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  • Du Mont Saint-Michel à l'Adour

    Balades nature

    Découvrir des milieux naturels par la promenade, tel est l’objectif de ce guide de randonnée naturaliste.  Observer et comprendre le patrimoine naturel en empruntant des sentiers tracés et commentés par les meilleurs connaisseurs de ces zones humides : ceux-là même qui gèrent ces milieux exceptionnels dans un souci de biodiversité. 

    L’originalité de ce guide est de proposer des circuits hors des chemins battus et souvent inédits sur le thème de l’eau qu’elle soit douce, salée ou saumâtre. Le premier enseignement de ce guide destiné à tous les amoureux de la nature, qu’ils soient grands ou petits, parents ou enseignants, gestionnaires ou contemplatifs, c’est qu’il n’existe pas deux milieux identiques. 

    Aber à Crozon, Loch à Guidel, Estran et rivière maritime à Vannes, Estuaire  à Lavau-sur-Loire et à Mortagne sur Gironde, île et prairie humide  à Angers, Lac à Grand-Lieu, Tourbières à Glomel et Brasparts, Landes humides à Glomel, étang et rivages lacustres à Saint-Martin-de-Seignanx, Marais littoral à Guissény, Marais arrière-littoral à Châtauneuf-d’-Ille-et-Vilaine, à Braud et Saint-Louis, et à Saint-Just-Lizac, Forêts humides dans l’estuaire dans l’estuaire du Trieux à Plourivo et dans les Landes à Sainte-Eulalie-en-Born, cordons dunaires à Cancale et au Verdon-sur-Mer...  A chaque milieu  mais aussi à chaque saison correspondent une flore et une faune singulières. 

    Chaque itinéraire détaillé avec précision est assorti d’une cartographie, d’un guide pratique et d’un lexique. Du Mont-Saint-Michel jusqu’au piémont pyrénéen, ce guide   sur les territoires de la Fondation pour la Protection des Habitats de la Faune Sauvage et du Conservatoire du Littoralest une invitation à la balade, par landes et par vaux, du nord au sud, sur la côte et dans l’arrière-pays. Botanique, géologie, ornithologie...  Le promeneur apprend en marchant, sans jamais oublier l’histoire des hommes qui ont fait le paysage et le travail de ceux qui le sauvegardent aujourd’hui pour notre plus grand bonheur… Une initiation à la nature poposée aux curieux !

    format 12 x 19 cm, broché, 160 pages

    Rando-éditions  ISBN : 978-2-84182-489-9

  • Golfe du Morbihan

    Couleurs locales

    Pour s’imprégner de l’esprit des lieux, des teintes et des reflets du paysage, des activités des hommes, des multiples visages du patrimoine bâti. Pour goûter aux saveurs et se délecter des gourmandises produites ici, pour visiter les hauts lieux, se glisser dans des intervalles plus intimes, pour comprendre à grands traits l’architecture, l’habitat et les espaces agricoles et maritimes. Pour quelques incursions dans l’histoire et dans les histoires.

    Pour découvrir par la marche à pied ce à quoi l’on accède que pas à pas : la beauté d’un pays, au-delà des apparences, à une allure où tous les sens du visiteur sont en éveil. Pour quelques bribes de déologie, de faune, de flore. Pour convenir des singularités si remarquables du golfe du Morbihan, proposé en cinq secteurs : Vannes (porte historique du golfe); entre Séné et Surzur (retour à l’agriculture) ; la presqu’île de Rhuys (entre les mers); autour de l’île aux Moines (le golfe au coeur); la rivière d’Auray (de la pierre à la mer). Il y en a pour tous les goûts et tous les jours, qu’il fasse soleil ou bien qu’il pleuve, que l’on délaisse son véhicule ou que l’on aille juste de l’autre côté du cadre...

    Rando-éditions  ISBN : 978-2-84182-4373

  • De la Loire à la Gironde, entre terre et mer

    De l’embouchure de la Loire, le plus long fleuve de France, à celle de la Gironde, le plus grand estuaire d’Europe, les sentiers du littoral sont jalonnés d’histoires naturelles et humaines. Atmosphères de marais salants foulés par les pieds nus des sauniers ; mémoires de rivages où la mer a souvent reculé, laissant la terre et l’eau s’entrelacer comme rareremtn ailleurs ; poésie de paysages baignés par la tiédeur des courants marins ; ambianves de pêches et de pêcheries, sorte de moustiques géants tournés vers l’océan, symboles d’un monde entre terre et mer. d’autres histoires, plus inattendues, sont à lire au fil de ce guide ou à vivre en chemin...

    Dakota éditions  ISBN : 978 2 84640 349 8  mai 2012

  • Note2

     

     

  • Bretagne secrète de A à Z

    Présentation

    Bretagne. Le mot franchit instantanément les frontières. Lâchez-le autour de vous : le résultat est gagné d’avance.
    Alors, Bretagne secrète ! Dès lors, l’imagination galope… À chacun son menhir, son dolmen, sa baie des Trépassés, les fantômes des Templiers, les fées de la forêt Brocéliande, l’ombre du roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde, le cœur de la duchesse Anne qui bat chez tous les Bretons depuis 500 ans !
    Qui se cache derrière la redoutable Marion du Faouët ? Pourquoi l’alignement des pierres levées à  Carnac ? Pourquoi autant de « rochers du Diable » ? La ville d’Ys ressurgira-t-elle un jour de la baie de Douarnenez ? Qui étaient les sept saints fondateurs de la Bretagne ?… Ils ont donné leur nom au pèlerinage annuel qui relie les évêchés entre eux, de Quimper à Saint-Malo. On l’appelle : le Tro Breizh. Le Tour de Bretagne.

    Un autre tour de Bretagne, revisité par l’œil d’un spécialiste, s’impose pour décrypter la magie et les sortilèges de la vieille terre d’Armorique… 

    Par ce dictionnaire insolite, quatre millions de Bretons, sur les cinq départements, y découvriront leur patrimoine historique et culturel. Et quatre millions de touristes par an y apprendront ce qui fait de cette   « fin de Terre » au caractère bien trempé, un Éden providentiel.

    Editions du Rocher 2011 ISBN : 978-2-268-07142-8

  • Mystères de Bretagne

    Présentation

    Bernard Rio est un arpenteur de la Bretagne. Au fil des balades, il raconte ses lieux mystérieux et insolites, ouvre la porte d’un monde surnaturel, peuplé de revenants et de diables, de dames blanches et de sirènes, de korrigans et de fées, d chevaliers errants et de moines maudits, un monde de cités englouties, de châteaux hantés et de forêts enchantées... La mort et l’amour se côtoient et se mêlent dans des légendes dont la Bretagne conserve les traces dans son histoire, son paysage et son architecture. On y croise l’Ankou qui erre à la recherche d ses victimes; on se désaltère à des fontaines habitées de sirènes; on se penche sur le gouffre d’Ahès, sépulcre des amants de la belle Dahut; à la nuit tombée on peut apercevoir des revenants qui s’aiment hanter les ruines du château de Rustefan; c’est à l’aube que l’on surprend les dames blanches qui veillent sur les marais; en parcourant les sous-bois des îles enchantés on entend encore le murmure des amoureux; en franchissant le pont du diable on est à peu près sûr qu’il a été construit au bénéfice d’un saint, et en arrivant à la pointe du Raz il n’est pas rare de rencontrer les âmes errantes attendant l passeur du bag-noz pour embarquer vers l’autre monde...

    Autant de lieux, autant de légendes et de promenades à découvrir . Intro

     

    Editions Le Télégramme 2009  ISBN : 978-2-84833-218-5


     

    Danse avec l’Ankou 

     

    Le diable a mauvaise réputation mais bon goût, et je me réjouis à l’idée de mettre mes pas dans les siens en Bretagne, car jamais je n’ai été déçu du spectacle que la nature m’offrait aux Roches du Diable entre Locunolé et Guilligomac’h, assis sur sa chaise à Sulniac, traversant ses ponts à Barbechat, Batz-sur-Mer, Belz, Plouguerneau… Pour être juste, je dois associer l’Ankou, le coursier de la mort, et les sirènes ensorceleuses à cet hommage. Et pour être tout à fait honnête, à la suite du diable, de l’Ankou et des femmes serpentines, l’éloge concerne aussi la cohorte des saints ermites qui, fuyant la compagnie des hommes, préféraient discourir avec les animaux dans des lieux d’une sauvage beauté. La baie des Trépassés, le Yeun Ellez, le mortier de Glénac, les landes de Cojeoux, les alignements du Ménec, la hêtraie granitique du Huelgoat, la chênaie schisteuse de Gâvre, les ruines de Rustefan, les folies de Maximilien Siffait, les îles enchantées du duc de Retz, etc. Partout où le diable a livré combat, où l’Ankou a roulé à tombeau ouvert, où les sirènes ont charmé, où les saints ont cherché la sérénité, là est la beauté du monde et voilà qui change de l’ordinaire urbain.

    Arpenter les landes et les bois aux extrémités du jour, marcher sur les plages en hiver, patauger dans les marais qui débordent, c’est ma manière de pénétrer psychiquement les lieux dont j’aime le caractère abrupt. Celui qui ne fréquente que les chemins battus et les voies goudronnées au milieu de l’été ne me suivra pas en si mauvaise posture. Qu’il gagne son paradis artificiel et qu’il m’ignore, car je me satisfais des pierres qui roulent dans le chemin taluté de Malvran, des ronces et des orties qui défendent l’accès aux murs de Rustefan, des pluies et des vents qui blanchissent les côtes aux équinoxes. Je concède aisément à mon concitoyen affairé l’exclusivité du prochain téléphone « haute technologie » qui grille les neurones pour lui tourner le dos et tirer ma révérence, sans puce électronique, en mode manuel et aléatoire.

    Mon propos n’est pas de convaincre ou de convertir à la nécessité de s’éloigner des foules consommatrices, mais de jouir du monde et de se réjouir d’être. Mon choix des balades est subjectif, absolument imparfait, et sans relation entre la cause touristique et le fait légendaire. La forêt de Paimpont a d’ailleurs bien failli souffrir de ma vindicte tant la pacotille médiévale, qui s’y joue chaque été, dénature la réalité de la haute forêt. Mais, pourquoi aurais-je dû abandonner Brocéliande aux marchands du temple ? Je pense qu’il y a encore la matière et la manière pour l’innocent Galaad de se perdre entre l’étang des Forges et le jardin aux Moines. à lire Robert Wace (1090-1180) le racolage féerique ne date pas d’hier autour de l’abbaye de Paimpont :

    « Tant ont les conteurs conté

    Et les fableurs tant fablé

    Pour embellir leurs contes

    Qu’ils ont donné à tout

    Les apparences de la fable ».

    La fable de Brocéliande puise, à l’unisson du légendaire breton, à plusieurs sources : chrétiennes et médiévales, celtiques et antiques, préceltiques. Et en filigrane des lieux qui m’attirent, il y a l’histoire que je raccommode et que je raccorde à la mythologie. C’est l’histoire des origines, qui n’est pas ici issue de la Bible. C’est l’histoire des mythes occidentaux qui ont façonné l’imaginaire des hommes jusqu’à ce jour. Je partage avec Joseph Roth et Claudio Magris l’idée que les bistrots et les chapelles sont «les endroits d’abandon et de refuge qui nous aident à affronter l’existence et où l’on croise le caractère sacré du monde».   Les chapelles où l’homme se recueille et assemble les pièces de son puzzle métaphysique, le bistrot où il raconte et se raconte. Ces lieux ont relié le profane au sacré et l’homme à l’humanité.

    Il y a, en Bretagne, une tradition qui a empêché le clergé séculier de dormir pendant des lustres. Il y a une croyance qui s’est transmise et a survécu cahin-caha. Que signifie l’irruption des êtres de l’Autre Monde dans le monde des hommes sinon un partage de l’espace et la relativité du temps. Cette croyance aux fées, aux âmes errantes, aux revenants, aux korrigans a triomphé d’un christianisme culpabilisateur et se heurte désormais à une société laïque et dépressive. C’est avec incrédulité que le public du vingt et unième siècle peut aborder la légende. L’histoire est à dormir debout après qu’elle ait causé l’insomnie des braves recteurs d’autrefois. Le programme scolaire apprend en effet à raisonner et à ne plus rêver tandis que le programme télévisuel occupe le temps sans rien apprendre. Le remembrement des esprits est-il plus irréversible que l’arasement des talus ?

    En allant sur les lieux légendaires, en lisant les conteurs d’hier, je dois admettre que l’Autre Monde existe. Il est toujours présent, là où Elvire de Cerny, Emile Souvestre, Anatole Le Braz, Paul Sébillot, François Cadic ont vu et vécu, là où ils ont entendu et raconté des histoires à ne pas dormir du tout. Lorsqu’en 1912, Zacharie Le Rouzic rapporta l’incendie de la maison Le Bail à Plouharnel, il n’y avait aucune raison de ne pas le croire car chacun connaissait et avait pu vérifier les faits :

    « En 1909, la veuve Roussel de Kerivilenne, âgée alors de 82 ans, racontait que quelques années plus tôt en venant d’Erdeven dans une charrette avec son mari, elle avait vu, en arrivant en face de Rondossec, des flammes s’élever au-dessus de la maison Le Bail de Plouharnel. En un moment toute la maison flambait. Elle avait dit à son mari :

    - Presse donc ton cheval pour que nous allions aider à éteindre le feu.

    - Quel feu ? lui répondait-il.

    - Tu ne vois donc pas devant nous la maison qui brûle ?

    Elle lui a touché le bras, et instantanément il avait vu aussi l’incendie.

    En arrivant au bourg, ils ne comprenaient plus rien, il n’y avait pas la moindre trace d’incendie. Huit jours après exactement à la même heure le feu, le vrai, cette fois, avait consumé cette même maison ». Un événement semblable eut également lieu à Bohal en 1 884. La vision collective d’un incendie, sa transcription en 1906 puis sa réalisation en 1944 illustrent non un mystère mais une manière de voir, qui trouble aujourd’hui ceux qui ne voient et qui ne croient en rien. « Les habitants de Bohal virent, vers 1884, l’incendie d’un château en direction de Saint-Marcel. Nous voyions les flammes sortir par de grandes fenêtres. Six ou sept ans après, on apprit qu’un M. Philippe, de Nantes, faisait faire des fouilles pour y bâtir un château. Celui-ci s’est bâti et est bâti à l’endroit où nous avions vu l’incendie. Que signifie tout cela ? La suite des temps le dira peut-être ? » écrivait en 1906 l’abbé Gaspais, recteur de Bohal dans « La signifiance du château de M. Philippe ». Or c’est devant les Hardys-Béhelec, le château de M. Philippe, que commença la bataille du maquis de Saint-Marcel le 18 juin 1944… Le lendemain, soixante ans après la vision des habitants de Bohal, le château partait en fumée.

    Des histoires comme celles-là, il y en a plein le tiroir d’une armoire que personne n’ouvre plus, l’armoire à corniche remisée dans le garage car trop grande, trop haute, trop vieille, trop paysanne, trop majestueuse pour l’intérieur formaté des apprentis-robots câblés sur les chaînes satellites, gobant les fictions hollywoodiennes, ignorant l’endroit où ils sont et l’envers où ils n’iront pas.

    Mes balades à travers la Bretagne, au fil des jours et des pages, ressemblent à une longue digression historique. Chacune peut être l’occasion d’une réconciliation avec l’âme de ce pays si mal connu, si mal compris, si galvaudé par les marchands de faux souvenirs. 

    Ceux, qui marchent dans les vieux chemins de légende en levant la tête, retrouvent une allure commune aux pauvres et aux riches, aux gens des campagnes d’hier et d’aujourd’hui. Ceux, qui marchent en rêvant, trouvent la liberté en chemin. Ceux, qui rêvent en marchant, éprouvent le sentiment d’appartenir à un monde immuable. Ils avancent et ils s’accordent à une nature qui broie toute œuvre humaine. Pierres disjointes par les racines, mangées par les lierres et les fougères, enrobées de lichen et de mousse, que reste-il des forteresses de l’orgueil ? Démantelées, saccagées, abandonnées, oubliées, les ruines ne prétendent pas à l’éternité. Les esprits, qui hantent ces maisons ventées, attendent en vain comme l’Ankou qui rôde du côté de Saint-Servais, cherchant l’âme de celui qu’il n’a pas réussi à trouver depuis un méchant soir, dans les années soixante. Le docteur Edmond Rébillé, qui exerça dans le pays, a romancé la savoureuse mésaventure du conducteur : « Une nuit la Mort commande à l’Ankou d’aller cueillir une âme à Botilio, celle d’un grand, d’un très grand malade. Vous comprenez que si le malade n’avait été qu’un tout petit peu malade, ou même pas du tout, il serait pas mort. Voila l’Ankou qui part en deux-chevaux avec l’adresse sur un bout de papier. Seulement en ce temps-là il n’y avait presque pas de pancartes de signalisation dans la commune. Et puis il y avait aussi des galopins qui s’amusaient à les déplanter et à les replacer au hasard. ça, c’est des choses qu’on voit plus, de nos jours… Vous imaginez ça ? Toujours est-il que l’Ankou se perdit par les chemins boueux. Or il existe 93 écarts et lieux-dits à Botilio. L’Ankou tambourinait à toutes les portes pour obtenir le renseignement. Personne n’ouvrait ni ne répondait. Il tourna toute la nuit dans la commune, espérant découvrir par hasard la maison du mourant avec ses chandelles, ses voisins assemblés, ses enfants de choeur et son curé. Il ne la trouva jamais. On raconte que depuis cette nuit-là, l’Ankou circule sans fin sur les chemins de l’Argoat et de Botilio en particulier. Méfiez-vous si vous apercevez une vieille deux-chevaux qui hoquète, qui caquète, qui cliquète, qui enquête. Elle rackette. De temps en temps, le chauffeur simule une panne d’essence. Personne ne vient à son secours parce qu’il a une sale tête, une tête en os. C’est une sale maladie, la tête en os. Celui qui s’arrêterait pour rendre service à l’Ankou serait illico-presto capturé et emmené dans l’autre monde par des chemins qu’il n’est pas nécessaire de signaler, parce qu’on n’en revient jamais ».

    L’Ankou qui se perd dans le bocage, voilà qui était extraordinaire et qui serait désormais improbable avec «l’indispensable GPS» qui ordonne les conduites et interdit les déviances. Est-ce un hasard ou une coïncidence si c’est à Saint-Servais que l’Ankou a tourné en rond ? Car l’auteur de La Légende de la Mort, Anatole Le Braz y a vu le jour en 1 859, un siècle avant que le héros du livre faillisse à son aura. C’est aussi dans les parages que le diable mourut de froid. Le décès du plus célèbre SDF du monde eut lieu à la porte de la chapelle de Burthulet. Il faisait si froid que les ajoncs avaient gelé. Le diable avait joué de malchance. « Tant qu’il y aura des fleurs à fleurir, le diable ne sera pas le maître du monde », dit-on en Bretagne. Et c’est pour ne pas laisser un jour sans fleurs que l’ajonc enlumine l’hiver breton.

    À Burthulet, la légende est plus forte que la réalité. Mais le diable ne meurt jamais pour de bon et l’homme non plus. La mort, dit-on encore, est le milieu d’une vie. Mourir pour connaître la suite ! La danse macabre qui décore les chapelles de Plouha et de Kernascléden rappelle que personne, (princes et manants, sacristains et sacripants), n’échappe à la ronde. Mais, en ce pays qui préfère les exceptions à la règle générale, les jeux ne sont jamais faits d’avance. Ni le diable ni l’Ankou, ni dieu ni personne ne doivent jurer de rien. L’enfer est froid et, ainsi qu’il a été vu en 1 884 à Bohal, le passé comme le futur interfèrent avec le présent. Les esprits désenchantés prétendent que les temps ont changé. Erreur de jugement et prétention sans conséquence que cela. Ce n’est pas le temps qui passe mais les hommes. 

    La Bretagne n’est pas le pays de nulle part mais le pays du possible. Nul besoin de fermer les yeux pour aller voir ailleurs. L’Autre Monde est ici ou là, et ce n’est pas un mal.


    Articles de presse

     

    « Non content d’arpenter par tous les temps les landes, bois et plages de Bretagne, Bernard Rio la raconte et la photographie avec davantage que du talent : une exigeante passion. Le résultat ? Un séduisant album sur les légendes de Bretagne, le meilleur vade-mecum  pour le randonneur comme pour le rêveur en chambre. Bien sûr , avec Bernard Rio, nous quittons les chemins goudronnés pour nous enfoncer dans les taillis pleins d’orties et de ronces, nous crapahutons pour nous libérer. Dames blanches ou Morganes des lacs, des rivières et de l’océan, chapelles templières et fontaines guérisseuses, châteaux en ruines et cités englouties, arbres sacrés et tombes de chouans, Bernard Rio nous initie pas à pas à une Bretagne qui, malgré l’arasement des haies et le remembrement des esprits, conserve dans son paysage comme dans son architecture les traces de notre monde ». 

    Christopher Gerard

    Christopher Gerard - La NOuvelle evue d'Histoire  - Septembre 2009

     

    « Chapelles, arbres, menhirs, landes... Aucun lieu, aucun monument ne semblent inconnus à Bernard Rio, dans cette Bretagne intérieure qui recèle tant de signes et de traces de l’Autre Monde.

    C’est cette exploration un peu vagabonde qu’il nous fait partager, au fil des légendes, des croyances et des rites qui ont marqué notre région de leur empreinte. Pour autant, l’auteur ne donne pas dans le folklore : le chapitre assez sévère qu’il consacre à Brocéliande en est la preuve ! Un livre utile pour voyager à notre tour grâce aux pistes de visites et de lectures proposées à la fin de chaque chapitre...»


    Yves Loisel - Le Télégramme - Mai 2009

     

     

    « L'envers de la carte postale 

    Bernard Rio connaît mieux la Bretagne que quiconque ll y a consacré de nombreux ouvrages. Le dernier en date étant Mystères de Bretagne, balade au pays des légendes Bernard Rio y proposeune autre image de la région, loin des clichés de bigoudènes et de paysages grandioses battus par les vents. Il va à la rencontre des mythes populaires et du petit patrimoine perdu dans la campagne chapelles, fontaines, ruines de châteaux, forêts profondes, calvaires...

    Le premier chapitre est consacré à l'Ankou, le coursier de la mort. Bernard Rio exhume de vieilles histoires savoureuses sur ce personnage mythique, comme celle contee par le docteur Rébillé- l'Ankou erre en 2CV dans le village de Botilio à la recherche d'un vieil homme. Pour poursuivre sur ce thème, l'auteur invite à se promener dans des lieux symboliques comme la baie des Trépassés, le Yeun Ellez, la hêtraie granitique de Huelgoat .. Bernard Rio va aussi à la rencontre des lavandières, des korrigans, de Dahut, des dames blanches, des âmes errantes...». 

    Le Progrès de Cornouaille - Juin 2009

     

    « Rendez-vous avec l’étrange...

    Regardez, écoutez, laissez vous étonner, le mystère breton est au détour des chemins creux, niché dans une chapelle, un chaos rocheux, un vieux manoir Cet album érudit de Bernard Rio propose une relecture de notre paysage, à la rencontre de l'étrange et (parfois) de l'inexplicable...»

    Bretagne Magazine - Juillet 2009



  • Pardons de Bretagne

    Présentation

    La Bretagne est le pays des Pardons. Depuis des temps immémoriaux, chaque année les hommes se rassemblent autour des six mille chapelles qui maillent le paysage et la culture de la Bretagne. Défiant les modes, ils y célèbrent huit cent saints légendaires dotés de pouvoirs mystérieux et avec lesquels ils entretiennent de relations bien particulières.

    Davantage qu’un pèlerinage, le Pardon mélange la fête religieuse et la foire profane. Les pardonneurs se prêtent à des rites et à des pratiques que l’église a parfois mais en vain tenté d’interdire au cours des derniers siècles : triple circumambulation autour du santuaire, baiser des statuts et des reliques, ablution au fontaine, accolement de mégalithes, embrasement de bûchers, offrandes et invocations, chants et danses, jeux... Dans la Bretagne du XXIe siècle, plusieurs milliers de pardons rassemblent à la belle saison des centaines de milliers de Bretons qui perpétuent une tradition millénaire. La particularité du Pardon est de participer à une double culture - chrétienne et celtique - de se rattacher à un espace - la paroisse - et à un temps - la fête du saint - qui s’enracinent dans un passé à la fois mythique et historique.

    C’est un extraordinaire voyage, de sainte-Anne d’Auray à Locronan, que Bernard Rio a réalisé, cheminant avec les pèlerins du Tro Breizh, assistant au salut des bannières à Minihy-Tréguier, aux cavalcades des chevaux au pardon de Saint-Gildas, à la bénédiction des vaches à Carnac, à la descente de l’ange qui enflamme le bûcher de Notre-Dame de Quelven, à la Dérobée dansée à Moncontour... Un voyage étrange et merveilleux dans la Bretagne des Pardons. Intro

     

    Editions Le Télégramme 2007   ISBN : 978-2-84833-184-3



    Aux origines du Pardon

     

     

    La croix en argent surgit du porche. Une croix étincelante dans la lumière blonde et oblique de l’après-midi de septembre. Elle jaillit d’une ombre monumentale, une basilique abyssale. Son porche qu’on dit flamboyant ouvre sur un monde obscur d’où sortent une à une les bannières de la procession. Voici l’oriflamme cramoisie du quartier Saint-Antoine suivi des couleurs de Saint-Gilles, Kervignac, Inzinzac, Branderion, Lochrist, Penquesten, Saint-Caradec, Notre-Dame-de-la-Joie… Cette année encore, les paroisses des alentours n’ont pas manqué le Grand Pardon d’Hennebont. La bannière de Notre-Dame de la Houssaye est même venue de Pontivy pour saluer sa consœur du Vœu. 

    Tissée de fils d’or, la plus ostentatoire des bannières, l’orifamme de Notre-Dame du Voeu précède la statue d’argent portée en majesté par six robustes paroissiens. Viennent ensuite le clergé et une foule de quelques centaines d’hommes et de femmes. Croix en tête, la procession descend la place pavée et butte sur les ganivelles de la fête foraine. Confrontation des mondes et illusion d’optique : la croix de procession s’insère plein ciel entre les pylones d’une machinerie multicolore supposée étourdir l’adolescence hennebontaise. Minuscule désuétude et tentaculaire duperie. Les pèlerins ne parviendront pas jusqu’à la tour médiévale de Bro-Erec, ils virent devant le “puits ferré” où nul citadin ne puise plus son eau et se détournent des sirènes hurlantes. Leurs psalmodies couvertes par les cris de la fête. Va de retro. Moins d’une heure à marcher dans les rues désertes de la ville haute, à commémorer le Vœu de 1699, à me remémorer ce Pardon de mon enfance, à revenir au point de départ.

    Circumambulation du corps et de l’esprit. Retour en arrière sur une pratique locale, collective et familiale. Recours à la mémoire pour recomposer un puzzle de rites : messes basses et solennelles, prônes, vêpres, procession, chapelet, fête populaire et repas de crêpes. Je ne ressens pas d’opposition entre le Pardon de ce jour et mon souvenir d’enfance. Cependant cette continuation me semble anachronique dans un monde qui a tant bien que mal changé les hommes. “Chanjet des en amzer, chanjet des e me spered”, dit une vieille chanson de ce pays. “Le temps a changé, il a changé dans mon esprit”.

    Pourtant, je ne ressens pas de contradiction entre l’enfant qui croyait et le quêteur que je suis devenu. Je ne doutais pas et je ne renie pas le mystère qui m’a éloigné des marchands du temple. En avril 1883, Ernest Renan témoignait d’un semblable et « indestructible pli » contracté pendant son enfance à Tréguier. « Cette cathédrale, chef-d’œuvre de légèreté, fol essai pour réaliser en granit un idéal impossible, me faussa tout d’abord. Les longues heures que j’y passais ont été la cause de ma complète incapacité pratique. Ce paradoxe architectural a fait de moi un homme chimérique, disciple de saint Tudwal, de saint Iltud et de saint Cadoc, dans un siècle où l’enseignement de ces saints n’a plus aucune application. Quand j’allais à Guingamp, ville plus laïque, et où j’avais des parents dans la classe moyenne, j’éprouvais de l’ennui et de l’embarras. Là, je ne me plaisais qu’avec une pauvre servante, à qui je lisais des contes. J’aspirais à revenir à ma vieille ville sombre, écrasée par sa cathédrale, mais où l’on sentait vivre une forte protestation contre tout ce qui est plat et banal ». En relisant sans me lasser les souvenirs d’Ernest Renan, je mesure l’incompréhension que cet homme hors norme suscitait dans une église qui portait déjà les signes de son déclin spirituel et temporel. Le religieux Renan soulevait le voile gris de l’histoire et retrouvait le palimpseste enluminé de nos origines claniques et migratrices. Saint Yves de Vérité lui avait offert sa clairvoyance des choses anciennes et son horreur pour « tout ce qui est plat et banal » dans un dix-neuvième siècle qui vit le triomphe des uniformes : soutanes noires, tuniques bleues et blouses grises. Le vingtième siècle a pris le pli du précédant en mode rapide, effaçant les traces d’une culture archaïque en prônant l’abondance manufacturée, surenchèrissant avec inconséquence.

    En ce début du vingt et unième siècle, sur le parvis de la basilique d’Hennebont, revenu à ma ville natale, revenu à moi-même en compagnie de mes cousins pardonneurs. Je chemine en plein paradoxe. La procession avance à pas comptés. Elle fait halte à chaque coin de rue comme si elle cherche son souffle. Combien de temps encore, le sinueux simulacre se perpétuera-t-il ? Dans combien d’années, la fête profane prendra-t-elle le pas sur la fête religieuse pour la diluer puis la dissoudre ? Cette année, il n’y a pas eu de dialogue entre la foule qui processionnait et les badauds qui cédaient aux stridences des manèges assiègeant la ville close. Chacun dans sa file a esquivé l’autre, concédant à l’obéissance ou cédant à la tentation. Indifférence ou incompréhension ?

    Au Pardon de Sainte-Anne-La Palud où je m’étais aventuré un mois plus tôt, une autre juxtaposition du sacré et du profane induisait le mélange des genres entre les offices. Les baraques foraines ne désemplissaient pas pendant les messes solennelles et la foule basculait d’un lieu à l’autre pour se vouer et se dévoyer alternativement.

    Le temps où les recteurs et leurs vicaires se plantaient devant les manèges pour dissuader par leur présence silencieuse et sentencieuse les pèlerins de se divertir, ce temps béni est dépassé. Les curés ne font plus la loi dans les villes et les campagnes. Ils n’en ont plus ni le pouvoir ni la volonté. Les réjouissances profanes ne sont-elles pas indissociables du Pardon breton !

    L’erreur serait peut-être de dater le Pardon du Vœu à mon enfance pré-soixante-huitarde à l’instar de ces commentateurs qui dissertent sur les pardons en se contentant des commentaires de feu Anatole Le Braz. Le Pardon du Vœu souligne une permanence mariale de trois siècles mais ne perpétue-t-il pas une autre réalité, géographique et métaphysique, religieuse et communautaire !

    Porter la statue de Notre-Dame du Vœu le dernier dimanche de septembre dans les rues d’Hennebont, c’est répéter et respecter une promesse ancestrale, la prière des Hennebontais qui se vouèrent à la Vierge Marie en 1 699 pour se prémunir de la peste. L’année suivante, une statue d’argent fût portée en procession dans la cité miraculeusement sauvée du péril bubonique. Tant que les pardonneurs pérégrinent, le vœu est exaucé, la cité préservée. Le sait-on encore ?

    En 1792, la statue fut enlevée par les Révolutionnaires et fondue à Nantes. Âge sombre pour les pèlerins privés de représentation divine, exposés aux terreurs de la Raison. Au lendemain de la Révolution, une nouvelle statue arriva dans l’église restituée au culte. En 1900, son couronnement en présence de plusieurs dizaines de milliers de pèlerins fut l’écho terrestre du sacre céleste de la Vierge Marie. La statue devint la représentation solennelle de la Madone. Mille ans après le Concile de Nicée, l’évêque de Vannes accréditait trois cents ans de piété populaire en consacrant lui aussi le culte des images !

    Notre-Dame du Vœu n’est que la dernière née des Vierges votives hennebontaises. Elle prit lieu et place de Notre-Dame-du-Paradis qu’un forgeron avait installée en 1514, probablement inspiré par Notre-Dame de la Joie, honorée depuis 1 252 dans l’abbaye fondée aux portes de la ville par la duchesse Blanche de Champagne ; Notre-Dame s’étant elle-même substituée à sainte Marie de Kerguelen vénérée sur la rive droite du Blavet au onzième siècle. Voilà qui ramène au moyen âge et dans la vieille ville rasée en 1 250 par le duc Jean Le Roux, dans la paroisse Saint-Caradec dont la bannière blanche et bleue rappelle son antériorité sur les autres saints topiques.

    Caradec ? À quel saint faut-il que je me voue ? Caradec, Karadeg, Caratacos, Caradawc… C’est toujours la même origine dérivée de kar « ami ». Hormis l’étymologie et son ascendance galloise, les gens de lettres et les gens de la terre ne s’accordent sur aucune de ses vies. De la fin du cinquième siècle au début du douzième siècle, saint Caradec aurait cumulé plusieurs états. On le dit moine au pays de Galles, harpeur du roi Rhys, mais aussi prêtre et ermite à Trégomel à quelques dizaines de kilomètres d’ici. La fête paroissiale correspondrait à sa fin dernière, le 13 avril 1124.

    Ce saint breton est représentatif d’une hagiographie merveilleuse et légendaire. Saint par la volonté du peuple sans jamais avoir été adoubé par l’évêque de Rome, saint exemplaire car il incarne la nature atavique du Pardon breton qui relie les hommes et leur terre, le monde des vivants et la divinité, l’histoire et le mythe.

    Saint Caradec aurait pris possession de ces lieux avant Notre-Dame. Aurait-il aussi anticipé le christianisme ? Dans les Mabinogion, ces récits gallois qui ont précédé les romans courtois de la Table Ronde, plusieurs héros portent cet amical patronyme : le fils du roi Llyr, Caradawc Vreichvras fondateur de la dynastie de Morgannwg, mais aussi le fils du roi Bran Bendigeit que les Gallois identifient à Caratacos, fils de Cunobelinos roi des Trinovantes, vaincu en 49 après Jésus-Christ par le romain Aelius Plautus ! Continuant en amont de l’histoire, voilà Caradawc père du dieu de l’océan Manawydan…

    Pour un saint inconnu du calendrier de l’église universelle, voilà une généalogie merveilleuse. J’avoue que le saint homme, jadis invoqué par les futurs mariés à sa fontaine dans le bas de la rue Le Saec, mérite mon admiration pour sa capacité à traverser les âges et à résister aux réformes canoniques. Cette faculté d’adaptation me remplit d’aise alors que je m’interroge sur la pérennité du Pardon breton en ce siècle.

    « Eau non potable » annonce le panneau accroché à la fontaine de dévotion. Un filet d’eau verdâtre s’écoule de l’enclos encastré entre les murs gris. Les amoureux ont déserté un endroit sans agrément, abandonné au temps qui ride, fissure et grince. A vingt mètres, la chapelle Saint-Caradec n’est pas plus avenante. Porte fermée. Un avis municipal en interdit l’accès au paroissien, pour sa prétendue sécurité… La chapelle ne serait plus conforme aux normes. Elle n’est surtout plus à sa place dans une société du beaucoup avoir et du mal être.

    Une brise froide court dans la rue Trottier et gonfle la bannière du patron de la rive droite du Blavet. Un courant d’air qui rafraichit les idées et tourne les pages d’une Vita bien remplie. J’apprécie la lignée légendaire du moine : ces parentés annoncées comme des trophées qui se lisent encore dans un roman breton du douzième siècle, « Le Livre de Caradoc Briebras » à rapprocher de son cousin gallois Caradawc Vreichvras. Ce « Caradec aux gros bras » serait contemporain du sauvage anachorète, l’un roi du pays de Vannes, l’autre ermite à Tregomel. Entre la littérature courtoise et la légende chrétienne, je souhaite bien des nuits blanches à qui prétendrait démêler la réalité galloise de l’invention bretonne et vice-versa. 

    Continuation ! Telle est la règle que je suis et à laquelle je me suis familiarisé en lisant les hagiographies et les romans médiévaux, en arpentant les lieux-dits, en écoutant les contes et les légendes de ce pays qui n’en finit pas de m’intriguer.

    Le Pardon de Notre-Dame du Vœu est ce que les historiens des religions appellent un pélerinage urbain par distinction avec la fête rurale et champêtre. Effectivement la procession ne déborde pas du siège de l’ancienne sénéchaussée d’Hennebont. Au cœur de l’agglomération moderne, face à la mairie  communiste qui occupe le presbytère du xixe siècle, la basilique se situe hors de la ville close, sur la rive gauche, et à l’opposé de la motte féodale sur la rive droite du Blavet. Édifiée en dix ans, 1514-1524, sous la houlette de François Michard, « febvre dudict henbont » maréchal-ferrant et serrurier, qui se voua à Itron Varia ar Baradoz, Notre-Dame de Paradis, et mourut épuisé d’avoir bâti son chef-d’œuvre gothique.

    Avant d’être paroissiale, l’église fut la propriété de l’abbaye cistercienne de la Joie-Notre-Dame, dont l’abbesse jouissait du titre et des revenus de recteur. Le premier du nom est Guillemette Rivallen qui figure sur le vitrail central en compagnie du maître-bâtisseur. Naturellement dispensée de célébrer les offices, la Prieure se réservait un banc près de la table de communion et faisait porter la crosse abbatiale par un vassal pendant la grand-messe et les vêpres. Elle disposait aussi d’un vicaire perpétuel pour assurer l’intendance du lieu saint et accueillir les pèlerins, lesquels visitaient Notre-Dame-du-Paradis bien avant le vœu de 1 699.

    L’histoire de la basilique a ainsi occulté l’existence de la chapelle primitive construite au bord d’un petit étang qu’alimentait une fontaine de dévotion, un lieu si agréable qu’il fût baptisé le « Paradis ». Les pèlerins s’y rendaient en foule et se reposaient dans un bosquet à flanc de colline. Ce furent leurs offrandes autant que les subsides de l’abbaye qui financèrent les grands travaux de François Michard. 

    Une chapelle, une fontaine, un étang, un bois… Le Paradis ?

    Aurais-je enfin trouvé l’explication à une autre anomalie hennebontaise ? Comment se faisait-il que la basilique ne fut pas construite au faîte de la colline ! Un édifice aussi imposant devait dominer l’espace,  à l’instar des autres sanctuaires mariaux Notre-Dame de Quelven, Notre-Dame-de-la Tronchaye, Notre-Dame-du-Roncier, Notre-Dame-de-Rumengol… Accrochée à mi-pente, la basilique était à mi-chemin entre les mortels et Dieu. Elle se trouve aujourd’hui entre les vivants d’en bas et les morts d’en haut… Car à Hennebont, le cimetière surplombe la ville ! Les ancêtres veillent sans mot dire sur l’ancien Paradis.

    L’emplacement primitif a naturellement été conservé car il était le pont entre les cultes, entre les mondes, entre les saints d’hier et d’avant-hier, il était de facto sacré. Il était le locus consecratus d’Hennebont. L’architecte ne pouvait envisager un autre lieu. Il ne pouvait s’affranchir de la nature du lien. En d’autres temps, il en aurait été autrement.

    En 1835, lorsque Prosper Mérimée visita l’édifice, le porche occidental était lézardé et l’ensemble menaçait ruines. Douze ans plus tard, Cayot-Délandre alertait encore l’opinion : « Si l’on n’y prend garde, l’église d’Hennebont s’écroulera comme s’est écroulée la belle tour de Quelven ». Ni le temps ni les guerres n’ont cependant eu raison de l’église et de son clocher, pas plus les Ligueurs de 1 590 que les bombardiers anglo-américains de 1943-1944.

    Les maçons se sont succédé pour réparer les affres du temps et les folies humaines : 1709, 1803, 1906, 1 951… Plusieurs fois remanié, le clocher demeure un de mes repères avant d’arriver à Hennebont. 65,65 mètres ! une belle hauteur pour être vu de loin, pour être vu des pèlerins et leur donner l’allant pour une dernière heure de marche.

    à quatre kilomètres à l’ouest, la Montagne du Salut. L’usage y était de tirer son chapeau, de s’agenouiller et de se signer pour réciter une prière ou entonner un cantique. Le Salut à Notre-Dame du Paradis est du même ordre que l’Ultréïa à Santiago de Compostela ! Pardonneurs bretons et jacquets partageaient le même rite sur le chemin d’un autre monde.

    Aujourd’hui, la pérégrination se déroule dans la ville, réduite à une portion de bitume. Qui ne veut pas de l’autre : ceux qui prient ou ceux qui s’amusent. Qui et pourquoi interdire le mélange du profane et du sacré ? La peur sans doute, cette satanée catin qui traîne dans les esprits les plus forts et professe le non dit. Dommage car l’ami Caradec et la Bonne Dame ont vu bien d’autres carnavals coiffer les iconoclastes et des défilés plus sanguinaires raser les têtes.

    Cousue d’or et d’argent, la procession disparaît par où elle est apparue. Le porche à double baie cligne de l’œil. Une seule des deux portes est ouverte pour aspirer le flux des pèlerins. Les porteurs de croix et de bannières s’inclinent comme en allégeance pour entrer dans le sanctuaire. Je regarde leurs silhouettes muées en ombres dans le faux jour de l’automne. Le flux s’écoule pas à pas dans le vaisseau de pierre. Gothique finissant et millénaire ânonnant. La lourde porte bientôt se referme pour les ultimes incentations du Grand Pardon de Notre-Dame du Vœu. L’église a fermé les yeux. Derrière la porte close, les pardonneurs prient sans craindre la fureur du dehors.

    Il reste une loge vide sur le trumeau central du porche, une place qu’occupait jadis une Vierge à l’Enfant. Qu’est-elle devenue ? Volée, mutilée, mise sous séquestre… ? Dans la prochaine heure, le soleil éclairera son absence. Lorsque les hommes sortiront le soleil leur fera face, et j’aurai quitté ma ville natale, repris le chemin de mon promontoire d’adoption, ma besace remplie de souvenirs.

    Le dernier dimanche de septembre, revenu à Hennebont pour suivre la procession, pour entendre le Magnificat. Pendant leur marche lente, les pèlerins ont chanté des cantiques tristes d’amour, des airs graves pour se donner la cadence. Leurs voix se sont perdues dans les rues. Je me suis souvenu de mon enfance. Je me suis interrogé sur la généalogie de cette cérémonie, supputant les avant-guerres, imaginant le lieu bucolique, un Paradis au bord du Blavet. Recueillant des indices jusqu’au commencement du rite. Et parce que le monde s’emballe et se parjure par tout ce qui est plat et banal, je cherche dans le Pardon les reliques d’un temps qui soit ni éphémère ni mercantil, la persistance d’une pensée originale, la substance d’une tradition vivante. William-Butler Yeats en a écrit l’éloge sur les lieux enchantés de Sligo. « Les Églises du Moyen Âge réussirent à s’assurer le service de tous les arts parce que les hommes comprenaient que lorsque l’imagination est appauvrie, une voix essentielle - d’aucuns diraient : la seule voix - en faveur de l’éveil du sage espoir, de la foi durable, et de la charité compréhensive, ne peut proférer que des paroles brisées, si elle ne tombe pas dans le silence ». Ce silence menace la Bretagne de demain, un silence empreint de vulgarité et de mensonge si l’homme nie l’intelligence des choses, s’il se perd en faussant ses traditions et son imagination.

    Le dernier dimanche du mois de septembre, c’était jour du Grand Pardon de Notre-Dame du Paradis à Hennebont.



    Articles de presse

    « La Bretagne est le pays des Pardons. Depuis des temps immémoriaux, chaque année les hommes se rassemblent autour des six mille chapelles qui maillent le paysage et ta culture de la Bretagne Défiant les modes, ils y célèbrent huit cents saints légendaires dotes de pouvoirs mystérieux et avec lesquels ils entretiennent des relations bien particulières. Davantage qu'un pèlerinage, le Pardon breton mélange la fête religieuse et la foire profane. Les Pardonneurs se prêtent à des rites et à des pratiques que l'église a parfois mais en vain tenté d interdire au cours des derniers siècles : triple circumambulation autour du sanctuaire, baiser des statues et des reliques,

    ablution aux fontaines, accolement de mégalithes, embrasement de bûchers, offrandes et invocations, chants et danses, jeux…. Dans la Bretagne du XXIe siècle, de nombreux pardons rassemblent à la belle saison des centaines de milliers de Bretons qui perpétuent une tradition millénaire. La particularité du Pardon est de participer à une double culture, chrétienne et celtique, de se rattacher a un

    espace, la paroisse, et à  un temps, la fête du saint, qui s'enracinent dans un passé à la fois mythique et historique. C'est un extraordinaire voyage, de Sainte Anne d'Auray à Locronan, que Bernard Rio a réalisé, cheminant avec les pélerins du Tro Breizh, assistant au salut des bannières à Minihy Treguier, aux cavalcades des chevaux au pardon de Saint Gildas, à la bénédiction des vaches à Carnac, à la descente de l'ange qui enflamme le bûcher de Notre Dame de Quelven, à la Dérobée dansée à Moncontour… Un voyage étrange et merveilleux dans la Bretagne des Pardons.

    Cet ouvrage est remarquable à plus d'un titre C'est un beau livre, richement illustré des photographies de l'auteur C'est aussi,

    et avant tout, un vrai livre, pas la simple compilation des multiples essais sur la question. Bernard Rio sait de quoi il parle. Profondément enraciné dans sa région, auteur de nombreux ouvrages traitant de la matière et de la culture bretonne (patrimoine, environnement, tourisme, traditions, art de vivre ), son dernier ouvrage est un témoignage vécu. ll parle de pardons qu'il a suivis, il cite les textes qu'il a lus. Mais il y a plus encore, son ouvrage reflète une profonde connaissance parfaitement maîtrisée, abordant chaque thème de façon transversale, allant bien au-delà de la simple description événementielle, le tout servi par une écriture vive, érudite tout en restant accessible, qui rend a la lecture du texte un plaisir quasi romanesque.

    Bernard Rio lance aussi un cri qui est autant d'amour que d alarme. En suivant les Pardons d'aujourd'hui, et en cherchant les indices d'une longue filiation, il « cherche dans le pardon les reliques d'un temps qui soit ni éphémère ni mercantile, la persistance d'une pensée originale, la substance d'une tradition vivante ».  Il ressent la nécessaire complémentarité de tous les arts la seule voix n'étant

    pas suffisante pour ne pas basculer dans le silence. Avant d'ajouter «Ce silence menace la Bretagne de demain, un silence empreint de vulgarité et de mensonge si l'homme nie l'intelligence des choses, s'il se perd en faussant ses traditions et son imagination»

    Alors, pourquoi ne pas aller de ce pas suivre la Grande Troménie de Locronan qui reprend tous les six ans, au mois de juillet le même itinéraire immuable a travers les champs de blés et les talus, la continuation, d'après les historiens, d'un grand cérémonial

    celtique lié a la représentation du cycle calendaire. Douze stations et douze kilomètres à parcourir silencieusement en suivant le soleil. » 

    Jean-Yves Paumier, Le Nouvel Ouest, septembre 2007


     

    « Bernard Rio nous livre un précieux ouvrage sur les Pardons de Bretagne accompagné de ses propres photographies. A la lecture des textes, on imagine l’auteur, carnet de notes en poche et appareil photo sur l’épaule, vadrouiller de pardon en pardon à travers la Bretagne, du premier au dernier de la saison. Le ton adopté est celui du reporter, écrivant en sa propre personne et n’éhsitant pas à prendre position ou jouer au badaud, pour tenter de saisir l’ambiance « de l’extérieur ». Le reporter des pardons, une fois rentré chez lui, n’hésite pas à mettre en perspective les précieux témoignanges d’un temps révolu recueillis par Anatole Le Braz et publiés dans l’ouvrage intitulé Au Pays des Pardons, aimant aussi citer quelques vers bien trempés de Tristan Corbière, qui donnent une idée de l’ambiance du pardon de sainte-Anne-de-la-Palud à la fin du XIXe siècle.

    Le lecteur se promène ainsi des pardons aux chevaux aux pardons des oiseaux, dépeuplés d’oiseaux depuis que les interdictions de la préfecture en sont venues à bout – de la célèbre Troménie de Locronan au non moins célèbre pardon de sainte-Anne-d’Auray, découvrant au fil des pages des pratiques des plus étranges comme celle du mel beniguet (le marteau bénit, aveclequel on fracassait le crâne des morts) au pardon du Mané Guen, à Guénin, ou encore celle des croix de proëlla à Ouessant, censées faire revenir au pays natal l’âme des disparus. Sans compter tous les rites inhérents aux pardons autour de l’eau, du feu, de la terre et de la pierre, pouvant faire figure de pratiques magiques pour le visiteur qui les découvre »

    Aurélie Thépaut, ArMen,  novembre 2007


     

    « La Bretagne est le pays des pardons qui honorent les multiples saints locaux en mêlant solennité religieuse et réjouissances profanes. Bemard Rio leur consacre un bel ouvrage, exempt de tout folklore, de tout enthousiasme (le renouveau des pardons), de toute nostalgie (la perte de la pratique religieuse). Partant de la recension d'une

    quarantaine de pardons importants, il s'interroge sur le lien entre l'homme et le sacré, entre les nécessités de la vie et la quête du sens de la vie. Bien des saints sont d'abord thaumaturges et protecteurs, ils guérissent et conservent. On peut les supplier pour les corps souffrants et leur confier ses chevaux, son bétail ou l'espoir des ses moissons. Et cela, parfois sans hiérarchie. Saint Eloi veille sur la fécondité humaine et équine. II arrive aussi aux pardons de

    s'écarter de l'orthodoxie vaticane pour accueillir des parfums de légendes, des auras de mystères, de lointaines et vagues souvenances païennes. Qu'importe, le pardon demeure acte de religion, au sens étymologique. Il est lien entre soi et sa communauté humaine, entre soi et l'au-delà. Pardon des oiseaux ou pardon de saint Yves, Tromenie de Locronan ou pardon de sainte Anne le marcheur-pèlerin chemine en lui-même pour « remonter vers la source »,

    pour « prendre de la hauteur », et se confier, corps et âme, à l'ineffable incarné dans le visage d'une sainte ou d'un saint aimés pour leur ressemblance familière, familiale presque… »

    Yannick Pelletier, Ouest-France, 15 septembre 2007


    « Quelque huit cents saints bretons (reconnus ou non par Rome), environ six mille chapelles... C’est peu dire que la Bretagne est le pays des pardons. Ce livre, illustré de nombreuses photos en couleur, ne constitue pourtant pas une histoire de ces cérémonies bien particulières et n’en donne pas non plus une liste exhaustive. Le propos de Bernard Rio est autre : “Je cherche dans les pardons les reliques d’un temps qui ne soit ni éphémère ni mercantile; la persistance d’une pensée originelle, la substance d’une tradition vivante”. Soyons plus clair : ce que propose l’auteur, dans ces récits à la première personne, c’est une vision, une interprétation des rites et des pratiques qu’il a pu observer à travers une quarantaine de pardons, célèbres (saint Yves à Tréguier, Sainte-Anne-d’Auray, grande troménie de Locronan...) ou plus locaux, c’est-à-dire moins courus.

    Car, dans les pardons, bien des éléments se mélangent. Au fil des décennies et même des siècles, les croyances populaires et la dévotion religieuse se sont intimement mêlées, les traces d’un culte païen (pierre, arbre, eau etc.) se sont immiscées dans les cérémonies modernes, la mythologie celtique d’hier a rejoint les croyances et pratiques religieuses d’aujourd’hui, ce qui fait écrire à Bernard Rio que “les innombrables saints autochtones et dames mariales supportent des rites qui s’apparenteraient, hors de Bretagne, à la sorcellerie” !  A cet égard, l’auteur cite de nombreux exemples pris un peu partout en Bretagne, ce qui entraîne le lecteur dans un Tro Breizh un peu échevelé et dans un tourbillon d’observations, d’anecdotes et réflexions.

    Qu’importe : Dieu ou les divinités celtiques reconnaîtront sans doute ce qui leur appartient. Quant au lecteur, il aura retenu que le pardon breton est “une assemblée qui est plus qu’une fête, un pélerinage qui ne se réduit pas à une pérégrination, une cérémonie religieuse qui n’est pas simplement chrétienne ... »


    Yves Loisel - Le Télégramme - 20 juillet 2007










  • Avallon et l'autre monde

     

    Présentation

     

    Avallon l’île d’éternelle jeunesse où le roi Arthur fut transporté pour y être soigné par Morgane après la tragique bataille de Camlann, les Terres Fortunées au nord du monde, la Grande Plaine où coule une rivière de miel, le Verger de la Joie, le Val sans Retour,… L’Autre Monde celtique atteste de la croyance des Celtes en l’immortalité de l’âme. L’accès à ces contrées à la fois mystérieuses et merveilleuses n’était jadis possible qu’à quelques hommes  bénis des dieux ou des fées au terme d’un périple initiatique, par-delà l’océan des âges et des apparences..

    Les lieux saints de l’antiquité demeurent sacrés et le passage vers l’au-delà reste ouvert. Bernard Rio propose de retrouver les traces de cet Autre Monde dans le paysage contemporain, l’architecture religieuse et les traditions populaires. 

    Ces esquisses d’une géographie sacrée offrent une nouvelle et revigorante lecture de la forêt de Brocéliande, de la cité de Glastonbury ou de l’abbaye de Saint-Benoit-sur-Loire. Elles replacent l’homme sur le chemin de la connaissance, en route vers le milieu du monde.

    Edition Yoran Embanner 2008    ISBN : 978--2-914855-50-1



    Le milieu du monde

     

    La géographie et l’histoire forment deux disciplines complémentaires. La première est littéralement une science de l’espace, du grec gê « terre » et graphé « description » alors que la seconde est une connaissance du passé, du latin historia, une histoire de la vie. D’un côté l’espace et d’un autre côté le temps avec, aujourd’hui comme hier, des transpositions et des interférences disciplinaires. C’est ainsi que la géographie politique, la géographie physique, la géographie humaine, la géographie économique traitent de la nature du globe terrestre, de l’homme et de ses activités. Tout géographe est nécessairement un peu historien et vice-versa. César lorsqu’il traite des Gaules dans De Bello Gallico (1) suppose une connaissance de l’espace et du passé de la Gaule. Mais la manière dont il traite de la géographie et de l’histoire gauloise atteste soit une propagande politique, soit une ignorance. Il écrit que les frontières de la Gallia omnis, « toute la Gaule », sont fixées par les Pyrénées au sud et par le Rhin à l’est… Or lorsque César rédige ses commentaires, des peuples gaulois vivent encore au-delà du Rhin et de l’Escaut : les Trévires que nous connaissons bien ou les Taurisci dans l’actuelle Styrie qui ne furent conquis que quarante ans plus tard sous le règne d’Auguste. César ne comprend pas non plus la Cisalpine et la Transalpine dans sa description géographique… Par ces omissions, César se montre piètre géographe et piètre historien ce qui n’empêche pas quelques historiens de lui faire encore allégeance lorsqu’ils traitent de la géographie et de l’histoire de la Gaule. Pourtant César transcrivait Posidonios. Ce géographe pythagoricien avait décrit un espace qu’il connaissait pour y avoir voyagé au début du premier siècle avant Jésus-Christ. Il y avait aussi Polybe qui, un siècle plus tôt, avait décrit les terres des Celtes. Plus tard, en 8 avant Jésus-Christ, Denys d’Halicarnasse écrivit que « la Celtique (était) de forme carrée » (2) et que le Rhin la coupait en deux. Il lui donnait pour frontières les Pyrénées, les Alpes, le Danube, l’Atlantique, la Thrace et la Scythie. César aurait dû connaître cette réalité que ses contemporains lettrés décrivaient dans leurs traités avant et après la conquête. S’il réduit le territoire des Gaulois, c’est bien évidemment pour magnifier sa victoire en tentant de faire croire qu’il avait vaincu toute la Celtique.

    Aujourd’hui comme hier, la géographie et l’histoire offrent des repères et des orientations. Les deux sciences, dont les relations ne font pas de doute, ne prennent pourtant leur véritable dimension que dans un espace et un temps religieux… Oublier la part du sacré dans la construction de l’histoire et dans l’élection de l’espace signifierait une manipulation césarienne de notre histoire et de notre géographie. La conscience de l’espace sacré suppose une fonction. Celle-ci serait de créer un milieu favorable à la relation de l’homme à la divinité.

    En consacrant un lieu pour y manifester sa croyance, l’homme le retranche du monde. C’est l’acte fondateur, le premier acte d’une civilisation. « L’expérience religieuse de la non-homogénéité de l’espace constitue une expérience primordiale, homologuable à une « fondation du Monde ». Il ne s’agit pas d’une spéculation théorique, mais d’une expérience religieuse primaire, antérieure à toute réflexion sur le Monde. C’est la rupture opérée dans l’espace qui permet la constitution du monde, car c’est elle qui découvre le « point fixe », l’axe central de toute orientation future » (3).

    En organisant la vie (l’histoire) et en harmonisant leur cadre de vie (la géographie) avec des règles indicibles et des structures invisibles, l’homme donne un sens et permet la hiérophanie. Le lieu sacré devient le centre du monde, l’axe du monde.

    La disparition de ces hauts-lieux de l’humanité équivaudrait ni plus ni moins à une perte de connaissance, à une perte de conscience. L’homme privé de repères, désorienté, se conduirait alors comme un être privé d’intelligence puisque déséquilibré, désaxé. « Pour vivre dans le Monde, il faut le fonder, et aucun monde ne peut naître dans le chaos de l’homogénéité et de la relativité de l’espace profane », écrit Mircea Eliade (4).

    Retrouver les traces du sacré dans notre environnement passe par une recherche du concept fondateur de l’espace sacré. L’expérience de la géographie va alors de pair avec la connaissance de l’histoire. Cette expérience ne peut être acquise par le simple exercice d’une science profane même archéologique. Il ne s’agit pas de fouiller le sol et d’exhumer les débris d’un fanum « temple gaulois » pour abolir le profane et expérimenter le sacré. Il ne s’agit pas non plus de collectionner les études épigraphiques pour nourrir son âme. La découverte d’un site archéologique n’est enfin pas synonyme de révélation du lieu du temple.

    Les recherches archéologiques, historiques ou linguistiques ne suffisent pas à qualifier ou disqualifier l’espace. C’est l’expérience qui lui attribue sa fonction en le transcendant. Le saint homme recherche le signe indiquant la nature sacrée du lieu. L’incubation paraît être la pratique la plus répandue dans l’antiquité. Pour ce faire, le devin passait la nuit sur le lieu qui lui paraissait être propice à la consécration. La divinité inspirait le dormeur en lui apparaissant en songe. En Irlande, l’Imbas forosnai, « illumination par les paumes » était une autre méthode de divination. Le devin mastiquait un morceau de chair crue, de préférence la chair d’un animal psychopompe, (chien, cerf ou cheval) qu’il déposait ensuite auprès d’un lieu sacré. Puis, il s’installait là pour dormir, les paumes autour de la tête, afin de recevoir le songe divin (5). Telle a pu être la méthode de divination utilisée par la prêtresse gauloise des environs de Metz signalée par cette inscription : « Arrête, une prêtresse druide, avertie par un songe de le faire, a consacré cette pierre à Sylvain et aux nymphes de ce lieu ».

    Si le signe n’apparaissait pas pendant le sommeil, le prêtre pouvait encore le provoquer en invoquant l’aide des animaux divins, les oiseaux notamment, qui indiqueraient le lieu du temple. L’homme devait être guidé par la divinité. Il ne pouvait choisir de bâtir un sanctuaire où bon lui semblait. Un épisode de la vie de saint Colomban illustre la permanence de ces pratiques païennes dans l’église chrétienne primitive. « Il monta sur une haute colline, et de là il vit Tory dans le lointain. Et les autres saints qui l’accompagnaient dirent qu’il leur revenait de bénir Tory et qu’ils prendraient possession eux-mêmes de cette île. Il convient que nous agissions ainsi, dit Colomban. Lançons nos bâtons vers Tory et que l’île appartienne à celui de nous dont le bâton l’aura atteinte de par Dieu, et qu’elle reçoive son nom. Ainsi firent-ils et Columcille lança son bâton. Et celui-ci se changea en une lance ou un javelot, filant à travers les airs jusqu’à l’île… Et les autres bâtons des autres saints ne dépassèrent pas les îles qui se trouvent entre Tory et l’Irlande. Alors Columcille s’en alla vers Tory » (6).

    Le lieu sacré ne peut donc être choisi par l’homme mais désigné à l’homme. Le procédé d’élection confirme la nature différente du lieu du temple. Celui-ci relève d’un autre espace, d’un autre temps, d’autres règles que l’homme religieux peut comprendre et qu’il respecte puisqu’il partage l’espace avec la divinité qui l’habite. La consécration s’apparente ensuite à une création. Le lieu sacré est séparé du monde profane, organisé et érigé. Il importe de fixer le centre autour d’un axe.

    Le paysage peut « naturellement » être propice à l’organisation de ce lieu saint. La Bretagne connaît plusieurs « milieux » du monde, plusieurs « portes du ciel » : le Mont Dol à Dol de Bretagne, le Mané Guen à Guénin, Castennec à Bieuzy, le Menez-Hom, le Mont Saint-Michel à Brasparts, le Mont Saint-Michel à Carnac, le Méné Bré à Pédernec, Saint-Etienne de Montluc, le Menez Lokorn à Locronan… La fonction de ces « montagnes cosmiques » est de relier la Terre et le Ciel. Le rituel de leur ascension conservé dans le pardon breton, notamment la Troménie de Locronan dont les douze kilomètres sont effectués tous les six ans (7), équivaut à un voyage élémentaire dans le temps et l’espace sacrés, une purification et une élévation.

    La dynamique du centre fonctionne avec l’environnement. Le système s’étend au milieu. On peut alors parler de géographie sacrée à partir de l’axe fondateur. Le monde extérieur procède du lieu du temple. Ce ne sont plus seulement quelques hectares mais une région ouverte, un pays entier qui est consacré au culte. La géographie sacrée et l’histoire sacrée apparaissent comme les principes primordiaux de la civilisation celtique. Si le « centre » conserve sa fonction archétypale d’orientation, tout le reste de l’espace peut être appréhendé comme un champ d’expérimentation cosmogonique, la projection infinie du milieu, le moyeu et sa roue.

    Henri Dontenville avait discerné, dans le folklore et la toponymie, le principe d’une héroïsation de l’espace. Relevant les liens linguistiques et mythologiques entre Belen et Gargant, l’ethnologue et mythologue a appliqué sur le terrain les principes de ce qu’il a appelé « la palpitation du dieu ». Il avait établi une liste de plusieurs dizaines de toponymes dédiés au géant gaulois. « Cette liste, qui ne comprend qu’une faible partie de la toponymie « bélénique », montre, il ne faut pas se le dissimuler, beaucoup plus de proximités que de coïncidences et même, par « proximité », il convient d’entendre parfois les coïncidences qui, elles, sont frappantes, elle ne peut guère ne pas donner l’impression d’un monde où Belen, le grand Dieu mort, reste entouré d’autres signes, où Gargantua, particulièrement, maintient encore une certaine vitalité. La rareté des inscriptions d’époque romaine n’a pas ici à rendre sceptique ; les vrais Gaulois n’écrivaient pas » (8). La toponymie au secours de la mythologie n’est pas toujours du goût de l’université française. Quoi qu’il en soit, la toponymie (dérivée de la géographie) et la mythologie (issue de l’histoire) peuvent être étudiées en fonction d’autres éponymes.

    Retrouver dans un espace les signes d’une architecture sacrée qui ne soit pas matérialisée, n’est pas une gageure impossible. à défaut des textes et des hommes, il convient d’interroger l’espace, de faire parler le paysage en quelque sorte, afin d’y retrouver les structures sacrées pré-chrétiennes. Nous savons et de nombreux auteurs ont prouvé dans le passé que les dédicaces à saint Martin et saint Michel, notamment, supposent des anciens sites cultuels. Nous savons que le cortège des saints armoricains n’est jamais entré dans le paradis officiel de l’église catholique romaine. Cela n’a pas empêché le « bon peuple » de leur bâtir des sanctuaires et de les célébrer lors de rites saisonniers. Nous savons aussi que les fontaines, les sources, les bois et les pierres étaient des lieux propices à l’expression religieuse avant l’érection des croix. La christianisation n’a pas fait table rase des coutumes, des croyances et des lieux de pratique religieuse dans le monde celtique. Bien au contraire, elle les a assimilés. Le paganisme est entré dans l’église chrétienne d’Occident comme le chamanisme amérindien a imbibé les églises chrétiennes d’Amérique.

    Dépositaire d’un passé, le paysage a conservé les traces d’une géographie et d’une histoire sacrée que des recherches topométriques ont mises en évidence. L’étude des relations géométriques et métrologiques entre certains lieux et leurs dénominations démontrerait l’existence en Bretagne d’une géographie sacrée géométriquement élaborée. Il s’agit de triangles équilatéraux basés sur des toponymes et dont l’unité de mesure serait la lieue celtique (environ 2,212 km), ainsi un triangle équilatéral sur la base de 57 km de côté à partir du toponyme Gwazec (Saint Goazec, Lannoazoc, Kervoazec, etc.) D’autres triangles équilatéraux de 66 km, 72 km, 91 km, 102 km, 204 sont révélés par la toponymie.

    Alan J. Raude (9) a reporté sur des cartes au 1/200 000 les triangles relevés par le géologue F. Kervella (10). Le résultat est des plus intéressants puisque le prolongement des triangles aboutit au même point : l’île de Gavrinis, dans le golfe du Morbihan. En poursuivant les lignes de base de chaque triangle, on retrouve à 249 km les toponymes celtiques francisés, tant au nord qu’au sud : La Chevrolière au sud de la Loire, Gavray dans le Cotentin… Ce gigantesque triangle placé sous la protection de la chèvre (gawr en breton actuel) ou par homonymie phonétique du géant (du vieux breton gavr), renvoie aux travaux publiés en 1948 par Henri Dontenville. La boucle est presque bouclée puisque poursuivant les relevés toponymiques, ce sont plusieurs autres espacés voués à une divinité qui ont pu être exhumés du paysage breton : triangle  de 72 km avec le toponyme Nonn (Dirinonn, Kernonn), triangle équilatéral avec le toponyme Bré, « montagne », sur la base de 77 km de côté (Méné Bré à Pédernec, Méné Bré à Arzano, Bré à Daoulas), triangle de 162 km avec le toponyme Arth, « ours » (Arzano, Arthon, Ploërmel), triangle de 110 km avec le toponyme Sept Saints (Erdeven, Vieux-Marché, Landujan).

    Les résultats de cette recherche topométrique éclairent d’une façon inattendue l’utilisation religieuse de l’espace. De nouvelles recherches fondées sur d’autres vocables en d’autres lieux confirmeraient peut-être un système de consécration. En relevant d’un réseau dédié à une divinité, les toponymes bornent un périmètre consacré et indiquent à chaque pointe de ce territoire un haut-lieu de culte. Le Tro Breizh, pèlerinage des sept saints fondateurs de la Bretagne chrétienne (saint Patern évêque de Vannes, saint Corentin évêque de Quimper, saint Pol-Aurélien évêque de Saint-Pol-de-Léon, saint Tugdual évêque de Tréguier, saint Brieuc évêque de Saint-Brieuc ; saint Malo évêque de Saint-Malo, saint Samson évêque de Dol), perpétuerait le bornage d’un espace magico-religieux. Il suffit d’identifier les marques sacrées dans la toponymie pour imaginer une antique déambulation. à chacun de reprendre son compas et son équerre de géomètre, puis son bâton de pèlerin et sa cloche de sacerdote.

     

    Notes

    1. César, De Bello Gallico, La Guerre des Gaules, Livre VI, 24.

    2. Denys d’Halicarnasse, I. XIV, c. 1.

    3 et 4. Mircea Eliade, Le sacré et le profane, éditions Gallimard, Paris, 1 965.

    5. Christian-J. Guyonvarc’h, Magie, médecine et divination chez les Celtes, éditions Payot, Paris, 1 997.

    6. Manus O’Donnell, The life of Columcille, traduction Ellen Ettlinger, Les conditions naturelles des légendes celtiques, Ogam XII, Rennes, 1 960.

    7. Donatien Laurent, La Troménie de Locronan, cf. La nuit celtique, éditions Terre de Brume, 1 997;  Bernard Rio, Pardons de Bretagne, éditions Le Télégramme, Brest, 2007.

    8. Henri Dontenville, Mythologie française, éditions Payot, Paris, 1 973.

    9. Alan J. Raude, La topométrie de l’espace breton, éditions Beltan, Brasparts, 1 989.

    10. F. Kervella, étude graphométrique, Al Liamm N° 200.

     

     

    articles de presse

     

    « L’Esprit des lieux 

    A Qu’est-ce qu’un “lieu sacré” ? Pourquoi l’est-il? Bernard Rio répond à ces questions dans un ouvrage captivant qui mêle le sérieux de la recherche et l’art du récit. Reprenant le grand légendaire des mythologies celtiques et gréco-latines, de l’hagiographie chrétienne, loin de rechercher un syncrétisme nébuleux, il montre qu’au-delà des singularités infranchissables, s’offre à nous une vision de l’humain qui nous habite encore et que nous recherchons dans ce que faute de mieux peut-être, il faut appeler l’ esprit du lieu. Ainsi, pourquoi avoir réinvesti les localisations incertaines des romans bretons du Moyen-Age dans la forêt de Paimpont, bel et bien devenue Brocéliande ? Pourquoi vouloir localiser l’île d’Avallon, confondue avec une sorte de paradis celtique, où l’éternelle jeunesse est liée à la pomme ? Mais aussi quels liens se tissent entre le “lieu consacré” au centre du monde celte et l’abbaye de Saint-Benoit-sur-Loire? Que signifie l’étrange et merveilleuse architecture  de la tour porche de son abbatiale ? Et le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle ? Au fil d’une lecture pérégrine apparaît la nécessité que nous éprouvons de la sacralisation de l’espace qui, au travers de ses légendes, nous habite et nous appelle au dépassement, à la quête.

    Le temps passe mais l’inquiétude et l’imaginaire de l’être humain demeurent, inscrits dans son coeur et dans “ses” lieux ”

    Yannick Pelletier

    Ouest France, 5 septembre 2008

     

     

     

     

  • Fontaines de Bretagne

    Présentation

    La Bretagne est jalonnée de milliers de fontaines dotées de pouvoirs thérapeutiques, magiques ou merveilleux. A chaque chapelle est associée une fontaine et à chaque fontaine  de la Bretagne sacrée est associée une histoire, une croyance, un rite et une pratique.  Leur fréquentation est particulièrement riche de sens.

    La fondation et l’architecture d’une fontaine, sa  consécration, les rites qui y sont célébrés sont des éléments déterminants pour distinguer la fontaine guérisseuse de la fontaine oraculaire, le lieu saint du bassin profane… 

     La multitude des fontaines bretonnes offrent une profusion de cultes et de patronages. La densité de ce réseau millénaire est un fait exceptionnel, une source intarissable où le visiteur peut s’abreuver de surnaturel et de légendaire, découvrir la diversité des styles d’architecture depuis la protohistoire jusqu’au XIXe siècle… Le collectage réalisé par Albert Poulain et Bernard Rio est le plus important recensement et le répertoire le plus complet  publié  en Bretagne. 

    Edition Yoran Embanner 2008    ISBN : 978--2-916579-15-3




    Les Fontaines de Bretagne

     

    Albert Le Grand écrit dans la Vie des Saints de la Bretagne Armorique, imprimée en 1 636 à Morlaix, que « Saint Méen, plein de foy, se prosterna en oraison, en laquelle il pria Dieu de leur donner de l’eau, et, s’estant levé, il ficha son bourdon en terre, lequel retirant, il fit réjaillir une source d’eau vive, laquelle se voit encore maintenant, et est fort renommée pour la vertu qu’elle a de guerir d’une maladie, nommée par les Medecins Prisa et par le vulgaire le mal de saint Méen, qui est une forte galle ou rogne qui ronge jusqu’aux os ». 

     

    La fontaine existe toujours mais les processions et ablutions ont cessé au début du XXe siècle, jugées indignes par un clergé qui les a donc proscrits en croyant en finir avec les antiques croyances attachées au lieu saint. N’en déplaise aux réformateurs de l’église catholique et romaine, l’eau s’écoule toujours à Saint-Méen-le-Grand. La source rafraîchit les esprits de ceux qui s’y désaltèrent malgré la puritaine réprobation des clercs convertis au culte de la Raison. Entre les cinquième et neuvième siècles, le miracle de l’eau jaillissant sous le bâton du saint s’est répété un peu partout : Armel, Aubert, Bieuzy, Conwoïon, Corentin, Dolay, Efflam, Elouan, Fiacre, Géréon, Gildas, Gobrien, Gouesnou, Goulven, Guen, Guigner, Gwennolé, Hernin, Hervé, Lunaire, Macaire, Majan, Malo, Marcou, Maudez, Melaine, Mélar, Molff, Pol Aurélien, Quay, Samson, Sané, Urfold, Uniac, Vital… tous ces saints sourciers ont célébré le culte de l’eau féconde et purificatrice, que leurs successeurs réguliers ou séculiers ont tenté de canaliser. à l’instar du sanctuaire de Saint Ivy à Pontivy (56), combien de chapelles ont-elles enfoui dans leurs fondations les sources sacrées de l’antiquité celtique ?

    La Bretagne est couronnée de chapelles dont le recensement méticuleux a eu lieu. Qu’en est-il des fontaines ? Sylvette Denèfle a dénombré plus de mille cinq cents fontaines « dotées de pouvoirs particuliers » dans le Léon et la Cornouaille, mais nul n’a entrepris de les comptabiliser sur l’ensemble du territoire. Seule une étude exhaustive du cadastre pourrait permettre d’évaluer la quantité de fontaines en Bretagne, en sachant qu’il convient de distinguer les fontaines profanes des fonctaines sacrées sans pour autant exclure les puits A Guénin (56), la chapelle Notre-Dame du Mané-Guen est dotée de l’un et de l’autre. L’inscription gravée sur le puits suffit à le qualifier de sacré : « Profond de 80 pieds, priez Dieu pour vos pères ». D’autre part, on dénombre quatre cent quarante-trois puits pour « seulement » dix-sept fontaines à Indre (44), dans un département que Jean-Yves Eveillard présume pauvre en ces fontaines sacrées.

    À l'instar des monuments mégalithiques démolis, des milliers de fontaines ont été comblées aux XIXe et XXe siècles : rasées et enfouies lors d’un remembrement destiné à niveler autant le paysage que la culture qui y puisait ses sources. La fontaine Saint Jacques à Guillac (56), la fontaine Saint Méen à Bruc-sur-Aff (35), la fontaine de Lochrist à Pont-Croix (29) Chaque diocèse, chaque département a connu et connaît encore cet enfouissement patrimonial. Outre la dénaturation des lieux, les pratiques qui y sont enracinées sombrent dans l’oubli faute d’être transmises. Le recensement des fontaines et la collecte des croyances permettent fort heureusement de laisser ouvertes les portes du temps, ce temps qui passe et qui échappe à l’image de l’eau qui s’écoule, née et retournant à la terre. 

    Le fleurissement d’une fontaine, la présence de pièces dans un bassin… indiquent une permanence à la fois rituelle et spirituelle dans une société qui consomme de plus en plus, brasse et broie, s’individualise et évolue vers une mercantilisation effrénée. La Bretagne contemporaine n’est pas en dehors du cycle effroyable qui meut et moud les hommes épris d’argent. Elle n’est pas pour autant dénuée de sens. La fréquentation des fontaines n’est pas qu’un fait social car elle s’avère multiple dans ses pratiques profanes et spirituelles, thérapeutiques et magiques. Elle serait passéiste si les personnes allant aujourd’hui aux fontaines avaient la conscience et la volonté de copier un folklore d’un autre âge, à l’instar de ces reconstitutions de battages à l’ancienne où il ne s’agit pas de moissonner et de battre le grain mais seulement de faire semblant pour amuser une foule désœuvrée.

    Les rites de guérison commentés par les ethnologies depuis le dix-neuvième siècle s’inscrivent dans un temps continu. La fontaine guérisseuse de Saint Divy à Landébia (22) ou celle de Sainte Candide à Scaër (29) s’apparentent à la fontaine de santé de la mythologie irlandaise : « Diancecht et ses deux fils et sa fille, c’est-à-dire Octriuil, Airmed et Miach, chantaient des incantations sur la source dont le nom est santé. Leurs hommes blessés mortellement y étaient cependant jetés tels qu’ils avaient été frappés. Ils étaient vivants quand ils en sortaient. Leurs blessures mortelles étaient guéries par la force de l’incantation de quatre médecins qui étaient au » tour de la fontaine » (Whitley Stokes, Revue celtique XII, traduction Christian-J. Guyonvarc’h, Textes Mythologiques Irlandais). L’incantation des médecins n’est pas seule à agir. Le verbe renforce les vertus de l’eau. Peut-être subsiste-t-il encore des pratiques individuelles et anonymes mais les rites d’immersion collective dans les fontaines auraient disparu dans les Pardons contemporains… exception faite des chevaux qui bénéficient encore de ces rites millénaires. En 1612, l’évêque de Saint-Malo dénonçait pourtant ceux qui murmuraient « quelques charmes appelés Oraisons, à l’oreille d’un cheval ». Au siècle suivant, le géographe Jean-Baptiste Ogée (1728-1789) décrivait quant à lui les ablutions. « À un quart de lieue de Plérin est une chapelle dédiée à saint Eloy, dont la fête se célèbre au mois de juin. Les paysans des environs ont rendu ce saint le patron des juments et des chevaux. Tous les ans, au jour de la fête, les habitants des paroisses de dix lieues à la ronde y viennent en pèlerinage. Après leurs prières faites à la chapelle, ils vont à la fontaine qui se voit auprès, y puisent de l’eau avec une écuelle, et la jettent dans la matrice et sur les oreilles de leur jument, et en arrosent les testicules de leur cheval dans la persuasion que cette eau a des vertus prolifiques. Cette opinion est si gravée dans l’esprit de ces bonnes gens qu’il seroit impossible de l’en déraciner » (Jean-Baptiste Ogée, Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, 1778-1780). L’incantation et l’ablution ont toujours cours dans les pardons équestres au XXIe siècle. On peut donc penser que les fontaines bretonnes conservent leurs antiques vertus et leurs dévots. Le rite est indissociable du lieu, cette constante demeure dans la Bretagne actuelle. Par rite, il faut entendre le geste et la croyance qui s’y attache. Il s’agit bien plus que d’un usage ou d’une pratique. Se rendre à la fontaine ne suffit pas pour que le vœu soit exaucé. À la fontaine Saint Méen de Bains-sur-Oust (35), c’est au lever du jour et trois fois de suite que le demandeur doit officier.

    La fondation d’une fontaine, sa fonction, les rites qui y sont célébrés, son architecture sont des éléments déterminants pour distinguer la fontaine guérisseuse de la fontaine oraculaire, la fontaine sainte de la fontaine profane… Ces critères différencient mais peuvent aussi se cumuler pour qu’une fontaine sainte devienne guérisseuse et oraculaire. La présence d’un saint n’est par ailleurs nullement obligée pour lui conférer une vertu sacrée. La fontaine blanche est tout aussi sacrée que la fontaine dédiée à Notre-Dame. Nulle obligation également d’une architecture monumentale pour sacraliser une source. Le rite seul peut qualifier une fontaine de sainte, guérisseuse, légendaire, magique… La Bretagne est riche d’une multitude de fontaines qui offrent une multitude de rites et de patronages. Cette profusion est un fait exceptionnel, une source intarissable où le visiteur peut s’abreuver de surnaturel et de légendaire, découvrir la diversité des styles d’architecture depuis la protohistoire celtique jusqu’au XIXe siècle… où l’homme moderne se relie à un monde intemporel, où il redevient acteur par jeu ou/et par croyance en sacrifiant à la fontaine… Cette dévotion aux eaux demeure une réalité opérative dont seuls les ignorants doutent aujourd’hui. 


    Articles de presse

    “Remarquable travail d’ethnographe auquel se sont livrés le conteur et ethnologue Albert Poulain et l’écrivain Bernard Rio, qui ont procédé au collectage le plus complet des fontaines de Bretagne. Dans un bel album au grand format, ils présentent le produit d’une recherche étalée sur des années : sources, chapelle et rituels, pèlerinages et offrandes (remontant parfois à la protohistoire), patronages... Le résultat constitue une précieuse base de données sur la dévotion populaire en Bretagne, étonamment stable de l’Antiquité à nos jours. L’architecture des fontaines n’est pas négligée, ni leur riche légendaire : sources guérisseuses, fontaines maudites, chapelles oubliées ou populaires. Une invitation à se désaltérer comme nos ancêtres sous la protection des fées et des saints ”. 

    Christopher Gérard 

    Nouvelle Revue d’Histoire, mars 2009


    “Le travail réalisé par Albert Poulain et Bernard Rio est colossal. les fontaines de Bretagne sont répertoriées selon 49 critères architecturaux, 31 critères médicaux et  35 autres critères difficiles à classifier : fontaines bouillonnantes, oraculaires, marieuses, ou nées sous le sabot d’un cheval.

    Le répertoire concerne aussi les rites et les légendes liées aux fontaines. ainsi, l’opération qui consiste à placer sur le malade un vêtement trempé dans l’eau froide de la fontaine et à invoquer Saint-Diboan ou Saint-Tu-pe-Tu pour le faire passer soit du côté de la vie, soit du côté de la mort, révèle que, dans ce pays au climat fantasque et aux brumes persistantes, les habitants aiment les situations claires.

    J’attends avec impatience le complément à ce livre foisonnant : un CD ou un site internet qui permettra, à partir d’un tri multicritères, de localiser la ou les fontaines qui correspondent à ma demande”. 

    Jean-Pierre Le Mat

    Armor Magazine, février 2009


     Un livre de Bernard Rio et Albert Poulain sur les fontaines de Bretagne

    La fontaine rappelle que l’avenir de l’homme est lié à l’eau 

    A l’instar des saints sourciers faisant jaillir l’eau en enfonçant leur bourdon dans la terre, Bernard Rio et Albert Poulain sont allés avec leur bâton et leur crayon réveiller les fontaines bretonnes oubliées. “plutôt que de partir faire ses ablutions en Inde, on peut très bien les faire ici. mais on préfère s’esbaudir à des milliers de kilomètres, au lieu de profiter d’un patrimoine exceptionnel, à portée de mains”, déclare Bernard Rio. Pourquoi ? “Parce que c’est un truc de plouc ! Nous avons toujours le complexe de notre culture. Dans nos travaux, Albert et moi, nous cherchons à mettre en valeur de ce patrimoine marqueur d’identité”. 

    En Bretagne, on compte autant de fontaines que de villages. “Ce travail n’est qu’une partie émergée, car il y a bien d’autres fontaines en Bretagne. Nous invitons  d’ailleurs les lecteurs à compléter notre inventaire”, poursuit Albert Poulain, qui collecte après collecte, n’en finit pas de reconstituer le puzzle d’une culture dont on ne mesure pas la richesse. Ainsi, comme les mares qui ren,ferment une biodiversité locale inestimable, de nombreuses fontaines ont fait les frais du rasoir à deux lames du remembrement et de l’urbanisation. “Outre la dénaturation des lieux, les pratiques qui y sont enracinées sombrent dans l’oubli faute d’être transmises”, remarquent les deux  chercheurs d’or. Ici où là, quelques centaines de fidèles viennent encore se régénérer à la source. “En juillet, au vieux-bourg de Tréal, le pardon de Saint-Cornély organise encore une procession à la fontaine”. Pour  Bernard Rio, l’institution religieuse a bâti son église en puisant dans ce besoin humain et immémorial de se rassembler autour d’une source. “Les fontaines sont parmi les dernières traces du paganisme. Après le culte des pierres et le culte des arbres, l’église a tenté de détruire puis de récupérer le culte de l’eau”. 

    Au-delà des pardons qui subsistent tant bien que mal, chacun continue ici où là à entretenir une relation intime avec la fontaine de son enfance. La présence de pièces de monnaie et de fleurs témoignent encore de ces rites. Certains viennent chercher un peu de paix, un signe d’espoir. D’autres un remède contre les rhumatismes, la folie ou le mal de ventre. Bernard Rio et Albert Poulain ont recnsé de nombreuses fontaines guérisseuses dotées d’un pouvoir spécifique ou universel comme la fontaine Saint-Louis de Saint-Gorgon, réputée pour soigner l’eczéma, la surdité, les maux de tête et les yeux. “On jette aussi des épingles  dans les bassins pour relier les hommes à l’universel, maintenir ensemble ce qui semble essentiel”, remarque Bernard Rio. La fontaine rafraîchit ce lien fondamental et pourtant fragile, qui unit l’homme à la nature, sans l’intermédiaire d’une religion ou de toute autre chapelle. Les préoccupations écologiques d’aujourd’hui qui surgissent  dans la société comme une véritable lame de fond, rappellent que cette eau précieuse qui jaillit du monde des morts vers celui des vivants conditionne l’avenir de la planète. A continuer de la gaspiller, l’homme finira par ne trouver que des oasis dans le désert à la place des fontaines. “L’eau salée représente un peu plus de 97% de la ressource, l’eau douce un peu moins de 3%. une goutte d’eau en quelque sorte, mais de cette goutte d’eau dépend l’humanité”, souligne Bernard Rio.

    Le conteur de Pipriac n’est jamais en panne d’une histoire, plus ou moins authentique ! Ainsi, Albert Poulain se souvient que même si elles ne sont pas toutes sacrées, “celui qui souille une fontaine commet une  faute contre l’harmonie du monde. Il est impensable d’uriner dans l’eau. On dit d’ailleurs en Haute-Bretagne que cracher dans les rivières, c’est faire de l’eau bénite pour le diable. Les lavandières de Renac ont été privées de fontaine pour l’avoir souillée. Fâchée, la fontaine s’en est allée d’elle-même au village de Launay-Hingant”.

    Auteur en 2006 d’un livre sur l’eau, Bernard Rio traduit à sa façon le célèbre proverbe indien qui dit que les hommes n’héritent pas de la terre mais l’empruntent seulement à leurs enfants. “Respecter une fontaine, c’est honorer un environnement. L’eau appartient à tout le monde et à personne en particulier. Malheureusement, elle a été aujourd’hui captée par des multinationales et des intérêts privés”. Veolia n’a pas encore été surpris à “tourner autour” des fontaines. Albert Poulain et Bernard Rio évoquent à ce sujet le rite de la circumambulation. “Il est à la fois cosmique et mystique. Il consiste à raccorder l’homme à l’univers, à le placer en orbite car la fontaine devient alors le centre de l’univers, l’axe où le pèlerin va communier avec les puissances qu’il invoque”. 

    Jacques Faucheux

    Les Infos, 31 décembre 2008


  • Veilleurs de mémoire

    Présentation

    Quels enseignements et quelles vérités dissimulent les contes, ces histoires souvent jugées bien innocentes et divertissantes?

    Le soir à la veillée, le conteur n’avait pas pour seule ambition de réjouir l’assemblée. En mettant l’accent sur certains éléments du conte, il éclairait son auditoire. Ces histoires à dormir debout, temps privilégié du rêve, du rire et du symbole, étaient en effet souvent le matériau premier de la mémoire populaire et de l’apprentissage.

    Dans Veilleurs de mémoire, Bernard Rio rassemble 15 contes dont il nous propose des clés de lecture, réconciliant ainsi le monde merveilleux des légendes et l’enseignement des conteurs.

    Edition Siloê  2001    ISBN : 2-84231-283-X



    Veilleurs de mémoire


    La Tradition symbolique dans les contes populaires de Bretagne. Tel est le sujet de cet ouvrage. Mais avant de pousser la porte du conteur pour s’éveiller et s’émerveiller en compagnie des lièvres et des lutins, des fées et des sorcières, des dragons et des géants, c’est à mon vieux dictionnaire Larousse offert alors que je pérégrinais dans les classes élémentaires que je fais appel pour trois définitions préliminaires.

    Conte : “ récit d’aventures imaginaires, histoire mensongère ”.

    Mythe : “ récit des temps fabuleux ou héroïques. Tradition qui, sous la figure de l’allégorie, laisse voir un grand fait naturel, historique ou philosophique ”.

    Tradition : “ transmission de doctrines, de légendes, de coutumes, etc. pendant un long espace de temps, spécialement par la parole et par l’exemple. Transmission orale de faits ou des doctrines qui concernant la religion ”.

    Ainsi donc, le conte serait qualifié d’imaginaire et de mensonger tandis que le mythe aurait une dimension naturelle, historique voire même philosophique. Ne nous étonnons plus que les mythes soient dignes de l’amphithéâtre universitaire tandis que les contes seraient voués à l’arrière salle du bistro, à la grange ou à la cuisine. Le conte précède pourtant le mythe dans l’apprentissage culturel. Je ne connais personne qui ait fréquenté les cours magistraux sans s’être préalablement attablé dans la cuisine d’une grand-mère. C’est près de la marmite qui ronronne sur le feu et sous la garde du buffet où s’alignent les pots de confiture que le vieux savoir est préalablement picoré. C’est là où les premiers enseignements sont glanés. Bonnetière d’antan, placards en formica, mécanos spécialement agencés pour la batterie robotique des temps modernes… Peu importe le style de la cuisine pourvu que la télévision n’y trône pas encore et que les langues s’y délient. Loués soient aussi les marmitons cornus, les rôtisseurs gargantuesques et les divines pâtissières pour nous gaver jusqu’à potron minet. La cuisine de mère grand vaut une bibliothèque, on y ouvre une parenthèse en fonte, on y tourne les œufs, on y feuillette les tartes. L’index plonge dans une crème, le majeur bat la mesure. On élit un arôme. On goûte à la bonne soupe imaginaire et fabulatrice. C’est là que les enfants sucent leur pouce, qu’ils se débouchent les oreilles avec le plus petit des doigts, que les bouches béent et que s’y échangent les anneaux magiques.

    Les contes entendus à la maison conditionnent bien plus que les mythes appris à l’école car nous y puisons électivement et affectivement notre culture. Et tant que le conte sera transmis du plus âgé aux plus petits de la famille, il n’y a pas lieu de craindre la règle du plus grand dénominateur commun. “ Les traditions orales réputées les plus civilisées ne répugnent pas devant les méthodes du conditionnement opérant : les contes pour les jeunes enfants regorgent d’histoires d’ogres et de loups, de transformations effrayantes et de récompenses sucrées. Elles inculquent dès le plus jeune âge, et particulièrement aux garçons, un sens aigu de la hiérarchie et de l’unité du groupe, ainsi qu’un goût immodéré pour les justes combats, le mépris de la mort et des blessures infligées aux autres. Le travail est sanctifié, les défauts et crimes sociaux sont vilipendés… ”, écrit fort à propos le généticien André Langaney (1).

    Le conte populaire abusivement réduit aujourd’hui à l’auditoire enfantin concerne autant les grands que les petits. Mais ce conditionnement générationnel induit une double interrogation ? Est-ce parce qu’ils ne savent pas encore lire que les enfants sont encore autorisés à écouter les contes ? Est-ce parce qu’ils savent lire que leurs aînés boudent la Tradition orale ?

    Il n’y a pourtant pas d’âge pour apprendre. À la veillée, c’est tout le voisinage qui s’apprêtait jadis à entendre les “ menteries ” du conteur. Gamin imberbe et vieillard chenu s’asseyaient sur le même banc et comprenaient ce qu’ils pouvaient, le plus âgé éclairant le plus jeune de sa lanterne. Désormais, les contes d’antan imprimés sans les remarques de l’aïeul perdent une part essentielle de leur saveur et de leur lisibilité. Ces épreuves orales de la culture populaire ne deviendraient malheureusement compréhensibles que par un petit cénacle de lettrés alors qu’elles exprimaient jusqu’au milieu du vingtième siècle une tradition vivante.

    Quel dommage que cette richesse ne puisse plus être partagée et appréciée comme il se doit par tout un chacun. C’est pour remédier à cette rupture de mémoire que j’ai pris le parti de commenter ces contes et d’illustrer ainsi ce qui était jadis une évidence : une culture orale et enracinée dans les villages.

    Le conte populaire recèlerait un enseignement de moins en moins accessible à nos contemporains dont les repères télévisuels constituent désormais autant de paramètres antinomiques à la culture traditionnelle. Que cela nous plaise ou pas, que ce soit en ville ou à la campagne, la télévision a depuis bien longtemps bouté le conteur hors du foyer familial. 

    Vieilli, obsolète, passéiste… le conte traditionnel possède-t-il un intérêt autre que muséologique ?

    Le pays des contes induit une culture hors mode même si chaque récit porte l’empreinte de son époque. C’est ainsi que la version de “ L’enfant prodigue ” collectée par Zacharie Le Rouzic à Carnac en 1912 est manifestement antérieure au dix-neuvième siècle, on y compte toujours en écus ce qui place les francs, l’ancien et le nouveau, dans un futur relégué aujourd’hui au passé. De même “ Le lièvre sorcier ” dont la première version remonte en 1857 met en scène un chasseur maniant le fusil… Nul doute que l’abolition des privilèges (et par conséquent du droit de chasse réservé aux seuls propriétaires qu’ils soient nobles ou pas) dans la nuit du 4 août 1789 autorise l’actualisation du vieux mythe de la bête enchantée connu par l’évêque de Maastricht au huitième siècle !

    Savourer un conte traditionnel, c’est à la fois ouïr un talent oratoire et goûter à la substantifique moelle chère à François Rabelais. Le conte populaire peut-il conserver un savoir ignoré des “ enseignants ” ? Assurément et c’est ainsi que depuis des siècles et des siècles le conteur a pu transmettre son héritage.

    Pas si innocent que cela, le conte populaire compose une maille d’un corpus fabuleux pas toujours bien vu en haut lieu. Pour conter, il faut donc savoir mentir et cacher ce qui ne doit pas être su par tout le monde et en particulier par ceux qui prétendent savoir.

    “ Écoutez et vous entendrez

    Si vous voulez, vous croirez,

    Si vous ne voulez pas, vous ne croirez pas,

    Voici ce que j’ai à vous conter… ”

    Cette formule d’introduction citée par François-Marie Luzel et collectée en décembre 1868 auprès de Barbe Tassel à Plouaret, dans le Trégor, permet de mettre le conteur à l’abri des critiques et des suspicions.

    Il serait vain de porter un quelconque crédit à ces fariboles de mendiants illettrés, tel était l’avis autorisé des savants d’autrefois. Les animateurs de télévision pourraient ajouter de nos jours que le conte populaire appartient au passé. Ce à quoi, je rétorquerai à l’instar de Guillaume Le Goff, feu menteur de Brasparts :

    “ N’eûs mar a-bed penaoz gwerz-all

    Nep’n doa daoulagad n’oa ket dall :

    Nep n’hen eûs nemet eul lagad

    À zo born, me hen goar er vad,

    Hay rink mont diou wez gant an hent,

    Wir gwelet ann daou du, hep fent… ”

    “ Il n’y a pas de doute qu’autrefois, celui qui avait deux yeux n’était pas aveugle - celui qui n’a qu’un œil est borgne, apparemment, et doit faire deux fois la route, pour en voir les deux côtés, sans plaisanterie aucune ! ”

    Le préliminaire des conteurs relève du même procédé que la précaution des copistes médiévaux. Le moine irlandais Aèd mac Grimhthainn conclut ainsi sa transcription du cycle de la Branche Rouge : “ Bénis soient tous ceux qui garderont fidèlement ce poème en mémoire dans sa teneur présente et n’y ajouteront rien de leur façon ! Mais moi, Aèd mac Grimhthainn, abbé de Tir da Ghlas sur le Shannon, qui ai copié cette histoire ou pour mieux dire : fable, je n’ajoute pas foi à certaines parties de cette histoire ou fable. Car certaines ici sont des prestiges envoyés par le démon, certaines des fictions poétiques, certaines ont l’air vrai, certaines, non, et certaines inventées pour divertir les insensés ” (2).

    Sous des apparences parfois facétieuses, les contes placent l’auditeur face au mystère. Énigme, secret, question… Le conteur ne révèle que ce qui est nécessaire à la compréhension de l’histoire au premier degré.

    Mais l’énigme peut être résolue, le secret peut être dévoilé et la réponse peut être apportée à la question. Le raisonnement logique aide à résoudre l’énigme tandis que l’intuition et l’analogie percent le secret. Mais que l’une ou l’autre méthode soit de mise, il convient préalablement de s’interroger.

    Le conte pour enfant est susceptible d’intéresser des adultes curieux qui s’amusent de ces détails innombrables : chiffres, couleurs, paroles, gestes, etc.

    La clé du mystère ouvre le pays inconnu et le passeur de mémoire en joue sciemment pour amener son auditoire à douter puis à se perdre pour enfin obtenir le fin mot de l’histoire.

    Cette pédagogie du secret suppose une complicité entre celui qui dit et celui qui écoute… Une complicité malheureusement contrariée si le verbe se fige par écrit, si le conteur invente une histoire ex-nihilo, si le lecteur ne possède ni les connaissances ni la curiosité pour trouver son chemin dans le fatras des balivernes… Ainsi que le répète Albert Poulain, l’invétéré “ contou de Piperia ”, il n’est pas possible de faire boire un cheval qui n’a pas soif tout comme on ne ramène pas à l’écurie un cheval échappé dans le pré en faisant claquer le fouet. C’est donc au maître de cérémonie de captiver son auditoire, de le mener là où il doit aller : au bout du conte, à son enseignement !

    Pour ce faire, il faut soigner la forme et le fonds pour divertir et pour intriguer.

    Le mystère valorise le conte et fascine l’auditeur. La soif de connaissance aiguisée, le conteur prend le temps de semer les indices avant de conclure.

    Ce sens du secret inhérent au conte traditionnel se différencie toutefois d’un quelconque occultisme car tout un chacun peut s’approprier sa vérité. Il n’y a nulle initiation requise, il faut seulement faire preuve de sagacité pour pénètrer au pays des contes. “ Récit d’aventures imaginaires et histoire mensongère ”, le conte traditionnel n’a d’imaginaire et de mensonger que ce qu’on veut bien lui prêter d’irréel et de faux !

    C’est à la fin du dix-huitième siècle que ces “ histoires mensongères ” suscitent l’intérêt de savants en quête d’authenticité. James Mac Pherson ouvre la voie en 1760 avec “ Ossian ”, suivent les “ Minstrelsy of the Scottish Border ” de Walter Scott en 1802-1803, les “ Kinder und Hausmärchen ” des frères Jacob et Wilhelm Grimm en 1812, le “ Kalevala ” finlandais d’Elias Lönnrot en 1835, le “ Barzaz Breiz ” du vicomte Hersart de la Villemarqué en 1839… Toute l’Europe se pique de Tradition orale. Les journaux emboîtent le pas aux libraires-éditeurs. Émile Souvestre collabore à la “ Revue des Deux-Mondes ” en 1834 avant de rassembler quelques années plus tard ses contes et légendes dans “ Le Foyer Breton ”. En 1857, le “ Courrier du Morbihan ” publie en feuilleton des contes et chansons populaires collectés par le docteur Alfred Fouquet. En 1864, Ludovic Hamon lance à Rennes “ Le Conteur Breton ”, un hebdomadaire pour l’édification de la jeunesse qui paraîtra jusqu’en 1867 ! La même année, sort la version définitive du “ Barzaz Breiz ” et commence une polémique sur son authenticité. Les chants populaires bretons seraient trop beaux pour être vrais… Il faudra un siècle jusqu’à la découverte en 1964 des carnets de collecte du vicomte de La Villemarqué pour dissiper le doute et réhabiliter le gentilhomme cornouaillais. Mais l’attaque lancée par l’archiviste de Quimper Le Men et relayée par François-Marie Luzel pose implicitement la bonne question : la tradition populaire peut-elle rivaliser avec les salons littéraires ?

    Poser la question introduit un doute qui n’a pourtant pas lieu d’être. L’origine paysanne des “ gwerziou ” publiés par Theodore Hersart de la Villemarqué atteste de la beauté intrinsèque des chants, contes et légendes d’un peuple supposé illettré et fanatique au lendemain de la Révolution française. Le procès littéraire fait aux premiers “ antiquaires ” bretons par les partisans d’une transcription brute des textes dénote plus d’une rivalité idéologique que d’une querelle scientifique. Outre le “ Barzaz Breiz ”, les premières publications d’Elvire de Preissac, comtesse de Cerny, dans le “ Moniteur des villes et des campagnes ” apportent bien innocemment la preuve de ce faux procès. Publiés dès 1849, soit huit ans avant les premiers textes de François-Marie Luzel, les contes d’Elvire de Cerny témoignent de cette “ vérité objective ” que les Modernes du dix-neuvième siècle déniaient pourtant à leurs Anciens. En 1899 Paul Sébillot reconnaît ainsi à la comtesse “ le mérite d’avoir eu l’intuition de la littérature orale, dans un temps où les bons modèles faisaient défaut ”.

    Suspects de s’intéresser à ces traditions populaires, suspects d’avoir donné le coup de pouce à la forme et au fond de ces contes paysans, les esprits libres et curieux, qui dérogeaient au mépris académique à l’égard de la Tradition orale, ont été régulièrement mis au ban de la bonne société savante. Il suffit de rappeler l’ostracisme dont ont été frappés, jusqu’au milieu du vingtième siècle, les travaux d’Arnold Van Gennep, d’Henri Dontenville, de Pierre Saintyves et de nombreux autres buissonniers pour comprendre que le conte n’a pendant longtemps eu droit qu’à la soupe du pauvre. Contentons-nous donc de cette “ pauvre ” mixture mais goûtons-y avec plaisir et intelligence car les légumes du jardin et les os à moelle ont leurs habitudes dans le chaudron populaire. Osons penser que le conte n’est ni imaginaire, ni mensonger. Osons lire entre les lignes. Osons comprendre la raison de notre rire, ce rire qui effraie tant la raison.

    Les contes traditionnels sont populaires et leurs héros des philosophes du bocage et de la forêt. Derrière la haie d’aubépine, dans le cercle des hêtres, il y a de quoi dire et entendre. Les contes appris de bouche à oreille transmettent une pratique culturelle et conservent une cosmologie sacrée. Le conte introduit à la philosophie et au mystère… Il instruit et il interroge. Il est beaucoup plus qu’une mythologie édulcorée. Il est cousu du fil blanc des gardiens de la Tradition, des gardiens qui n’ont pas l’âge de leur sagesse. François Marquer avait treize ans lorsqu’il a transmis l’histoire de Norouâs à Paul Sébillot, Marc’harit Fulup 49 ans quand elle a chanté “ Une princesse et sa servante ” à François-Marie Luzel. Mais quel âge avait donc le père Marmet quand il a sorti de sa besace “ Le rouet enchanté ” à Adolphe Orain ?

    N’est-ce pas dans les contes paysans, les contes du pays qu’il faudrait aller chercher le savoir et la sagesse des temps anciens ? Certes nous relevons l’empreinte pernicieuse du temps dans les histoires colportées de génération en génération mais nous constatons aussi que des croyances antiques traversent les siècles et les millénaires : la gwerz de Dom Derrien suit la voie lactée, le chemin des âmes vers l’Autre Monde que les anciens Celtes qualifiaient de “ Belca Unidas Boucas ”, littéralement “ la piste de la vache blanche ”… De la “ hent sant Jakez ”, le chemin breton de saint Jacques de Compostelle à la giclée de lait de l’Inde védique, il n’y a qu’un pas… Un premier pas qu’il ne faut pas hésiter à franchir pour regarder l’envers du miroir !

    La lecture des contes populaires, que ce soient ceux restitués par Anatole Le Braz ou François Cadic, que ce soient ceux collectés dans le pays vannetais par Ernest Laurens de La Barre au dix-neuvième siècle ou dans le pays de Guérande par Fernand Guériff au vingtième siècle, tous ces contes conservent en mémoire des archaïsmes culturels que le christianisme ne peut seul expliquer.

    Jusqu’à la Réforme du seizième siècle qui élimina les reliques trop flagrantes d’un paganisme tenace, l’église catholique avait dû composer avec les croyances antiques pour s’imposer durablement dans les campagnes. Les contes prolongent cette double empreinte. Ils témoignent d’une Bretagne des saints et des pardons, des pèlerinages équinoxiaux et des feux solsticiaux. “ Il ne s’agit pas ici de se demander en quoi le christianisme est lui-même une mythologie mais il s’agit plutôt de définir les cadres mythologiques pré-chrétiens totalement extérieurs à la Bible, dans lesquels le christianisme s’est inséré et qu’il a fait travailler à son profit. Il existe en effet, à la périphérie du christianisme biblique, une mémoire archaïque de traditions, de superstitions et de légendes qui constituent une authentique mythologie et qui ne possèdent aucune justification biblique. Au Moyen Âge, ces rites et ces croyances constituaient le langage naturel d’un peuple qui ne lisait pas la Bible. Ils lui servaient de cadre pour penser le monde et le sacré. L’essentiel de cette matière mythique provenait en fait de la mémoire “ sauvage ” des peuples européens et put s’incorporer, grâce à l’Église, à la lettre et à l’esprit de la Bible ” (3). Nous faisons nôtre cette analyse de Philippe Walter pour appréhender la Tradition orale. À l'instar du calendrier où cohabitent et interfèrent les fêtes chrétiennes et païennes, les contes populaires véhiculent le compromis de la doctrine et de la coutume.

    Il ne fait pas de doute que le conte transporte à son insu une histoire plus ancienne. Peut-on parler de substrats mythologiques celtiques dans les contes de Bretagne ? Si l’origine strictement historique d’un grand nombre de contes populaires n’est plus aujourd’hui défendue par les philologues et les mythologues, une cosmologie préchrétienne transparaît dans leur trame.

     

    S’il est vrai que les généraux victorieux écrivent l’histoire de leurs conquêtes, les peuples vaincus perpétuent oralement leurs traditions… Les Bretons romanisés et christianisés ont ainsi transposé leurs croyances dans les contes et les fables transmis au coin du feu, transportés au fil des siècles jusqu’au naufrage de la société rurale au vingtième siècle. Le schéma tripartite que Georges Dumézil a si parfaitement identifié dans les mythes indo-européens apparaît naturellement dans ce corpus populaire, notamment dans le Norouâs de Paul Sébillot. La serviette magique qui apporte l’abondance, symbole évident de la fonction productrice (le tiers-état des agriculteurs et des artisans), le bâton comme symbole de la fonction héroïque (les guerriers), la monture solaire incarnant la première fonction sacerdotale (les prêtres)… Les trois talismans magiques de Norouâs correspondent à s’y méprendre aux trois fonctions primitives de la société indo-européenne à laquelle participe le monde celtique.

    La Bretagne des contes populaires ne saurait par conséquent être limitée à cette province déshéritée que les voyageurs du dix-neuvième siècle ont traversée et commenté avec nostalgie et tristesse. Les folkloristes nous renvoient à une histoire plus ancienne, à une protohistoire celtique. La critique pourrait arguer que le symbolisme celtique de ces contes bretons est une vue de l’esprit tout comme les romanistes persistent à ne pas connaître les origines insulaires de la matière arthurienne.

    Si la Bretagne est aujourd’hui rivée au vieux continent, il n’en a pas toujours été ainsi. Il n’y a pas ici à débattre de l’histoire de la Bretagne. Léon Fleuriot a, me semble-t-il, établi avec suffisamment d’autorité le rôle de l’émigration bretonne depuis la préhistoire dans les origines de la Bretagne : “ Dans l’Antiquité, les deux rives de la Manche participaient à une même civilisation. Cette mer n’était pas plus un fossé que la mer Egée, et il a fallu une ignorance singulière des choses de la mer pour voir dans un chenal aussi étroit un obstacle, alors qu’il était un lien ” (4).

    Ce particularisme celtique ne suppose pas un isolement de la Bretagne. Le territoire des contes est ouvert, l’héritage est continental, les héros bretons cousinent avec les Berrichons ou les Pictons. La Marie du “ Rouet enchanté ” appartient à la même lignée que “ la Belle au bois dormant ” de Charles Perrault. Cette parenté au-delà des siècles et des territoires ouvre bien des perspectives. Le conte populaire pourrait demain obtenir ses lettres de noblesse… Albert Poulain n’a quant à lui pas attendu de lettre de crédit pour courir la haute Bretagne, pour entendre des uns et redire aux autres le merveilleux du pays des contes ! À la manière des archéologues, il gratte délicatement les mots pour exhumer le mythe en arrière-plan. “ L’oiset de vérité ” que nous chante le compère de Piperia, assurément “ imaginaire et mensonger ”, recèle alors bien des surprises.

    Entre la fable et l’épopée, le conte populaire fonde et affirme l’originalité d’une Tradition. Il se rapporte à un arbre cosmique dont il n’est qu’une branche. Le conte, moyen de transmission culturelle, a résisté jusqu’à ce jour aux modes et aux dogmes parce qu’il a paradoxalement été perçu comme imaginaire et mensonger, parce que les docteurs lui ont nié tout intérêt religieux et politique, parce qu’il était réputé populaire et inoffensif.

    Le génie du conte est encore de renaître enfant, de reprendre le chemin des écoliers, skol al louarn, “ l’école du renard ”, pour fabuler et goûter une sagesse ébouriffée. Il était une fois… Il est une fois. Il sera.

     

     

     

    NOTES

    1) André Langaney, La philosophie biologique, éditions Belin, 1999.

    2) Roger Chauviré, La geste de la Branche Rouge, Librairie de France, Paris, 1929.

    3) Philippe Walter, Mythologie chrétienne, rites et mythes du Moyen Age, éditions Entente, 1992.

    4) Léon Fleuriot, Les origines de la Bretagne, 1980, Payot.



    articles de presse

    « Sous ce beau titre, Bernard Rio présente et commente avec finesse quinze contes bretons. Il entraîne ainsi le lecteur aux côtés du « pêcheur de Concoret », des « lavandières de nuit », du « lièvre sorcier », de « l’oiseau de vérité » et de bien d’autres créatures dont le nom seul est déjà une invitation au rêve, une incitation à passer de l’autre côté du miroir. Car, Bernard Rio le sait bien, les passerelles entre le visible et l’invisible sont nombreuses, dans sa Bretagne encore plus, sans doute, qu’ailleurs. Lui qui a consacré plusieurs ouvrages aux traditions populaires, à l’imaginaire, à ce patrimoine si précieux qu’est la culture d’un peuple, il prolonge sa queste en nous montrant quelles clefs utiliser pour entrer dans le monde des conteurs. « Les contes traditionnels, écrit-il, sont populaires et leur héros des philosophes du bocage et de la forêt. Derrière la haie d’aubépine, dans le cercle des hêtres, il y a de quoi dire et entendre. Les contes appris de bouche à oreille transmettent une pratique culturelle et conservent une cosmologie sacrée. Le conte introduit à la philosophie et au mystère… Il instruit et il interroge. Il est  beaucoup plus qu’une mythologie édulcorée. Il est cousu du fil blanc des gardiens de la tradition, des gardiens qui n’ont pas l’âge de leur sagesse ».

    Ces »veilleurs de mémoire » reprennent à leur compte l’antique mission de ces pédagogues et guides spirituels qu’étaient les druides. Le livre de Bernard Rio est certes de ces ouvrages dont on déguste avec gourmandise la saveur. Mais il est aussi beaucoup plus : il est un guide sûr pour le cheminement des jeunes (ou moins jeunes) âmes ». - décembre 2004