Signe de l’importance très ancienne des cours d’eau dans la vie quotidienne : le vocabulaire qui leur est attaché emprunte tout ou presque aux comportements humains : on dit d’une rivière qu’elle chante, qu’elle gronde, qu’elle sort de son lit… Eaux rapides des ruisseaux, eaux lentes des étangs, eaux stagnantes des marais : comment lit-on une rivière ? A travers sa faune et sa flore, assurément, mais aussi à travers les multiples usages que nous en avons fait au cours de l’histoire : moulins, pêcheries, prairies inondables, extraction de tourbe, vannerie… A l’heure où il est dit que l’eau est l’enjeu du troisième millénaire, voici un ouvrage plein d’enseignements
Editions Palantines 2005 ISBN : 2-911434-48-X
Les couleurs de la rivière
Pêcheurs, mariniers, éclusiers, meuniers… Il y a un certain nombre de personnes qui ne peuvent se passer de la rivière pour vivre et travailler. Il y a aussi des dilettantes qui vont et viennent au bord de l’eau sans aucune raison que le plaisir vagabond. C’est mon cas. La rivière a toujours fait partie de mon paysage où que j’aille et quoi que je fasse de mes journées. Je me promène et je me nourris de réflexions au fil du Blavet, du Scorff, de l’Oust, de la Vilaine, de la Loire… Rivières de mon enfance et de mon environnement immédiat. Ce livre rassemble des observations de passant, des impressions et des épisodes éparpillés dans le temps et la Bretagne. Je me suis souvenu en l’écrivant de personnes qui m’ont appris à lire la rivière. C’est à elles que je dois quelques-uns des moments et des idées qui jalonnent ces digressions de la source à l’estuaire, qui ponctuent chacun des états de la rivière : jaillissante à la source, intrépide à ses débuts, apaisée dans les méandres de la vallée, exploratrice des basses terres à la fin de l’hiver et finalement unie à l’immensité pour une danse maritale et maritime.
Lorsque Jean-Louis Lemoigne m’a montré les images de ses propres déambulations fluviatiles, j’ai compris que la rivière, à laquelle nous nous référons tous les deux, illustrait un monde sauvage. J’ai alors perçu une distinction non plus entre les hommes qui œuvraient avec la rivière et ceux qui en tiraient une jouissance intellectuelle, mais entre les personnes qui ne pouvaient se soustraire de la nature et celles qui le pouvaient. Ainsi donc j’ai trouvé l’explication à l’inexplicable enfermement de la Loire et comblement de l’Erdre à Nantes ou de la Marle à Vannes. Il y a des hommes qui peuvent s’affranchir du cours de l’eau jusqu’à l’effacer de leur paysage.
J’admets que je me plais à voir l’eau couler sous les ponts, à l’entendre et à la suivre. Je crois davantage à la vertu d’une bergeronnette qu’à un niveau de vie bitumée. Le disant, je justifie mes écarts de pensée et je vais tenter de brosser un tableau de ces rivières sauvages en rappelant des souvenirs personnels, en citant des acteurs et des témoins de ces courants transarmoricains : des hommes bien entendu mais aussi des insectes, des oiseaux, des poissons, des reptiles, des mammifères, des plantes et des arbres dont le parti pris n’est pas moins fiable que mes dissidences.
La réalité de la rivière n’est pas due à un regard univoque. Elle est composée de multiples facettes perçues en des milliers de lieux par des milliers d’yeux. Rien n’est moins vrai que la vitesse du courant dans le bouillonnement d’une cascade. Rien n’est moins intangible que la limpidité de l’eau car le monde aquatique fluctue en permanence. Pourtant l’eau peut être cristalline un instant pour se teinter de bleu, de jaune, de rouge, de noir l’instant suivant. Les couleurs de la rivière ne sont néanmoins jamais primaires et jamais homogènes. Avant, pendant, après une pluie, l’eau courante se nuance des couleurs du ciel et de la terre.
La rivière ensemencée de particules ne ressemble plus à l’onde migratrice qui précède l’orage. Elle n’est plus tout à fait la même. Tandis que je m’abrite sous le chêne courtisan, j’assiste à sa métamorphose. Les gouttes de pluie qui explosent à la surface ne produisent pas le même effet que les eaux pluvieuses qui ruissellent et gonflent son cours. Le voile d’un nuage et l’ombre portée des arbres à la réapparition du soleil forment des contrastes saisissants mais éphémères.
Chaque rivière que je fréquente possède sa gamme de coloris. Et chacune s’apprête dans un ton différent pour surprendre mon regard à chacune de mes approches. Le peintre et le pêcheur cernent le mieux ce jeu subtil puisqu’ils visent, tous deux, à en capter les secrets colorés et empoissonnés en déployant les artifices de leurs propres palettes : pinceaux et lignes, tubes et mouches de couleur.
Définir la rivière, c’est esquisser une esthétique qui ne saurait être que personnelle. Rien ne saurait être moins juste puisque vu à la façon de chacun, dans l’incertitude d’un instant. L’eau boueuse de la Sèvre nantaise en crue ne ressemble aucunement à une autre eau boueuse. Ce n’est pas le même ocre que le pisé argileux de la Vilaine qui dévale à Folleux. À la fonte des neiges de février dernier, les eaux de Corlay reflétaient un éclat gris opaque tandis que je notais, le jour même et à moins de dix kilomètres de distance, un vert blanchâtre dans le cours du Daoulas.
L’effet du soleil n’est pas moins troublant qu’une averse de pluie ou de neige. De prime abord, une eau estivale apparaît claire. Le pêcheur et le baigneur en voient si bien le fond que le moindre geste éloigne les truites qui se remisent sous les rochers. Cette eau rafraîchissante étincelle d’or et d’argent et nos yeux pareillement éblouis ne peuvent déceler immédiatement l’enluminure. Pour que la transparence de la rivière devienne évidente, il faut qu’un nuage blanchisse le ciel, alors seulement le cristal de l’eau s’épure de la blondeur solaire.
Les couleurs d’une rivière dépendent de la lumière du jour : un ciel uniformément gris ou bleu ne rehausse pas les courants et n’éclaire pas les trous d’eau comme un ciel bigarré et traversé de cirrus peut le faire.
Avant que le soleil se lève, lorsque la brume flotte sur l’eau, la rivière s’écoule sans reflet et sans éclat, paraphée par l’heure encore bleuie de la nuit. Elle n’est pas encore sortie des limbes mais déjà un concert d’invisibles oiseaux annonce l’incandescence du jour. Les ombres lentement s’effacent dans le décor aquarellé des balsamines et des sureaux, la rivière emmitouflée de verdure attend le jour pour s’habiller des couleurs du temps qu’il fait. Son monde s’accorde avec elle : la grenouille dans les herbes, la libellule dans l’air, le martin-pêcheur sur la branche, le saumon dans les rapides, le brochet embusqué dans les roseaux. Et l’homme sur son chemin, pointant le bout de ses souliers ou levant les yeux au ciel, cherchant ce qu’il ne trouve pas en ville, trouvant ce qu’il ne cherchait pas : son ego dans le courant de la vie.
« Un ouvrage magnifique »… c’est la première expression qui vient à l’esprit de celui qui découvre les quelques 200 pages remarquablement illustrées du livre Rivières de Bretagne dû à la coopération du journaliste Bernard Rio et du photographe Jean-Louis Lemoigne.
De la Vilaine à l’Aulne, de l’Elorn au Trieux, des rivières impétueuses d »valant des monts d’Arrée aux cours d’eau canalisés par l’homme, c’est toute la richesse et la diversité du réseau hydrographique breton qui se révèle au fil des pages. L’auteur se fait tantôt géographe, tantôt historien mais il se fait aussi naturaliste et poète… Le promeneur y retrouvera les mystères, le charme et la beauté des chemins qui dissimulent dans l’écrin des vallées ; le botaniste, l’entomologiste, l’ornithologue qui sommeillent au fond de chaque amoureux de la nature sera comblé.
Fleurs qui s’épanouissent dans le secret des zones humides, insectes dont les ballets intriguent, oiseaux quelquefois à peine entrevus… C’est toute la magie de ce paradis à notre porte qui vient à nous, tant pour la qualité du texte que pour la beauté des images. Le pêcheur bien sûr n’a pas été oublié : l’anguille, la truite et le saumon y sont aussi révélés de manière somptueuse ».
Jean-Claude Pierre - Rivières de Bretagne - janvier 2006
« Le livre que Bernard Rio vient de publier magnifiquement illustré par les photos en couleur de Jean-Louis Lemoigne, révèle non seulement un contemplatif mais un observateur curieux et attentif. »La rivière a toujours fait partie de mon paysage, où que j’aille et quoi que je fasse » écrit-il dans l’introduction. Pas étonnant dans ces conditions, qu’il commence son livre par un éloge de la pluie, sans laquelle cours d’eau et rêverie disparaîtraient !
Autant dire qu’en Bretagne, Bernard Rio est dans son élément. Notre région compte, en effet, rappelle-t-il plus de 500 rivières. Un réseau d’une rare densité, qui s’éten, au total, sur 15 000 km et que la carte publiée au début de l’ouvrage rend tout à fait impressionnant.
On l’aura compris : « Rivières de Bretagne » n’eest en rien un livcre scientifique ou technique. L’auteur vagabonde au gré de ses pensées, de ses souvenirs, des légendes attachées à telle ou telle rivière. Il nous livre , ici et là, des anecdotes, des témoignages émanant souvent de pêcheurs, évidemment, ainsi que des réflexions personnelles.
Mais son observation ne se limite pas seulement à l’eau. Tout ce qui se rattache à la rivière mobilise son regard, à commencer par les animaux, qu’il s’agisse des truites, des anguilles, des saumons ou des brochets, mais aussi les loutres, les castors, les bécassines ou les bergeronnettes. Les végétaux aussi piquent sa curiosité et son attention : les saules, les chênes, les hêtres, les salicornes.
Bref, cette promenade au fil de l’eau constitue une belle leçon de choses, en même temps qu’un agréable moment de paix » ;
Yves Loisel - Le Télégramme - 6 novembre 2005
« Ce n’est pas une encyclopédie mais des impressions que publient les éditions Palantines avec ce magnifique ouvrage Rivières de Bretagne. C’est un cours d’eau de 176 pages, illustré de plus de 200 photographies en couleurs, né de la rencontre entre deux passionnés, professionnels chacun dans leur domaine. Jean-Louis Lemoigne est photographe naturaliste à Quimper. Bernard Rio, journaliste et écrivain, s’intéresse à la nature et au patrimoine, plus particulièrement aux relations que l’homme entretient avec son environnement.
L’auteur se défend d’avoir voulu faire une encyclopédie, proposant plus exactement des observations de passant, des impressions et des épisodes éparpillés dans le temps et la Bretagne. Le lecteur est ainsi promené au fil de l’eau rapide qui termine sa course dans les bassins, des eaux lentes qui vont à la mer en passant par les zones humides et les marais. Autant de chapitres fort bien illustrés dans cet ouvrage très agréable à feuilleter ».
Eric Lemarchand - Ouest-France - 28 octobre 2005