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Fontaines de Bretagne

Présentation

La Bretagne est jalonnée de milliers de fontaines dotées de pouvoirs thérapeutiques, magiques ou merveilleux. A chaque chapelle est associée une fontaine et à chaque fontaine  de la Bretagne sacrée est associée une histoire, une croyance, un rite et une pratique.  Leur fréquentation est particulièrement riche de sens.

La fondation et l’architecture d’une fontaine, sa  consécration, les rites qui y sont célébrés sont des éléments déterminants pour distinguer la fontaine guérisseuse de la fontaine oraculaire, le lieu saint du bassin profane… 

 La multitude des fontaines bretonnes offrent une profusion de cultes et de patronages. La densité de ce réseau millénaire est un fait exceptionnel, une source intarissable où le visiteur peut s’abreuver de surnaturel et de légendaire, découvrir la diversité des styles d’architecture depuis la protohistoire jusqu’au XIXe siècle… Le collectage réalisé par Albert Poulain et Bernard Rio est le plus important recensement et le répertoire le plus complet  publié  en Bretagne. 

Edition Yoran Embanner 2008    ISBN : 978--2-916579-15-3




Les Fontaines de Bretagne

 

Albert Le Grand écrit dans la Vie des Saints de la Bretagne Armorique, imprimée en 1 636 à Morlaix, que « Saint Méen, plein de foy, se prosterna en oraison, en laquelle il pria Dieu de leur donner de l’eau, et, s’estant levé, il ficha son bourdon en terre, lequel retirant, il fit réjaillir une source d’eau vive, laquelle se voit encore maintenant, et est fort renommée pour la vertu qu’elle a de guerir d’une maladie, nommée par les Medecins Prisa et par le vulgaire le mal de saint Méen, qui est une forte galle ou rogne qui ronge jusqu’aux os ». 

 

La fontaine existe toujours mais les processions et ablutions ont cessé au début du XXe siècle, jugées indignes par un clergé qui les a donc proscrits en croyant en finir avec les antiques croyances attachées au lieu saint. N’en déplaise aux réformateurs de l’église catholique et romaine, l’eau s’écoule toujours à Saint-Méen-le-Grand. La source rafraîchit les esprits de ceux qui s’y désaltèrent malgré la puritaine réprobation des clercs convertis au culte de la Raison. Entre les cinquième et neuvième siècles, le miracle de l’eau jaillissant sous le bâton du saint s’est répété un peu partout : Armel, Aubert, Bieuzy, Conwoïon, Corentin, Dolay, Efflam, Elouan, Fiacre, Géréon, Gildas, Gobrien, Gouesnou, Goulven, Guen, Guigner, Gwennolé, Hernin, Hervé, Lunaire, Macaire, Majan, Malo, Marcou, Maudez, Melaine, Mélar, Molff, Pol Aurélien, Quay, Samson, Sané, Urfold, Uniac, Vital… tous ces saints sourciers ont célébré le culte de l’eau féconde et purificatrice, que leurs successeurs réguliers ou séculiers ont tenté de canaliser. à l’instar du sanctuaire de Saint Ivy à Pontivy (56), combien de chapelles ont-elles enfoui dans leurs fondations les sources sacrées de l’antiquité celtique ?

La Bretagne est couronnée de chapelles dont le recensement méticuleux a eu lieu. Qu’en est-il des fontaines ? Sylvette Denèfle a dénombré plus de mille cinq cents fontaines « dotées de pouvoirs particuliers » dans le Léon et la Cornouaille, mais nul n’a entrepris de les comptabiliser sur l’ensemble du territoire. Seule une étude exhaustive du cadastre pourrait permettre d’évaluer la quantité de fontaines en Bretagne, en sachant qu’il convient de distinguer les fontaines profanes des fonctaines sacrées sans pour autant exclure les puits A Guénin (56), la chapelle Notre-Dame du Mané-Guen est dotée de l’un et de l’autre. L’inscription gravée sur le puits suffit à le qualifier de sacré : « Profond de 80 pieds, priez Dieu pour vos pères ». D’autre part, on dénombre quatre cent quarante-trois puits pour « seulement » dix-sept fontaines à Indre (44), dans un département que Jean-Yves Eveillard présume pauvre en ces fontaines sacrées.

À l'instar des monuments mégalithiques démolis, des milliers de fontaines ont été comblées aux XIXe et XXe siècles : rasées et enfouies lors d’un remembrement destiné à niveler autant le paysage que la culture qui y puisait ses sources. La fontaine Saint Jacques à Guillac (56), la fontaine Saint Méen à Bruc-sur-Aff (35), la fontaine de Lochrist à Pont-Croix (29) Chaque diocèse, chaque département a connu et connaît encore cet enfouissement patrimonial. Outre la dénaturation des lieux, les pratiques qui y sont enracinées sombrent dans l’oubli faute d’être transmises. Le recensement des fontaines et la collecte des croyances permettent fort heureusement de laisser ouvertes les portes du temps, ce temps qui passe et qui échappe à l’image de l’eau qui s’écoule, née et retournant à la terre. 

Le fleurissement d’une fontaine, la présence de pièces dans un bassin… indiquent une permanence à la fois rituelle et spirituelle dans une société qui consomme de plus en plus, brasse et broie, s’individualise et évolue vers une mercantilisation effrénée. La Bretagne contemporaine n’est pas en dehors du cycle effroyable qui meut et moud les hommes épris d’argent. Elle n’est pas pour autant dénuée de sens. La fréquentation des fontaines n’est pas qu’un fait social car elle s’avère multiple dans ses pratiques profanes et spirituelles, thérapeutiques et magiques. Elle serait passéiste si les personnes allant aujourd’hui aux fontaines avaient la conscience et la volonté de copier un folklore d’un autre âge, à l’instar de ces reconstitutions de battages à l’ancienne où il ne s’agit pas de moissonner et de battre le grain mais seulement de faire semblant pour amuser une foule désœuvrée.

Les rites de guérison commentés par les ethnologies depuis le dix-neuvième siècle s’inscrivent dans un temps continu. La fontaine guérisseuse de Saint Divy à Landébia (22) ou celle de Sainte Candide à Scaër (29) s’apparentent à la fontaine de santé de la mythologie irlandaise : « Diancecht et ses deux fils et sa fille, c’est-à-dire Octriuil, Airmed et Miach, chantaient des incantations sur la source dont le nom est santé. Leurs hommes blessés mortellement y étaient cependant jetés tels qu’ils avaient été frappés. Ils étaient vivants quand ils en sortaient. Leurs blessures mortelles étaient guéries par la force de l’incantation de quatre médecins qui étaient au » tour de la fontaine » (Whitley Stokes, Revue celtique XII, traduction Christian-J. Guyonvarc’h, Textes Mythologiques Irlandais). L’incantation des médecins n’est pas seule à agir. Le verbe renforce les vertus de l’eau. Peut-être subsiste-t-il encore des pratiques individuelles et anonymes mais les rites d’immersion collective dans les fontaines auraient disparu dans les Pardons contemporains… exception faite des chevaux qui bénéficient encore de ces rites millénaires. En 1612, l’évêque de Saint-Malo dénonçait pourtant ceux qui murmuraient « quelques charmes appelés Oraisons, à l’oreille d’un cheval ». Au siècle suivant, le géographe Jean-Baptiste Ogée (1728-1789) décrivait quant à lui les ablutions. « À un quart de lieue de Plérin est une chapelle dédiée à saint Eloy, dont la fête se célèbre au mois de juin. Les paysans des environs ont rendu ce saint le patron des juments et des chevaux. Tous les ans, au jour de la fête, les habitants des paroisses de dix lieues à la ronde y viennent en pèlerinage. Après leurs prières faites à la chapelle, ils vont à la fontaine qui se voit auprès, y puisent de l’eau avec une écuelle, et la jettent dans la matrice et sur les oreilles de leur jument, et en arrosent les testicules de leur cheval dans la persuasion que cette eau a des vertus prolifiques. Cette opinion est si gravée dans l’esprit de ces bonnes gens qu’il seroit impossible de l’en déraciner » (Jean-Baptiste Ogée, Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, 1778-1780). L’incantation et l’ablution ont toujours cours dans les pardons équestres au XXIe siècle. On peut donc penser que les fontaines bretonnes conservent leurs antiques vertus et leurs dévots. Le rite est indissociable du lieu, cette constante demeure dans la Bretagne actuelle. Par rite, il faut entendre le geste et la croyance qui s’y attache. Il s’agit bien plus que d’un usage ou d’une pratique. Se rendre à la fontaine ne suffit pas pour que le vœu soit exaucé. À la fontaine Saint Méen de Bains-sur-Oust (35), c’est au lever du jour et trois fois de suite que le demandeur doit officier.

La fondation d’une fontaine, sa fonction, les rites qui y sont célébrés, son architecture sont des éléments déterminants pour distinguer la fontaine guérisseuse de la fontaine oraculaire, la fontaine sainte de la fontaine profane… Ces critères différencient mais peuvent aussi se cumuler pour qu’une fontaine sainte devienne guérisseuse et oraculaire. La présence d’un saint n’est par ailleurs nullement obligée pour lui conférer une vertu sacrée. La fontaine blanche est tout aussi sacrée que la fontaine dédiée à Notre-Dame. Nulle obligation également d’une architecture monumentale pour sacraliser une source. Le rite seul peut qualifier une fontaine de sainte, guérisseuse, légendaire, magique… La Bretagne est riche d’une multitude de fontaines qui offrent une multitude de rites et de patronages. Cette profusion est un fait exceptionnel, une source intarissable où le visiteur peut s’abreuver de surnaturel et de légendaire, découvrir la diversité des styles d’architecture depuis la protohistoire celtique jusqu’au XIXe siècle… où l’homme moderne se relie à un monde intemporel, où il redevient acteur par jeu ou/et par croyance en sacrifiant à la fontaine… Cette dévotion aux eaux demeure une réalité opérative dont seuls les ignorants doutent aujourd’hui. 


Articles de presse

“Remarquable travail d’ethnographe auquel se sont livrés le conteur et ethnologue Albert Poulain et l’écrivain Bernard Rio, qui ont procédé au collectage le plus complet des fontaines de Bretagne. Dans un bel album au grand format, ils présentent le produit d’une recherche étalée sur des années : sources, chapelle et rituels, pèlerinages et offrandes (remontant parfois à la protohistoire), patronages... Le résultat constitue une précieuse base de données sur la dévotion populaire en Bretagne, étonamment stable de l’Antiquité à nos jours. L’architecture des fontaines n’est pas négligée, ni leur riche légendaire : sources guérisseuses, fontaines maudites, chapelles oubliées ou populaires. Une invitation à se désaltérer comme nos ancêtres sous la protection des fées et des saints ”. 

Christopher Gérard 

Nouvelle Revue d’Histoire, mars 2009


“Le travail réalisé par Albert Poulain et Bernard Rio est colossal. les fontaines de Bretagne sont répertoriées selon 49 critères architecturaux, 31 critères médicaux et  35 autres critères difficiles à classifier : fontaines bouillonnantes, oraculaires, marieuses, ou nées sous le sabot d’un cheval.

Le répertoire concerne aussi les rites et les légendes liées aux fontaines. ainsi, l’opération qui consiste à placer sur le malade un vêtement trempé dans l’eau froide de la fontaine et à invoquer Saint-Diboan ou Saint-Tu-pe-Tu pour le faire passer soit du côté de la vie, soit du côté de la mort, révèle que, dans ce pays au climat fantasque et aux brumes persistantes, les habitants aiment les situations claires.

J’attends avec impatience le complément à ce livre foisonnant : un CD ou un site internet qui permettra, à partir d’un tri multicritères, de localiser la ou les fontaines qui correspondent à ma demande”. 

Jean-Pierre Le Mat

Armor Magazine, février 2009


 Un livre de Bernard Rio et Albert Poulain sur les fontaines de Bretagne

La fontaine rappelle que l’avenir de l’homme est lié à l’eau 

A l’instar des saints sourciers faisant jaillir l’eau en enfonçant leur bourdon dans la terre, Bernard Rio et Albert Poulain sont allés avec leur bâton et leur crayon réveiller les fontaines bretonnes oubliées. “plutôt que de partir faire ses ablutions en Inde, on peut très bien les faire ici. mais on préfère s’esbaudir à des milliers de kilomètres, au lieu de profiter d’un patrimoine exceptionnel, à portée de mains”, déclare Bernard Rio. Pourquoi ? “Parce que c’est un truc de plouc ! Nous avons toujours le complexe de notre culture. Dans nos travaux, Albert et moi, nous cherchons à mettre en valeur de ce patrimoine marqueur d’identité”. 

En Bretagne, on compte autant de fontaines que de villages. “Ce travail n’est qu’une partie émergée, car il y a bien d’autres fontaines en Bretagne. Nous invitons  d’ailleurs les lecteurs à compléter notre inventaire”, poursuit Albert Poulain, qui collecte après collecte, n’en finit pas de reconstituer le puzzle d’une culture dont on ne mesure pas la richesse. Ainsi, comme les mares qui ren,ferment une biodiversité locale inestimable, de nombreuses fontaines ont fait les frais du rasoir à deux lames du remembrement et de l’urbanisation. “Outre la dénaturation des lieux, les pratiques qui y sont enracinées sombrent dans l’oubli faute d’être transmises”, remarquent les deux  chercheurs d’or. Ici où là, quelques centaines de fidèles viennent encore se régénérer à la source. “En juillet, au vieux-bourg de Tréal, le pardon de Saint-Cornély organise encore une procession à la fontaine”. Pour  Bernard Rio, l’institution religieuse a bâti son église en puisant dans ce besoin humain et immémorial de se rassembler autour d’une source. “Les fontaines sont parmi les dernières traces du paganisme. Après le culte des pierres et le culte des arbres, l’église a tenté de détruire puis de récupérer le culte de l’eau”. 

Au-delà des pardons qui subsistent tant bien que mal, chacun continue ici où là à entretenir une relation intime avec la fontaine de son enfance. La présence de pièces de monnaie et de fleurs témoignent encore de ces rites. Certains viennent chercher un peu de paix, un signe d’espoir. D’autres un remède contre les rhumatismes, la folie ou le mal de ventre. Bernard Rio et Albert Poulain ont recnsé de nombreuses fontaines guérisseuses dotées d’un pouvoir spécifique ou universel comme la fontaine Saint-Louis de Saint-Gorgon, réputée pour soigner l’eczéma, la surdité, les maux de tête et les yeux. “On jette aussi des épingles  dans les bassins pour relier les hommes à l’universel, maintenir ensemble ce qui semble essentiel”, remarque Bernard Rio. La fontaine rafraîchit ce lien fondamental et pourtant fragile, qui unit l’homme à la nature, sans l’intermédiaire d’une religion ou de toute autre chapelle. Les préoccupations écologiques d’aujourd’hui qui surgissent  dans la société comme une véritable lame de fond, rappellent que cette eau précieuse qui jaillit du monde des morts vers celui des vivants conditionne l’avenir de la planète. A continuer de la gaspiller, l’homme finira par ne trouver que des oasis dans le désert à la place des fontaines. “L’eau salée représente un peu plus de 97% de la ressource, l’eau douce un peu moins de 3%. une goutte d’eau en quelque sorte, mais de cette goutte d’eau dépend l’humanité”, souligne Bernard Rio.

Le conteur de Pipriac n’est jamais en panne d’une histoire, plus ou moins authentique ! Ainsi, Albert Poulain se souvient que même si elles ne sont pas toutes sacrées, “celui qui souille une fontaine commet une  faute contre l’harmonie du monde. Il est impensable d’uriner dans l’eau. On dit d’ailleurs en Haute-Bretagne que cracher dans les rivières, c’est faire de l’eau bénite pour le diable. Les lavandières de Renac ont été privées de fontaine pour l’avoir souillée. Fâchée, la fontaine s’en est allée d’elle-même au village de Launay-Hingant”.

Auteur en 2006 d’un livre sur l’eau, Bernard Rio traduit à sa façon le célèbre proverbe indien qui dit que les hommes n’héritent pas de la terre mais l’empruntent seulement à leurs enfants. “Respecter une fontaine, c’est honorer un environnement. L’eau appartient à tout le monde et à personne en particulier. Malheureusement, elle a été aujourd’hui captée par des multinationales et des intérêts privés”. Veolia n’a pas encore été surpris à “tourner autour” des fontaines. Albert Poulain et Bernard Rio évoquent à ce sujet le rite de la circumambulation. “Il est à la fois cosmique et mystique. Il consiste à raccorder l’homme à l’univers, à le placer en orbite car la fontaine devient alors le centre de l’univers, l’axe où le pèlerin va communier avec les puissances qu’il invoque”. 

Jacques Faucheux

Les Infos, 31 décembre 2008


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