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La chasse en Bretagne

 

À Cast, près de Châteaulin, on a élevé un fabuleux calvaire à saint Hubert, patron des chasseurs.  Et la Bretagne, c’est aussi le royaume des chiens : chiens d’arrêt, chiens courants, chiens d’eau, chiens de sang, chiens de terrier… Ils courent, ils lèvent, ils arrêtent, ils rapportent, ils déterrent. Chasser sans chien est chose impensable au pays de l’épagneul breton et du fauve de Bretagne. 

Envol imprévisible de la discrète bécasse, veille silencieuse au gabion dans la nuit d’hiver, battue bruyante au sanglier, courses éperdues dans les cris des chiens à lapin ou à lièvre… Bertrand Rio connaît bien son terroir et son monde, il nous fait vivre en fin conteur toutes les façons de chasser en Bretagne. Intro

 

Editions Palantines 2008    ISBN : 978-2-911434-87-7


Chasses bretonnes

 

 

La queue d’un renard dans une lande d’ajoncs, l’envol d’une bécasse dans une hêtraie, le saut du cerf dans une allée forestière, la diagonale du lièvre sur un plateau venteux, le cul-blanc du lapin dans une rangée de choux, un nuage de vanneaux dans un tapis d’herbes mouillées… Le passage de l’animal dans le champ de vision n’a parfois rien d’imprévisible pour celui qui sait le moment venu se trouver au point de rencontre.

La chance est au rendez-vous du sage, mais le hasard est-il pour autant exclu de la quête ? Si l’animal s’absente du territoire où il a ses habitudes, n’est-ce pas qu’il a ses raisons qui priment celles du chasseur ! Ici, le coup de vent de la veille a pu dévier les canards de leur trajectoire. Là, une pelleteuse a bousculé le talus-auberge des lapins. Ailleurs, le maïs a poussé dans la prairie, il a reçu sa dose phytosanitaire, les vers ont mal digéré. Il n’y a plus rien à verroter et par conséquent pas de bécasse sur les chaumes.

L’animal, quel que soit le genre, fréquente la terre qu’il aime. Le chasseur et les chiens surviennent dans sa foulée. L’animal vit du désir de trouver le plus beau gîte et le meilleur couvert : des pousses d’herbe tendre pour le lapin, des glands à foison pour le sanglier, des mulots à gogo pour le renard, un herbier de renoncules pour les canards siffleurs… Toutes les espèces s’avèrent opportunistes à l’instar de l’homme qui rêve d’un château en Espagne après avoir misé trois euros six sous au loto.

Davantage qu’une opposition ou une confrontation entre l’urbain et le rural, j’incline à partager le monde en deux espaces perméables : le domestique et le sauvage. Le chasseur tend de l’un à l’autre, en perpétuant le souvenir d’un ancêtre qui traquait pour survivre. Certains hommes participent assurément plus du règne animal que de l’humanité obèse. Ils sont par leur manière de dire et de faire la mémoire et les gardiens d’une vie originelle.

Dans ce millénaire technologique qui ne conçoit pas d’aligner ses monuments sur les astres ni de construire ses cathédrales dans les capitales, il existe encore des individus qui poursuivent des espèces sauvages, s’en réjouissent et s’en repaissent. Voilà qui aujourd’hui est bel et bien extraordinaire. Dans un même désordre d’idées, des animaux dérangent les plans des fonctionnaires de la pensée. Ils occupent l’espace civilisé sans crier gare, dispensés d’autorisation, contraints par les circonstances météorologiques à bivouaquer au pied levé et à se nourrir sur le pays. Les uns abroutissent les plants, les autres pâturent les semis et tous sortent de l’hiver en ouvrant la voie au printemps. Le sauvage persiste. Il est parmi nous. Il est l’autre. Serait-il nôtre ?

Les récits de chasse abondent dans les livres d’antan tandis que les trophées prennent la poussière dans les musées. Les premiers de moins en moins lus. Les seconds de moins en moins visités. Désaffection et ressentiment envers et contre la chasse au profit de jeux de plus en plus virtuels et de clubs de vacances de plus en plus clos. Bamby ne prise pas les bourgeons mais il pleure comme Marie-Madeleine. L’animal dessiné serait plus humain que le chasseur. Et le chasseur serait plus sauvage que l’animal ! La morale manichéenne ignore les lois de la nature et la communauté du vivant. Elle porte le deuil du sauvage sans supposer que l’humanité fait partie du lot. L’urbanisé croit être libéré de la tutelle de la nature et de sa nature. Ce n’est pas sur le sort de Bamby que le petit homme devrait s’apitoyer mais sur l’avenir de son espèce domestiquée. 

Aujourd’hui, les bipèdes agglutinés dans les métropoles des cinq continents se détournent d’une nature qu’ils appréhendent comme une succession d’images. Le paysage perçu comme un décor conserve malgré tout les marques du sauvage. Il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour que l’aube soit et que l’eau coule de source. Le monde porte les empreintes de l’indicible, les traces d’un temps non productif et non consommable que le chasseur relève chaque automne conscient que son sort est lié à ces vérités qui migrent dans le ciel, courent les bois, fouissent la terre et fouillent la vasière. 

Combien y aura-t-il la prochaine saison de bécassines, gioch en breton, à Ker-Guioch en Kernilis, à Guéoche en Boquého, à Poul-ar-Guioch à Plestin-les-Grèves ? La bécassine était attestée sur le papier en 1 504 à Bot-Ioche en Pluvigner. Et la bécasse tant espérée, en trouve-t-on encore à Toul-ar-Quéffelec en Châteaulin, à Quer-Quévelec en Bubry ?

La campagne bretonne est une volière qui a conservé ses noms de baptême. À trois lieues de chez moi, le petit bois de Bocudon, la résidence du pigeon, est encore fréquenté par les descendants des ramiers médiévaux. Il y a aussi Roscudon, le tertre des pigeons, à Pont-Croix et Canac’h Cudon, la colline des pigeons, à Canihuel.

Que dire des innombrables Garenne et Coulinet, territoires de prédilection du lapin, qu’il ne faudrait pas confondre avec le Gad aux longues oreilles et ses lieux-dits Bré-Gadon, la colline aux lièvres, à La Vraie-Croix, Kergadon, le village aux lièvres, à Trédarzec, Roch’ar Had, le rocher du lièvre, à Brennilis…

La toponymie renseigne l’arpenteur sur l’évolution de la faune. Il y a toujours eu des bonnes places à bécasses, des paradis pour les pigeons, les lapins ou les blaireaux, comme à Toul-Broc’h en Yvias, en Carantec et en Séglien. Il y avait des sangliers ainsi qu’il est mentionné à Kern an Torc’h, la maison du sanglier, en Bannalec, à Ros Terc’h, le coteau aux sangliers, en Plouray et à Roudou-Derch, le gué aux sangliers, en Sizun. Le renard- Louarn ou Luhern — était pareillement chez lui en Bretagne, tout comme le cerf — Karo ou carff, caroff — le chevreuil — gavr — et le daim assimilé au bual, le boeuf sauvage, à Corn-am-Bual en Bourbriac, à Pem-Bual en Naizin, à Bual-Gars en Scrignac.

Les daims ont rejoint les parcs zoologiques alors que celui qui surpassait toute la gent à poil et à plume, celui qui a laissé son nom et sa griffe dans le paysage sans avoir été oublié des hommes, celui-là a disparu pour entrer dans la légende. Le loup — bleiz et ses dérivés blaise, bley, blay — est possessionné dans tout le pays. La fosse aux loups, le tertre des loups, la fontaine au loup, le bois du loup, la haie au loup, la croix au loup… Bleiz surnommé aussi Guillou ou Guillaume possédait manoirs, maisons, fermes et granges, ainsi Rest-em-Blay au Faouët, Pors-ar Bleiz à Quemper-Guezennec, Les-Com-Bleiz à Scrignac… Théodore Botrel l’a rencontré dans son enfance à Saint-Méen-le-Grand. Une paire de loups l’attaqua tandis qu’il cheminait avec sa grand-mère sur le chemin de la Madochère. « Deux loups vus par moi, jadis, de mes propres yeux. Ce furent les seuls, du reste… à quatre pattes tout au moins… car, des loups, à deux pattes, bonnes gens, dans le cours de ma vie j’en ai croisé bien souvent : pauvres carnassiers, faméliques et enragés, parfois plus redoutables que ceux de mon enfance ».

Le prédateur n’est pas toujours celui qu’on croit. Si le chasseur des champs hérisse le poil de certains, n’est-ce pas à cause de son appartenance à un monde sauvage ? Coupable de sortir des sentiers battus, de colporter de la terre à la semelle de ses godillots, de se rassasier de la chair fraîche… Coupable de préférer la compagnie des chiens à celle de certains hommes, de sentir le fauve, d’être sans remords…

Pourquoi chasser ? L’action va de soi et l’interrogation n’a pas lieu d’être à moins de remplacer le pourquoi par le comment ! La chasse ne relève pas du stéréotype. Elle cultive les différences et les atavismes. À chaque homme son humeur, son territoire, son chien, son gibier, sa chasse !

Le chasseur est original. Sa passion se fonde sur des subtilités de principe et de nécessité qui distinguent le renardier du lapinier, le déterreur du piégeur, le veneur du tireur… Le chasseur est un prototype incarnant un temps et un monde où le singulier se conjugue au pluriel, où nature et culture se concilient, où la mort côtoie la vie. Cet autre qui traque pour le plaisir contredit le stéréotype qui se soustrait au monde et le contemple de sa fenêtre.

Comment chasser ? Répondre induit une réflexion en chaîne. À la raison d’un pourquoi superflu font écho mille et une histoires vraies, fabuleuses ou fabulées. Il était une fois…

 

 

articles de presse

 

« La Chasse en Bretagne 

A Cast, près de Châteaulin s’élève un fabuleux calvaire à saint Hubert, patron des chasseurs. La Bretagne, terre de chasseurs est aussi le royaume des chiens : chiens d’arrêt, chiens courants, chiens d’eau, chiens de sang, chiens de terrier... Ils courent, ils lèvent, ils arrêtent, ils rapportent, ils déterrent. Chasser sans chien est chose impensable au pays de l’épagneul breton et du fauve de Bretagne.

Envol imprévisible de la discrète bécasse, veille silencieuse au gabion dans la nuit d’hiver, battue bruyante au sanglier, courses éperdues dans les aboiements des meutes créancées au lapin ou au lièvre, chasses livrées aux embruns et aux vents du large des îles, Bernard Rio, collaborateur de longue date à la revue Saint Hubert et Jean-Claude Meslé connaissent bien leur terroir et leur monde, ils nous font vivre en fins conteurs toutes les façons de chasser en Bretagne”

Antoine Lorgnier du Mesnil


Tous ceux qui aiment se documenter sur les chasses pratiquées dans une région liront avec intérêt ce livre écrit  par Bernard Rio, qui a tenu en plus de ses très belles photos prises par lui à s’adjoindre un photographe de talent, Jean-Claude Meslé.
Èvidemment, les premières pages sur lesquelles je me suis jeté ont été celles consacrées à la bécasse. Elles m”’ont aussitôt donné envie d’aller découvrir les autres gibiers, les légendes, et Dieu sait si la Bretagne excelle en ce domaine, les chiens à qui sont consacrées de nombreuses pages, qu’il s’agisse de chiens courants ou de chiens d’arrêt, les field-trials.
Et chaque page, fort bien écrite et remarquablement illustrée est, sinon une découverte totale, du moins une confirmation de bien des détails oubliés.
Bernard Rio, excellent conteur, sait nous faire participer à chaque partie de chasse qu’il décrit avec un remarquable sens de l’observation.Tous les amoureux de la chasse, qu’il s’agisse de bécasse, de bécassine, de gibier d’eau, de grand gibier, découvriront avec plaisir, et pour certains avec curiosité, ces récits”
Noël Lefeuvre - LeMordorée

 

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