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Le bestiaire celtique

La forêt de Brocéliande se situe au milieu du monde, là où le merveilleux donne du sens aux métamorphoses, aux doutes et aux renonciations.

Dans les contes et les légendes celtiques, l’homme affronte le fantastique et d’étape en étape tente d’atteindre l’acte fabuleux, l’acte héroïque. Si Arthur, Yvain ou Merlin ont bâti le mythe, l’animal, lui, fût le guide, le messager ou parfois le rival de ces personnages extraordinaires en devenant lui-même homme.

Mais que le lion soit chevalier ou la femme oiselière, la forêt aura toujours les nuances de la passion et les bêtes blanches, si belles, se transformeront peut-être encore en de superbes demoiselles.

 

Edition Gisserot 1999   ISBN : 2-87747-441-0

 

 

Le bestiaire celtique

 

 

La Ville es cerfs, la Mare aux biches, la Passe aux sangliers, la Brousse au renard, Hucheloup… la toponymie de Brocéliande a conservé l’empreinte des grands animaux chassés depuis le Moyen Âge par les veneurs rassemblés aux Forges de Paimpont. Parmi ces chasseurs ont dû figurer bien des chevaliers d’Arthur. Lancelot qui fut, dit-on, élevé en Brocéliande y courrait le cerf et le chevreuil, et chassait les oiseaux à l’arc.

Le paysage a aussi maintenu le souvenir de petits animaux peuplant les légendes racontées au coin du feu. La Chouannière, la Mésangère, la Grenouillère, Trempe Souris… Autant d’anecdotes savoureuses partagées par les hommes et les animaux de la forêt pour une divagation dans les temps parallèles. D’autres toponymes indiquent des sources celtiques. Près de Folle-Pensée, les champs-Morgan évoquent les corneilles tandis que le Bran sur la route de Saint-Léry rappelle le corbeau. D’autres lieux enfin renvoient à l’hagiographie chrétienne, ainsi Saint-Eloy de la Bouvrais dont le culte solsticial est associé au cheval tandis que la vallée du Diable fait écho au Cornu ! Plusieurs sites ne sont pas non plus sans évoquer les animaux emblématiques de la matière arthurienne. Penché sur le Miroir aux fées, peut-être discernera-t-on la silhouette blanche d’une oie ou d’un cygne, deux oiseaux-fée messagers des îles fortunées. Au Tombeau de Merlin, c’est le hurlement du loup noir, ultime compagnon de l’enchanteur, dont on croira entendre l’écho. Le promeneur devra cependant se garder des allégories faciles et trompeuses dont cet étang de la Chèvre qui renvoie moins au caprin fut-il sauvage qu’au géant de la forêt surpris par Yvain dans la clairière de Barenton. En breton Gavr signifie en effet et la chèvre et le géant dont Chrétien de Troyes a donné une description prégnante dans le roman d’« Yvain, le chevalier au lion ». « Je vis alors, assis sur une souche, ayant une massue en main, un vilain qui ressemblait fort à un Maure, laid et hideux à démesure. Je m’approchai de ce vilain et vis qu’il avait plus grosse tête que roncin ou autre bête, cheveux mêlés en broussailles, front pelé de plus de deux empans de large. Oreilles moussues et grandes comme celles d’un éléphant, sourcils touffus, visage plat, yeux de chouette et nez de chat, bouche fendue comme un loup, dents de sanglier, aiguës et brunes, barbe noire, grenons tortis, menton soudé à la poitrine, longue échine, torte et bossue. Il était appuyé sur sa massue, vêtu de très étrange façon. ce n’était vêtement de toile ni de laine mais de deux cuirs nouvellement écorchés, cuir de taureaux ou cuir de bœufs. Le vilain se dressa sur ses pieds dès qu’il me vit approcher. Je ne savais s’il me voulait toucher mais je me fis prêt à me défendre et vis alors qu’il demeurait tout coi et sans bouger. Il était juché sur un tronc qui avait bien sept pieds de long. Il me regardait, ne disant mot pas plus que ferait une bête. Et je croyais qu’il ne savait parler ou qu’il n’avait point de raison. » Ici le récit se renverse. L’aventure recommence. Le preux chevalier change de dimension. Il passe d’un monde courtois, la cour du roi Arthur, au monde sauvage, la forêt des sortilèges et des prodiges…

Le chroniqueur ne manque pas d’accentuer ce passage, d’un état de discernement à l’ivresse de la quête, en recourant aux images du bestiaire pour décrire bien plus que l’apparence du géant de la forêt, sa nature : yeux de chouette, nez de chat, bouche de loup, dents de sanglier… Rien de moins qu’une réalité fourmillante et terrifiante. La forêt est gardée par l’un des siens, une figure héritée telle quelle de la mythologie celtique. Dieu à la massue que le lecteur habitué des vieux récits irlandais reconnaît et identifie sans peine à Dagda. Et bien sûr, l’homme sauvage gouverne les bêtes de ces bois. « Il n’en est point qui ose bouger dès qu’elle me voit venir, car quand j’en puis une tenir des poings que j’ai durs et forts je l’empoigne par ses deux cornes. Les autres sitôt de peur tremblent. Autour de moi elles s’assemblent et toutes ensemble crient merci. Nul autre que moi ne pourrait être parmi ces bêtes sans en être occis aussitôt. Je suis seigneur des bêtes. » Le procédé utilisé par Chrétien de Troyes pour décrire le géant de Barenton est commun aux récits épiques des Celtes qu’ils soient continentaux ou insulaires. L’animal illustre fréquemment le registre héroïque. Au onzième siècle le moine de Saint-Méen, Ingomar, recourt au bestiaire pour brosser le portrait du roi Judicaël : « Tel le courageux taureau parmi les bœufs anonymes, et le verrat robuste parmi les porcs étrangers, l’aigle entre les oies, le faucon entre les grues, l’hirondelle entre les abeilles, ainsi Iudicaël, roi des Bretons armoricains, souple et agile, sur combattant dans la guerre, jouait de la lance dans la bataille au milieu des ennemis qui se dressaient contre lui. »

L’animal est incomparable pour souligner l’inconscient des chevaliers, ermites et dames, tous personnages archétypaux d’un périple aventureux qui pourrait être lu et compris comme une connaissance de l’autre monde. L’aventureux chevauche d’un château périlleux à un verger de la Joye, d’épreuves en épreuves, comme sur les cases d’un jeu de l’Oie.

Dans la quête, la forêt apparaît comme un espace clos. Milieu du monde à l’instar d’une île merveilleuse sur la mer. Milieu initiatique où tout peut arriver, où la femme se transforme en Guivre ou en Oiselière. Femme-serpent ou dame à l’épervier… Dans la forêt, la métamorphose est courante et rarement innocente.

Le bestiaire donne le sens. Tout comme Noël du Faye dans ses savoureux « Propos rustiques », il convient de lire les vols comme des indices dans le paysage. « Les oyseaux… vous monstrent d’aucuns signes futurs, avec autres pronostiqz, que avez de nature et par commune coustume asprins, comme le héron, triste sur le bord de l’eau et ne se mouvant, signifie l’hyver prochain ; l’arondelle volant près de l’eau prédit la pluye, et volant en l’air le beau temps. Le geay, se retirant plus tost que accoustumé, sent l’hyver qui approche. Les grues volans haut sentent le beau temps et serain. le pivert infailliblement chante devant la pluye. La chouette chantant durant la pluye signifie temps beau et clair… » Mais le bestiaire n’a cependant pas vocation météorologique. Nous sommes ici dans le domaine du fabuleux, non de la zoologie. Au-delà d’une lecture élémentaire, c’est à une élection dépassant la science descriptive que le lecteur peut accéder s’il accorde à l’animal une fonction réelle : guide, messager, médiateur, rival… Il n’y a pas de déterminisme dans l’univers forestier, seulement un hasard électif où le cerf, le loup, l’épervier opèrent. Et leur valeur se dépare de toute ambiguïté. La bête détermine l’aventure car son apparition coïncide à une épreuve, à une renaissance héroïque, à un temps donné. Et il n’y a pas de doute quant à la prépondérance d’un animal dans le déroulement d’une étape de la quête. Le lion et le brachet Husdent ouvrent un temps « caniculaire » à Yvain et Tristan dans la forêt qui leur sert de refuge. Et lorsque des chevaliers renoncent à leur vie aventureuse, ils abandonnent les symboles de leur fonction : le cheval, l’oiseau de proie, le chien. Dans le conte du Graal, Perceval renonce ainsi à son destrier en prenant le froc de l’ermite. Quant à Gauvain, c’est à juste titre qu’il conservera son honneur de « chevalier » en refusant d’abandonner sa monture pour s’asseoir dans la charrette d’infamie. 

Les correspondances espace-espèce-temps-couleur forment des combinaisons riches et signifiantes par lesquelles le lecteur est invité à disserter, perdre ses vérités, et courir la forêt… D’abord vient l’affrontement avec la faune sauvage et fantastique, véritable rituel d’ensauvagement du héros. Ainsi en va-t-il de sire Gauvain. « Tantôt il se battit contre des dragons et aussi contre des loups. Tantôt c’était contre des satyres, perchés dans les rochers, à la fois des taureaux et des ours, à d’autres moments des sangliers. » Puis vient le temps de l’affiliation, une forme d’adoubement primitif qui confère à chaque personnage la puissance symbolique et par conséquent magique d’un « totem ». L’ours d’Arthur, le lion d’Yvain, le cerf blanc puis le loup noir de Merlin… Bien sûr, rien n’est dit. Tout est suggéré. La « senefience » de la geste est à l’image de la forêt, dédalienne, ambivalente… Le symbole n’est jamais expliqué, jamais analysé dans les récits mythologiques et médiévaux, dans les contes et les légendes du folklore. Sa force est de bâtir l’histoire. Plus qu’une illustration, la symbolique animalière fonde et féconde le récit. Le symbole vit. Un cheval blanc qui s’arrête au milieu d’un gué, une guerre des chats, le baiser d’une vouivre, le sacre d’un roitelet… Quoi de plus mystérieux, quoi de plus merveilleux que cette grande forêt riche d’une faune si savante.

Le génie d’un bestiaire s’inscrit dans la multitude de ses entrées. Il serait dérisoire de ne retenir qu’une seule allée traversière pour découvrir l’imaginaire de Brocéliande. Bien souvent, trop souvent, le malentendu d’une étude provient d’un bornage étroit de l’espace. Il serait réducteur de limiter le propos au seul champ médiéval, et qui plus est aux romans continentaux de Chrétien de Troyes, alors que cette littérature des douzième et treizième siècles s’inspire d’une matière plus ancienne et plus vaste. Elle foisonne outre-Manche, au pays de Galles avec les si prolifiques Mabinogion, en Angleterre où les clercs, Gervais de Tilbury, Gautier Map, Giraud de Cambrie, Geoffroy de Monmouth, copient les contes et légendes à des fins historiques et politiques. Il s’agit néanmoins de sélectionner sa bibliothèque pour ne pas perdre le fil conducteur qui demeure la matière arthurienne. Aussi serait-il vain d’y ajouter les pièces d’une culture religieuse étrangère, que ce soit l’Ancien et le Nouveau Testament ou les recueils scolastiques du moyen âge chrétien.

La mythologie d’une part et le légendaire d’autre part apportent des « détails innombrables » qu’on ne saurait donc exclure du puzzle de Brocéliande. La légende de la Cane de Montfort doit être replacée dans un contexte celtique pour être comprise. Le patrimoine est aujourd’hui partagé entre plusieurs héritiers. Mythologues, historiens, ethnologues, linguistes, archéologues ne peuvent que s’entendre s’ils veulent retrouver le canevas traditionnel de la vieille matière de Bretagne ! Un lieu-dit, un dicton, une chanson suffisent parfois à renouer le fil. Les animaux ne sont point étrangers à la quête. Ils l’illustrent et l’animent. Et tel Carduino, le voyageur, qui dominant sa peur étreint la Vouivre, peut aussi vaincre le sortilège et discerner au-delà de la semblance des choses. « Que vois-je ? des dragons et des serpents venir sur moi ! J’ai bien peur de rencontrer pis encore ». Alors le nain lui dit : « Tu iras parmi les lions en troupeaux, parmi les dragons, les serpents et les loups trompeurs, parmi les serpents, les léopards et les ours féroces ». Dès que tu rencontreras les dragons, avance encore et n’aie aucune hésitation. Ces derniers ne sont pas des dragons mais au contraire les barons de la dame que tu dois conquérir. Tu trouveras ensuite beaucoup de lions : ce sont tous des chevaliers en armes. Les ours et les sangliers, débordants de fureur, sont des juges et des notaires. les cerfs, les léopards et les chevreuils sont des gens ordinaires de cette ville ; les lièvres, les lapins et les chevreaux, tous sont des enfants si je ne me trompe pas. Ne t’inquiète pas de ces derniers. Ces bêtes blanches si belles sont toutes des dames et de superbes demoiselles. »



articles de presse

« Ce bestiaire dresse un portrait de tous les animaux qui animent ces légendes, des superstitions et coutumes qui s’y rapportent. Lieux-dits, dictons, chansons, mythologie animent ces portraits pour en faire un ouvrage original et extrêmement vivant. Sous la plume de Bernard Rio, on retrouvera la chouette qui, jadis, disait-on, se perchait sur la cheminée  pour attendre l’âme du défunt ; le chat que l’on enterrait au pied d’un pommier pour garantir une récolte prospère ; le cygne messager de l’amour… On y apprendra comment le renard est entré dans la légende à la fois sous les traits d’un rusé goupil et d’un sauveur. Les textes, très documentés, sont illustrés par des photos superbes de Jean-Claude Meslé ».

Le Nouvel Ouest - 3 mars 2000 


« Il existe des livres qui enchantent avant même d’être parcourus, par la seule idée qui les a inspirés : Le Bestiaire Celtique de Bernard Rio est de ceux-là. Les photographies de Jean-Claude Meslé donnent toute sa mesure à une démarche ambitieuse : découvrir sur la piste des animaux l’imaginaire de Brocéliande. Il y a Twrch trwyth, le sanglier traqué par Arthur dans une chasse infernale représentant la lutte entre le pouvoir spirituel du sanglier druide et le pouvoir temporel du roi ours…. Arthur vient de Arz, ours en celtique.

L’ouvrage s’achève sur l’évocation de cette Chasse infernale qui voit cycliquement Arthur passer d’un monde à l’autre annonçant une nouvelle aire de gloire pour la Bretagne, car c’est aussi cela le Bestiaire celtique : un hymne souvent savoureux à l’Armorique.

La Pie, le Renard, la Souris et quarante autres animaux sont de la fête, décrits dans le contexte arthurien et replacés dans le légendaire breton. Ces pages vont bien au-delà du narratif et du descriptif. Elles disent le sens des vieux mythes ».

Saint-Hubert - Septembre 2000


« Tout imprégné de mythologie celtique et du légendaire arthurien qui en est l’émanation, Bernard Rio nous guide à travers une Brocéliande enchantée, peuplée d’animaux plus ou moins sauvages, plus ou moins fantastiques, mais tous porteurs d’une signification particulière qui les dépasse : ce sont des animaux symboles, emblématiques dont l’aspect, le cri ou le chant, les habitudes, observés par nos lointains ancêtres, ont donné lieu à un mélange d’interprétations pertinentes et de superstitions, à des croyances, à des légendes, à des poèmes allégoriques, à des dictons définitifs. Une cinquantaine d’animaux nous sont ainsi présentés, de l’abeille au troglodyte , en passant par le blaireau, l’écureuil ou le sanglier : tout un beestiaire en quelque sorte le résumé de la vieille sagesse populaire, mais avec d’instructives références aux textes anciens, irlandais, gallois, bretons. Ajoutons que l’œil y trouve aussi son compte puisque chaque page est agrémentée de belles photos dues à Jean-Claude Meslé ».

Christian Quéré  - L'Avenir -novembre 2000


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