernard Rio, manqué entre Mortimer et Rebecca : seul un accident de mer avait pu empêcher Mortimer d’honorer sa promesse. Rebecca en était convaincue. Toutefois, voulant en avoir le cœur net, elle retournera sur place quelques mois plus tard faire son enquête.
Mais où donc est passé Mortimer Linskey ? A-t-il péri en mer dans le naufrage du « Slainthe mhath », alors, le bien mal nommé, perdu corps et bien en mer d’Iroise ?
C’est Bernard Rio qui va nous le raconter aux lieu et place de Tomas Turner, lui aussi, perdu, disparu, noyé dans l’encre de son stylo ou reparti dans les brumes de son imagination …. Sauf à considérer, du propre aveu de l’éditeur, que Tomas Turner et Bernard Rio ne font qu’un seul et même auteur, ce dont je ne suis pas intimement persuadé.
Avez-vous remarqué qu’on ne dit plus d’une personne décédée qu’elle est morte, mais qu’elle a « disparue », qu’elle est « partie », « perdue » pour ses proches ….
Qu’en est-il vraiment pour Tomas Turner comme pour son héros, Mortimer Linskey ?
Il est fort, Bernard Rio. Vous pensez bien que je ne vais pas vous raconter l’histoire, vous n’avez qu’à acheter le livre, mais je crois que les éditions Balland ont eu la main heureuse quand ils lui ont demandé de prendre la suite de Tomas Turner, trop tôt « disparu ».
Sachez seulement que ce qui plait à Bernard Rio c’est de nous faire partager son goût pour les déchirures possibles dans le continuum espace-temps : il présente une version à peine arrangée et romancée du « chat de Schrödenger », vous savez, ce chat enfermé dans une boite hermétique dont on ne sait s’il est vivant ou mort qu’en ouvrant la boite, mettant ainsi fin définitivement à l’expérience quantique qui veut qu’un chat soit mort ou vivant, mais pas les deux en même temps.
C’est ce que rétorque Mikaël Mc Kineely à Rebecca muée en Maeve : « je vois, Maeve, que vous êtes incrédule. Vous voulez des preuves car vous vous dites : c’est fini. Pourtant vous n’êtes pas convaincue de ne pas revoir Mortimer. C’est un cercle vicieux. Votre raison refuse et votre intuition récuse votre raisonnement. Vous êtes bloquée. » (Page 142)
Je viens de lire sous la plume du Père Jérôme (1907-1985), moine de l’abbaye cistercienne de Sept Fonds en Bourgogne, que l’abbé Julien Naturel considère comme « l’un des géants de la prière au XX° siècle, un pilier, une colonne », à propos des paroles de la consécration prononcées par le prêtre sur le pain et le vin au cours de la messe qu’elles ont ainsi « un double effet, invisible mais réel. D’abord elles produisent la transsubstantiation ; ensuite, elles font coïncider ce moment de notre aujourd’hui, durant lequel nous participons à la sainte messe, avec ce moment du passé historique qui vit la mort de Jésus notre Sauveur. Pendant un moment, chaque jour, nous voilà contemporains de la mort de Jésus-Christ, contemporains d’un évènement non pas renouvelé, mais conservé à jamais dans l’éternité. » (« Tisons » Ad solem Spiritualité, 2015, page 135)
Ainsi, Bernard Rio partage avec le Père Jérôme ce goût du sacré qui nous transporte, hic et nunc, dans un au-delà dont ils ont l‘intuition que leur donnent foi et grâce.
D’irlandais je ne connaissais jusqu’à présent que le comptoir de l’avenue de la Perrière où, à ma conaissance, il ne se vend pas de masques. Bernard Rio m’aura appris, comme le Père Jérôme pour l’Eucharistie, qu’il existe un miracle irlandais « infime et éphémère, substantiel et essentiel » (page 254) qui transcende le temps et l’espace.
Tout est une question de Foi, et de Charité, bien sûr, l’autre nom de l’Amour, l’amour eros, philia et agapi, tout en même temps.
Reste l’Espérance, la petite fille qu’évoque Charles Péguy dans « le Porche du mystère de la deuxième vertu », pour compléter la triade des vertus théologales, celle qui anime le guerrier cheyenne Running Black Cloud dans l’attente de sa traversée de la Grande Prairie qui signera la fin du rite funèbre et lui ouvrira, enfin, les portes du repos éternel.
On se rappelle ses paroles auprès de la croix commémorative de l’exécution, le 29 mars 1796, du général vendéen Athanase Charette de la Contrie, au coin de la rue Félibien et de la place Viarme à Nantes : « rien n’est fini : tout cercle s’ouvre et peut se transformer en spirale » et, s’adressant à Mortimer : « écoute le vent, poursuis ta route et retrouve moi à Colorado Spring ». (Tomas Turner, « Le voyage de Mortimer » page 308).
Mortimer a écouté le vent et poursuivi sa route. Ira-t-il jusqu’à Colorado Spring à la rencontre de Running Black Cloud ?
Bernard Rio tiendra-t-il la promesse faite à Tomas Turner ?
Enée, le dananéen fuyant Troie en flammes saura-t-il résister à la douceur des caresses de Didon, reine de Carthage, pour aller, selon sa vocation initiale, retrouver dans le Latium les origines de sa cité détruite ? Homère laissera t il à Virgile toute la place qu’il mérite ?
Sans, pour autant, oublier Joachim du Bellay :
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestui là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son aage !
Quand reverray-je, helas, de mon petit village
Fumer la cheminee, et en quelle saison
Reverray-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup d’avantage ?
Plus me plaist le sejour qu’ont basty mes ayeux,
Que des palais Romains le front audacieux ;
Plus que le marbre dur me plaist l’ardoise fine,
Plus mon Loyre Gaulois, que le Tibre Latin,
Plus mon petit Lyré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur Angevine.
(« les regrets », chant XXXI, 1558)
Pour le savoir, surveillez attentivement les prochaines publications des éditions Balland.