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Chronique

Marcher selon Bernard Rio... lu par Yves Daniel

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“Marcher selon Bernard Rio” : un livre qui vous déconfine sans attendre le 11 mai…

 

Grâce aux livres de Bernard Rio, particulièrement le dernier en date, nous pouvons, dès maintenant, préparer le « déconfinement » avant qu’il ne soit officiellement promulgué.

Les Editions Muséo, 34230 Plaissan, – dans la vallée de l’Hérault, entre mer et montagne, à quelques dizaines de kilomètres à l’ouest de Montpellier -, ont eu l’excellente idée de lui confier le soin de conjuguer, au sein de leur collection « Paradisier », après les verbes « habiter », « lutter », « soigner » et « aimer », celui de « marcher »… nous y voilà !

L’édition papier se fait attendre (disponible en juin), mais l’édition numérique est d’ores et déjà disponible sur le site :

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Tant il est vrai que nous avons, en ce moment, particulièrement besoin de nous dégourdir les jambes et l’esprit qui va avec, alors, avec et grâce à Bernard Rio, partons « marcher ».

Avec lui, soyez-en sûrs, c’est sur les jolis chemins creux de Bretagne que nous irons d’abord, pas à pas et, le connaissant, on ne va pas s’ennuyer ; sachez, en effet, que le sol qu’on y foule est une des plus vieilles terres émergées au monde : relief subsistant du vieux massif hercynien hérité de l’ère primaire, érodé par le vent et l’eau pendant les millénaires qui nous ont précédé, nos chaussures s’useront pareillement sur le granit des chemins de Bernard Rio.

Pour se mettre en jambe, en guise de prologue, il nous emmène un 15 août, fête de l’Assomption, au pardon de Notre Dame de Quelven, commune de Guern dans le Morbihan, honorer la « vierge ouvrante ». Le pardon de Quelven n’est plus ce qu’il était… Mais il le redeviendra ; alors : « war raok ! En avant pour une éternité ».

Les chemins ont des noms en langue locale pour qui sait les écouter et s’ils sont désormais abandonnés au profit des autoroutes par les marchands devenus motorisés, ils ne sont plus fréquentés que par des marcheurs devenus pèlerins « égrenant le chapelet de leurs pas jusqu’au lieu saint. »

Bernard Rio, au fil des pages et de nos pas à ses côtés, nous apprends à lire les « signes de terre » et à admettre, avec lui, la fatigue de la marche aidant, qu’en effet, « le vieux chemin est un passeur » qui nous fait partir d’ici pour aller vers un là-bas que nous finirons par atteindre, ce soir ou demain ; qui nous fait remonter le temps pour déboucher sur l’avenir;  qui, bon gré mal gré, finira par nous transformer en Dasein ontologique… Il est vrai que nous n’avons que peu d’occasions de verser dans la métaphysique qui, comme le rire, permet de nous distinguer des animaux.

Bernard Rio est un pèlerin, un vrai, tantôt « guidé par la foi », tantôt « ballotté par le doute », il nous emmène avec lui par les grandes plaines comme sous les halliers.

Le pèlerin n’est pas un vagabond, ni le pèlerinage « une errance ». « L’extravagance », toutefois, reste la marque de l’un comme de l’autre, foin des attitudes empruntées et politiquement correctes !

Le pas du passant finissent par faire un passage comme une déchirure spatio-temporelle, une blessure du temps et de l’espace qui « ouvre une porte dans le paysage et l’esprit du passant ».

Quittant les chemins creux de basse Bretagne, Bernard Rio nous emmènera en haut du mont Ventoux retrouver Pétarque lisant Saint Augustin, en Lorraine, sur la « colline inspirée » de Maurice Barrès : « il y a des lieux où souffle l’esprit », jusque, dans les Alpes italiennes, au sommet du Rigi avec Victor Hugo. Il nous fait marcher, rêveurs solitaires, hors du temps avec ses prédécesseurs : le suisse Conrad Gesner (1516-1575), notre Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) national, l’allemand Carl-Philippe Moritz (1756-1793), l’anglais William Wordsworth (1770-1850) et tant d’autres au fil des siècles jusqu’à son contemporain Jacques Lanzmann (1927-2006). Tout ça pour finir sur le Maneguen de Guénin à la minuit d’un jour de Toussaint à la poursuite d’une nuit noire, vraiment noire.

Mais vite nous redescendrons pour pénétrer de nouveau sous les frondaisons de la forêt primaire, celle d’avant les défrichements où vivent l’enchanteur Merlin et le fol Eon de l’Etoile, cher à l’abbé Stéphane Torquéau, son dernier biographe aux Editions Ar Gedour, avant de remonter sur la montagne de la Sainte Victoire admirer le spectacle qui fascinait tant Paul Cézanne et son ami Emile Zola qui n’en a rien dit.

En ville, le marcheur s’appelle « piéton » et prospère surtout le dimanche après-midi, quand les véhicules restent au parking et que le temps demeure… comme suspendu ; le citadin, « l’homme de la rue », reste toutefois « paradoxalement, plus casanier que le rural ».

Un temps nantais, Bernard Rio sait de quoi il parle : avant de parcourir les campagnes lanvaudanaise et d’ailleurs, il a fait son apprentissage de marcheur au fil des boulevards, avenues et rues entre Canclaux et Trentemoult, sur les bords de la Loire, la sacoche du préposé des PTT qu’il remplaçait les mois d’été, en bandoulière.

Je le soupçonne aussi d’avoir arpenté de nuit les rues de Nantes, comme Nicolas Restif de la Bretonne (1734-1806) celles du Paris d’avant la Révolution.

A l’instar de son prédécesseur anglais, Robert-Louis Stevenson (1850-1894) Bernard Rio nous fait préférer, à défaut de la compagnie d’un âne, la marche individuelle, solitaire, ce qui constitue une excellente et sage recommandation en période post pandémique.

Et voilà qu’au fil des pages, à la suite de notre mentor, nous ne comptons plus en kilomètres parcourus mais en temps passé : celui qui nous reste avant la prochaine halte, l’étape du chapitre, aux marches de l’éternité…

Ah … l’éternel rivalité entre les nomades et les sédentaires qui structure l’histoire humaine depuis Caïn, le cultivateur et Abel, l’éleveur dont Yahvé préférait les sacrifices (Gn 4, 1-17)

Mais comme l’a si bien chanté avec « la douceur angevine » Joachim du Bellay (1522-1560) – autre grand voyageur – dans un fameux sonnet à propos d’Ulysse et de Jason (Regrets XXXI) : le bonheur ne vient pas uniquement du « beau voyage » de l’un, sur le retour à Ithaque, mais de celui de l’autre qui, la toison d’or conquise, s’en est retourné, « plein d’usage et de raison, vivre entre ses parents le reste de son âge »

C’est, autrement dites, les paroles de l’autre nantais cité par l’auteur, « à la fois inventeur, explorateur et voyageur » : Jules Verne.

« On n’est pas bien ici ? » demande le nomade à son voisin sédentaire. « Tu sais mieux que moi puisque tu reviens ! … » Patrick de Kergaës connaît bien son Bernard, et réciproquement.

Il y avait avec Moïse, l’Exode, un des 5 livres du pentateuque de la Bible, l’Odyssée d’Homère qui raconte l’exode d’Ulysse et l’Enéide de Virgile, dont Joachim du bellay traduira le IV° livre, celui consacré à la reine Didon, qui relate l’odyssée d’Enée. Il y a maintenant « marcher » de Bernard Rio, en heureuse synthèse.

Souhaitons que Bernard Rio, « marcheur » en « gilet jaune », soucieux de sa sécurité mentale comme de la nôtre, continue de marcher « à son pas sans emboîter celui des autres » et, « glaneur dans la nature ou flâneur au marché », tel Henri Vincenot (1912-1985), de rédiger « à la billebaude ».

 

« Marcher selon Bernard Rio », Editions Muséo, 34230 Plaissan, collection « Paradisier », avril 2020, 170 pages, 14,50 € (édition numérique : 5,95 €).

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