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Bernard Rio - Page 12

  • A cor et à cri

    À Cast, près de Châteaulin, on a élevé un fabuleux calvaire à saint Hubert, patron des chasseurs. Et la Bretagne, c’est aussi le royaume des chiens : chiens d’arrêt, chiens courants, chiens d’eau, chiens de sang, chiens de terrier… Ils courent, ils lèvent, ils arrêtent, ils rapportent, ils déterrent. Chasser sans chien est chose impensable au pays de l’épagneul breton et du fauve de Bretagne. Envol imprévisible de la discrète bécasse, veille silencieuse au gabion dans la nuit d’hiver, battue bruyante au sanglier, courses éperdues dans les cris des chiens à lapin ou à lièvre… Bertrand Rio connaît bien son terroir et son monde, il nous fait vivre en fin conteur toutes les façons de chasser en Bretagne et ajoute à la chasse une dimension culturelle inédite.

    Sul éditions, format ebook

  • Libre journal des cultures et de l'exploration

    Bernard Rio est l'invité de l'émission « Le libre journal des cultures et de l’exploration » de Radio Courtoisie animée par Hervé Archambeau et Pascal Maurer, pour parler de son livre « Sur les chemins des pardons et pèlerinages en Bretagne ». Cette émission sera diffusée le jeudi 31 mars  à 12 heures et à 16 heures. Participe également à cette émission Pierre-Yves Le Priol, auteur de « En route vers Chartres – Dans les pas de Charles Péguy » également édité au Passeur Éditeur.

  • Article sur les chemins des pardons et pèlerinages en Bretagne

    Un long et bon article consacré aux "chemins des pardons et pèlerinages en Bretagne" à paraître le 27 février, signé Anne Bernet, dans l'Homme nouveau.

     

    Et pour les habitants de Brest et des environs, une conférence sur "le cul bénit : amour sacré et passions profanes" prévue le 8 mars à 14 h 30 organisée par l'UTL de Saint-Renan, espace culturel, place Guyader à Saint-Renan

  • Parutions février 2016

    Deux livres désormais épuisés dans leur édition originale viennent d'être réédités dans de nouvelles versions revues et augmentées au format numérique. En vente sur amazon au format kindle.

     

    A cor et à cri, chasses armoricaines

    Cast, près de Châteaulin, on a élevé un fabuleux calvaire à saint Hubert, patron des chasseurs. Et la Bretagne, c’est aussi le royaume des chiens : chiens d’arrêt, chiens courants, chiens d’eau, chiens de sang, chiens de terrier… Ils courent, ils lèvent, ils arrêtent, ils rapportent, ils déterrent. Chasser sans chien est chose impensable au pays de l’épagneul breton et du fauve de Bretagne. Envol imprévisible de la discrète bécasse, veille silencieuse au gabion dans la nuit d’hiver, battue bruyante au sanglier, courses éperdues dans les cris des chiens à lapin ou à lièvre… Bertrand Rio connaît bien son terroir et son monde, il nous fait vivre en fin conteur toutes les façons de chasser en Bretagne et ajoute à la chasse une dimension culturelle inédite.

    Au delà du cercle arctique

    Le texte de Bernard Rio est un hommage au travail de Jean-Claude Meslé, photographe qui rapporte la poésie nue de la vie animale dans les terres ingrates du Grand Nord. Le texte de Bernard Rio décile notre regard sur les mystères du Septentrion, nous initie à une forme de pensée sauvage. Avec lui, changer nos destinations fait prendre - aimablement - le risque de changer sinon de destin, du moins les coordonnées de notre intelligence du monde. Aujourd'hui, la tentation du plus grand nombre n'est plus à l'exploration. Le voyage a changé de nature. Peut-on expliquer à l'adepte du trop méridional qu'il existe une position debout, une faculté de marcher, une vertu du froid, un désir de solitude ? Jean-Claude Meslé appartient à ce genre peu commun d'homme se levant avant le jour, allant à l'envers du temps et de ses tentations. Le suivre, c'est apprendre le monde hors des pistes tracées par les bonimenteurs, c'est commencer par explorer son jardin, c'est accepter de découvrir par soi-même son chemin pour aller au bout du monde, au pays de ses rêves ! Son lieu ? Le Grand Nord. Là, il n'est pas dans l'idée. Il est dans l'image. Il est une sensation. Il entrebâille un territoire peu hospitalier, et donc peu habité, ayant conservé une faune et une flore sauvages, site de migration de nombreux oiseaux et de quelques naturalistes peu frileux...

  • Historia et le cul bénit

    Parution le 1er février dans le magazine Historia d'un article de quatre pages consacré aux dessous érotiques des chapelles bretonnes en référence au livre le Cul Bénit.

  • Actualités 2016

    Conférences Rencontres Entretiens Signatures

    Dimanche 10 janvier : Histoire et renaissance du tro Breiz, pélerinage millénaire sur les traces des sept saints fondateurs de Bretagne, 14 h 30, Université du Temps Libre du pays de Rennes , hôtel Anne de Bretagne, 12 rue de Tronjolly à Rennes (35)

    La Bretagne est le pays des pardons. Depuis des temps immémoriaux, chaque année, les hommes se rassemblent autour des milliers de chapelles qui maillent le paysage. Ils y célèbrent des saints légendaires dotés de pouvoirs mystérieux. Le pardon breton est une manifestation cultuelle unique en Europe qui mélange la fête religieuse et la foire profane. La Bretagne célèbre aussi ses saints fondateurs lors qu’un pélerinage annuel : le Tro Breiz, littéralement le “tour de Bretagne”.  Le pélerinage aux sept saints de Bretagne, communément appelé le Tro Breiz, remonte au moyen âge. Il relie les sept villes épiscopales de la Bretagne médiévale où sont honorés les saints fondateurs : Paul-Aurélien à Saint-Pol-de-Léon, Tugdual à Tréguier, Brieux à Saint-Brieuc, Malo à Saint-Malo, Samson à Dol-de-Bretagne, Patern à Vannes, Corentin à Quimper. Depuis 1994, l’Association des Chemins du Tro Breiz organise chaque été une marche annuelle suivie par plusieurs milliers de personnes. En 2015, 1500 Trobreiziens ont relié Vannes à Quimper. En 2016, les pèlerins marcheront entre Quimper et saint-Pol de Léon. Depuis 2014, l’association des chemins du Tro Breiz a élargi le pèlerinage aux marcheurs individuels en balisant un itinéraire permanent et en éditant un guide pratique de randonnée permettant à chacun de “faire son Tro Breiz” seul, avec des amis ou en famille, tout au long de l’année.

     

  • Alain Daniélou et la divine fantaisie

    Les éditions l'Age d'Homme ont réédité les mémoires d'Alain Daniélou "Le chemin du labyrinthe" en octobre 2015.

    Alain Daniélou et la divine fantaisie

    Bernard Rio

    9 juillet 1937 : « Les pèlerinages aux Indes ressemblent aux « pardons » bretons. Sous les mêmes petites tentes de toile on vend des sucreries et de menus objets : des bracelets d’argent, des poteries, mais surtout des pointes de flèches. Cela fait une curieuse impression d’être devant le simple étalage de ces objets ethnographiques, de se trouver dans un vrai village préhistorique et de sentir le peu de différence qui existe entre nous et nos lointains ancêtres, de les trouver aimables, élégants et en somme fort civilisés » (1).

    Cette référence à la Bretagne est une des mentions d’Alain Daniélou à son pays natal. Cette note de voyage est révélatrice d’une appartenance ou plutôt d’une influence originelle, sorte d’atavisme commun aux poètes et voyageurs. Dans une thèse consacrée aux quatre écrivains voyageurs que furent Victor Segalen, Michel Leiris, Nicolas Bouvier et Alain Daniélou, l’universitaire Anne Prunet souligne l’importance de «la question de l’origine» chez ces auteurs partis à la recherche et ayant trouvé «l’essence de l’existence» à l’autre bout du monde. «Cette recherche du plus ancien tend à inverser l’axe du voyage : de spatial, il devient temporel.» souligne Anne Prunet dans sa thèse de littérature soutenue en 2007 à Paris 8 Vincennes Saint-Denis (2).

    Aujourd’hui la place du rêve et de la découverte est réduite à la portion congrue dans le « planning » des voyageurs qui partent bardés de cartes et de technologie pour ne pas perdre de temps et surtout pour ne pas se perdre. Le voyage ne peut être une aventure si l’homme ne s’affranchit pas des peurs multiples contre lesquelles il s’assure et se vaccine, inexorablement assujetti aux contraintes matérielles d’une vie balisée, aseptisée et confortable. Depuis 1937, les conditions d’un voyage en Inde ont changé, mais les enjeux restent les mêmes. Apprendre la liberté, n’est-ce pas d’abord sortir du droit chemin, bousculer les règles établies, quitter la case où les autres vous contraignent et vous conditionnent ? Sans demander la permission paternelle et la bénédiction maternelle, Alain Daniélou (1907-1994) a quitté le vieux continent européen, entre les deux grandes guerres civiles européennes, pour expérimenter sa vie, comprendre le monde hors des frontières et au-delà des idées reçues. La nature curieuse et insoumise d’Alain Daniélou était en effet incompatible avec la société à laquelle il était censé appartenir. Son arrière-grand-père, Jean-Pierre Daniélou (1798-1864), notaire à Locronan fut maire républicain de Douarnenez, en 1848, charge qu’occupa ensuite de 1884 à 1888 son grand-père, le radical Eugène Daniélou (1834-1897). Son père Charles Daniélou (1878-1953) fut quant à lui maire de Locronan, député du Finistère de 1910 à 1914 puis de 1919 à 1936, et plusieurs fois ministre du cartel des gauches, dans les cabinets Camille Chautemps (1 930), Théodore Steeg (1930-1931), Édouard Daladier (1932-1933). Si la lignée paternelle était laïque et républicaine, il en était autrement de la branche maternelle. Sa mère, Madeleine Daniélou (1880-1956) était issue d’une vieille famille catholique britto-normande, les Clamorgan d’une part et les Cuzon du Rest d’autre part. Elle fonda en 1911 une congrégation apostolique de femmes consacrées, la « communauté Saint-François-Xavier », puis en 1913 le « collège Sainte-Marie de Neuilly », premier lycée de France où les jeunes filles pouvaient passer un baccalauréat classique. Avec sa mère Madeleine dont le nom a été donné à une place de Neuilly inaugurée le 8 juillet 2010, et qui l’avait banni de la maison familiale en raison de ses « mauvaises » fréquentations, Alain Daniélou a pris ses distances dès l’adolescence. « Elle poussait jusqu’à l’héroïsme, jusqu’à l’inhumanité, la logique de sa foi, souvent contre sa propre nature. Elle fut certainement une sainte femme. Ce qu’elle fut pour moi est autre chose. Elle appartenait à un monde de croyances et d’idées qui n’était pas celui auquel j’étais destiné. En ce sens, elle me rendit certainement un grand service en me libérant du monde où j’étais né » (3).

    Il n’y avait pas de place dans le cœur de cette dame pieuse pour ce fils artiste et homosexuel. Alain Daniélou a compris que Dieu avait l’exclusivité de l’amour maternel. Son père semblait certes plus indulgent, mais la vie politique ne lui laissait guère de temps pour nouer des liens avec ses enfants. « Il ne reprocha jamais ni mes goûts ni mes ambitions et chercha même parfois à m’aider en secret. J’eus finalement l’impression qu’au fond il me comprenait mais je n’eus avec lui que des relations incertaines et indirectes » (4). Un père politique, qui titillait aussi la muse à ses heures perdues, une mère cléricale qui consacra sa vie à l’enseignement et écrivit des ouvrages d’éducation chrétienne… Alain Daniélou fut également, mais à sa manière, c’est-à-dire non conformiste, un homme de lettres. Dès son enfance, il perçoit la rigidité sociale et morale de la bourgeoisie… Jean son frère aîné deviendra cardinal, lui sera artiste. Il lui appartient de chercher la clef du monde hors du cercle familial… « Tu reconnaîtras la vérité de ton chemin à ce qu’il te rend heureux ». Cette citation d’Aristote placée en exergue de son autobiographie, « le chemin du labyrinthe », correspond à la pensée et à la voie empruntée toute sa vie et avec constance par Alain Daniélou. « Je n’ai jamais cherché à devenir quelque chose et quelqu’un. Je me suis donné totalement aux présents les plus divers, aux activités les plus hétéroclites. Pourtant, il me semble aujourd’hui que le destin m’attendait à chaque tournant, qu’il s’est servi de moi et m’a mené à jouer un certain rôle sans que j’aie jamais ni voulu ni choisi. La diversité même de mes intérêts, l’absence complète d’ambition et d’attaches, de recherche d’une carrière, d’une place conventionnelle dans la société étaient les conditions mêmes qui devaient me permettre d’être une sorte de lien entre deux civilisations. Ma nature me rendait apte à ce rôle ; était-ce un hasard ou bien la prévoyance des dieux qui font de nous ce qui leur plaît. La liberté pour chacun d’être ce qu’il est, le droit de vivre et de penser à l’encontre des conventions, est, selon les hindous, à la base de tout progrès humain individuel ou collectif » (5). C’est en effet un chemin peu ordinaire que ce jeune homme de « bonne famille » a suivi, de Neuilly jusqu’à Locronan, et de Kaboul à Bénarès. Dans le Paris de la fin des années vingt, ses affinités électives ont pour nom Max Jacob, Maurice Sachs, André Gide, Marc Allegret, Jean Marais, Reynaldo Hahn, Henry Sauguet, Nicolas Nabokov, Francis Poulenc, Georges-Henry Rivière, Pierre Gaxotte, Jean Renoir, etc. Alain Daniélou pratique alors la danse, « une façon de vivre la musique ». Il suit les cours de Légat, le maître de Nijinsky, et devient le partenaire de la ballerine Floria Capsali sur la scène du Palais d’été de Bruxelles… La vie parisienne est une fortune et une Bohême où le plaisir est le maître mot. Les rencontres d’Alain Daniélou sont éclectiques et nombre de ses amis deviendront ensuite des célébrités. L’autobiographie d’Alain Daniélou regorge d’ailleurs d’anecdotes sur ces années folles, ainsi à propos de Max Jacob : « Tout ce monde travaillait beaucoup mais sans se prendre au sérieux. On s’amusait, on recherchait le saugrenu, on était libre des conventions. Je me sentais tout à coup à l’aise dans un milieu où personne ne me semblait hostile. Max Jacob était un homme délicieux, d’une incohérence désarmante, tout était pour lui une sorte de jeu ; la religion, la passion, la poésie, la vie, la peinture. Max, qui s’était converti au catholicisme, comme Maurice Sachs, une mode lancée par Mauriac, était très pieux le matin. Il se lamentait d’être un pauvre pècheur et allait très tôt se confesser à l’église, puis, au cours du jour, il se laissait influencer par le démon. Il s’envoyait lui-même des télégrammes et recevait le télégraphiste dans sa baignoire pour tenter de le séduire. Il prétendait être amoureux d’un cul-de-jatte. Il me donna quelques dessins et même, bien qu’il fût pauvre et avare, me prêta dans les moments de crise quelques deniers, sans espoir de retour. Je le voyais souvent et lui fis aussi parfois des visites, en été, sur la plage de Tréboul près de Douarnenez. » (6) Mais, les voyages en Orient mettent un terme à sa carrière de danseur et l’éloignent de ses amitiés parisiennes dont il conservera toutefois le fil et qu’il retrouvera trente ans plus tard à son retour en Occident.

    Avant l’Inde, c’est l’Afghanistan en avril 1932 qui est la destination d’Alain Daniélou et de son ami Raymond Burnier. Un choix dû à une invitation, celle de son ami Zaher, le fils de l’ambassadeur d’Afghanistan à Paris Nadir Shah, avec lequel il partageait ses vacances à Locronan ! Ce premier voyage qui s’aventura au Kafiristan, le « pays des infidèles » converti de force à l’Islam vingt ans plus tôt, en 1912, et qui fut l’objet d’une exposition photographique organisée par Henry-Georges Rivière au Musée de l’Homme à Paris, fut surtout une rupture avec l’Europe… Il annonçait la découverte de l’Inde en 1933, autre voyage préliminaire avant le grand départ. Et l’issue de cette circumambulation autour du monde préfigurait une autre vie. À Paris, l’artifice lui saute aux yeux. : « Au fond, pour les étrangers que nous sommes devenus, cette vie occidentale semble hostile et superficielle ; et quand le soleil se lève embrumé sur la verte forêt des avenues désertes, nous sentons un obscur désir de choses lointaines. Quand repartons-nous ? » (7).

    L’Afrique, l’Amérique, l’Asie… À chaque escale, Alain Daniélou ne se comporte pas comme un touriste. Le voyageur devient témoin et s’insurge. « La grande affaire sera, tout au long de ce voyage, la défense des cultures traditionnelles contre le colonialisme ravageur dont cette époque est marquée », explique Jacques Cloarec, qui fut secrétaire d’Alain Daniélou de 1964 à sa mort, et qui dirige actuellement sa fondation basée en Suisse. Parce qu’en 1927 Aristide Briand était Ministre des Affaires étrangères, parce que Charles Daniélou était son ami et adjoint, parce que l’ambassadeur Nadir préparait son coup d’état pour devenir roi d’Afghanistan et qu’il demanda au directeur de cabinet de prendre en charge son fils pendant l’été… à Locronan ! Voilà donc, cinq ans plus tard, Alain Daniélou débarquant en Orient ! Il n’y a pas d’imprévu, il n’y a pas de hasard ! Les dieux si chers à Alain Daniélou avaient organisé la rencontre avec Zaher, lui offrant ensuite la possibilité de partir et de réaliser un autre destin que celui imaginé par Madeleine Daniélou. « Le temps n’est qu’une illusion, une apparente succession de moments au cours d’un voyage que font les êtres dans l’éternel présent, à certains instants passés ou futurs ; puis nous nous en éloignons à nouveau. Notre destin est-il prévu, est-il prévisible ? Nous le sentons vaguement et pourtant si nous renversons la marche du temps, si nous suivons notre évolution de la vieillesse jusqu’à l’enfance, bien des choses s’éclairent, s’expliquent, deviennent logiques, se coordonnent. Le hasard, l’imprévu s’effacent. L’enfance est le résultat de l’âge mûr, l’aboutissement du futur. Ce n’est pas une prédestination, c’est simplement la réalisation d’une réalité fondamentale de la nature du monde. Le temps n’est qu’une illusion. Tous les moments de la vie coexistent dans le substrat divin et merveilleux de l’éternité » (8). Cette conception de la vie formulée par Alain Daniélou en 1981 donne du sens à cet enchaînement de rencontres et de faits qui maillent la destinée. Les vacances bretonnes de Zaher ouvraient la porte des Indes à Alain Daniélou. Et quelle porte ! Celle du temple de Shiva, de la musique sacrée, de la spiritualité… Invité à l’émission télévisée « Apostrophes » par Bernard Pivot le 9 octobre 1981, il expliqua a posteriori que sa rencontre avec l’Inde ne fut nullement préméditée, ce qu’il confirma dans un entretien au Figaro (9) « Bénarès, la cité des sages nus : les écrivains et leur pays d’élection », 10 juillet 1987 : « Je ne m’étais jamais intéressé à l’Inde ni à ce qu’on appelle la spiritualité, fût-elle occidentale ou orientale. Je me méfie des religions, des tabous, des morales restrictives et aussi du goût de l’occulte. Je n’ai jamais cherché un substitut à la religion du monde où j’étais né et dont j’avais expérimenté avec amertume la tyrannie ». C’est sans doute parce qu’il était dépourvu de préjugés que le jeune Alain Daniélou « sympathisa » naturellement avec cette terre et cette culture, ces hommes et ces concepts si étrangers au manichéisme de son enfance. Le voyageur se démarque alors des Occidentaux qu’ils soient de passage ou en poste dans les « colonies ». On peut également souscrire à la thèse d’Anne Prunet qui met en parrallèle la terre natale et la terre d’élection, et interprète le voyage comme une tentative de combler un manque originel. «Les terres d’élection se font écho de la souveraineté des cultures. L’écriture portant en palimpseste les langues des pays d’élection comme la langue d’origine, faisant entendre ces voix multiples au sein d’une voix, est un témoignage du dynamisme des langue dans une littérature-monde, où l’écrivain, en tant qu’individu cherche sa voie – à moins qu’il ne s’agisse de sa voix ?» (10) Pour comprendre l’Inde, ce ne sont pas les hôtels, les ambassades et les clubs qu’Alain Daniélou doit fréquenter, ce n’est pas l’anglais qu’il doit pratiquer mais l’hindi et le sanskrit. Le musicien devient musicologue, le danseur devient philosophe, le Breton se mue en défenseur d’une culture opprimée par le colon anglais. Il découvre la liberté de penser, fréquente Gandhi, Nehru et sa fille Indira, Vijaya Lakshmi (la soeur de Nehru). Mais, davantage que la politique, c’est la culture qui l’attire. Le voilà proche de Rabindranath Tagore, prix Nobel de Littérature dont son amie Christine Bossennec deviendra la secrétaire et traductrice, du musicien Shivendranath Basu, et surtout de Vijayanand Tripathi dont il devient l’élève à Bénarès. « Il connaissait en dehors de la philosophie classique, des rites et de l’interprétation des textes, les aspects les plus secrets des doctrines tantriques et des pratiques du yoga. En public, il expliquait les épisodes et le sens caché du célèbre Ramayana en langue hindi du grand poète Tulsi Das. J’ai trouvé dans cet austère lettré un esprit totalement libre avec qui on pouvait parler de sacrifices humains, d’omophagie, de rites érotiques, mais aussi de l’origine du langage, de la cosmologie et des théories indiennes sur la nature du monde, de l’atome, de l’espace et du temps » (11).

    En Inde, Alain Daniélou ne se comporte pas comme un touriste insouciant et badin, fut-il curieux et cultivé. Il pose ses valises à Bénarès. Il apprend la langue, il écoute et il devient le témoin d’une civilisation qui le submerge et le subjugue. Né hors de l’Inde, il est un « mleccha », c’est-à-dire un barbare assimilé aux plus basses castes, ce qui de facto lui interdit d’entrer chez les brahmanes et de réciter les textes sacrés des Védas, mais ce qui ne l’exclut pas de l’enseignement traditionnel. Vijayanand Tripathi lui permet d’ailleurs de rencontrer Swami Karpâtri. « Ce moine lettré était un homme petit et mince, vêtu d’un seul morceau d’étoffe couleur safran. Il semblait frileux et frêle, ne voyageait qu’à pied et parcourait pourtant de très longues distances. il était considéré comme le chef spirituel de l’Inde du Nord. Il refusait tout honneur mais c’était lui qui désignait les shankarâchâryas, les quatre moines qui sont les chefs spirituels de l’hindouisme » (12).

    La rencontre avec ce brahmane errant correspond sans doute au basculement irréversible d’Alain Daniélou dans la pensée orientale. Le moment est alors venu de devenir ce qu’il est. Alain Daniélou ne peut plus mentir à lui lui-même. Il est confronté à sa réalité, à sa vérité, à son destin. « J’ai eu un certain mal à m’habituer à l’étrange phénomène d’être en présence de quelqu’un qui sait ce que l’on pense, ce que l’on est, devant qui tout mensonge est impossible, toute excuse inutile » (13). L’Européen se dépouille de ses préjugés. Il se met à nu et devient une exception. Swami Karpâtri l’initie aux rites shivaïtes. Alain Daniélou et Raymond Burnier ont été les deux premiers non-indiens dont les noms figurent dans les registres du grand temple de Bhubanesvar, le Linga Râja où sont recensées les personnes ayant le droit de vénérer l’image de Shiva. « Ce dieu était bien celui que je cherchais obscurément et pressentais depuis mon enfance » (l4).

    La vie prenait une dimension infinie. Alain Daniélou était devenu Shiva Sharan, « le protégé de Shiva ». Son intelligence a été d’intégrer la civilisation hindoue sans en devenir le prosélyte, ce qui aurait été un contresens. Alain Daniélou s’est défini d’ailleurs comme un témoin, conservant son libre arbitre et son esprit critique autant à l’égard des Occidentaux que des Orientaux. Il n’a ainsi aucune complaisance à l’égard de ce qu’il appelle « l’industrie du tourisme spirituel ». « Il n’existe rien dans l’hindouisme traditionnel qui corresponde à ce que l’on appelle aujourd’hui un ashram. le mot « ashram » qui signifie « lieu de repos », devrait se traduire maintenant « lieu de rassemblement pseudo-spirituel pour déséquilibrés occidentaux en mal d’exotisme… On ne saurait être trop prudent en ce qui concerne le tourisme mystique et les ashrams pour étrangers. ces entreprises à base strictement commerciale utilisent des méthodes très subtiles et dangereuses de lavage de cerveaux » (15).

    Alain Daniélou vit en Inde et pense comme un hindou. Il ne se considère pas non plus comme un indianiste, et n’a nulle envie de convertir quiconque à son style de vie… C’est néanmoins le plus célèbre des indianistes français, l’universitaire Louis Renou (1896-1966), professeur à la Sorbonne et à l’École pratique des hautes études, qui va l’encourager à transmettre ses connaissances. Il faut attendre 1960, et le retour en France, pour qu’Alain Daniélou se mette à l’ouvrage. Les dieux ne lui avaient-ils pas adressé un signe ? « Je m’étais installé à Bénarès et intégré à un mode de vie qui semblait devoir durer toujours. Toutefois, depuis quelque temps, le Gange qui baignait les pieds de la maison s’en était écarté, laissant un banc de sable, et cela m’avait inquiété. C’était une sorte d’indice ; le fleuve sacré s’éloignait de moi. Je n’avais donc qu’à obéir. Mais c’est avec une nostalgie profonde que je suis parti vers une autre vie, préférant ne pas regarder en arrière ni conserver de liens. Une rupture aussi profonde ne permet pas de retour » (16). Après « un Breton en Inde », c’est le tour d’« un Hindou à Paris », deuxième acte d’une vie qui transforme l’esthète en écrivain. Philosophie, religion, musique, architecture… traductions, expositions, concerts… Alain Daniélou multiplie les entrées et les champs d’investigation afin de transmettre un mode de penser, expliquer les subtilités de la métaphysique et de la cosmologie de « la seule des grandes civilisations du monde antique qui ait survécu ». Son travail salué par les indianistes Louis Renou et Jean Varenne a néanmoins subi la critique, mais Alain Daniélou ne cherchait pas la reconnaissance. Son but était autre que « scientifique ». « Tout savoir, toute pensée organisée, l’étude de n’importe quelle question passaient désormais pour moi, plus ou moins consciemment, par le filtre des six méthodes dont les conclusions souvent contradictoires permettent une approche équilibrée des problèmes. Ces méthodes que les hindous appellent des « points de vue » (darshana) sont la cosmologie proprement dite le « mesurable » (sâmkhya) qui replace toute question dans le cadre des structures universelles ou macrocosme, le yoga qui l’envisage par rapport à l’univers intérieur de l’homme ou micorcosme, les « rites » (mîmânsa) qui permettent d’expérimenter les liens entre l’humain et le surnaturel, la métaphysique (védanta) qui s’intéresse au monde surprasensible et invisible. Le vaishéshika, l’approche expérimentale ou scientifique, par contre, est concernée par le monde tel qu’il est perçu par les sens, tandis que la logique (nyaya) permet d’établir les correspondances. À ceci s’ajoute l’étude de la nature du langage (vyâkarana), instrument approximatif de formulation et de communication de l’expérience des sens qui permet aussi de cerner les contours de la pensée, mais dont il faut comprendre les limites afin de prendre des mots pour des idées » (17).

    Le fin connaisseur de l’Inde obtient ses lettres de créance par l’Unesco (Anthologie de la musique classique de l’Inde, 1 962), puis le prix Unesco de la musique en 1981, est couronné par l’Académie française (Histoire de l’Inde, 1 971) et accumule les distinctions tant en Inde qu’en France, en Allemagne ou en Italie… Alain Daniélou fait certes figure d’intellectuel, mais si ces ouvrages ont remporté un tel succès et sont réédités depuis quarante ans, n’est-ce pas que le lecteur y retrouve la vitalité d’un auteur original et multiple. « Pour moi, la recherche des valeurs spirituelles n'est pas séparée de la vie quotidienne, de l’humour, du plaisir de vivre. Je n’ai jamais eu un corps et une âme séparés » (18). Le savoir est, selon Alain Daniélou, un sacerdoce, un héritage qu’on a le devoir de développer et de transmettre… avec sagesse. « Il est des formes de savoir qu’il n’est pas bon de transmettre à des êtres ambitieux et irresponsables » (19). En étudiant et en interprétant la civilisation indienne, Alain Daniélou a finalement approché l’universel, jeté un pont entre les traditions de l’âge du Fer, entre les Upanishad et les Mabinogion, entre l’Orient et l’Occident. «Les sources religieuses de l’Europe sont les mêmes que celles de l’Inde et nous n’en avons perdu la trace qu’à une époque relativement récente. La légende selon laquelle Dionysos avait séjourné en Inde est une allusion à l’identité de son culte avec la religion indienne. La redécouverte, à l’orée du XXe siècle, de la civilisation crétoise, heureuse et pacifique, et de sa religion, si proche du Shivaïsme, qui apparaît comme une prémonition des civilisations occidentales, peut être considérée comme une prémonition, un retour à ce que Toynbee appelle une vraie religion » (20). Cette exploration heureuse qu’il a menée dans « Shiva et Dionysos », est qualifiée de « continuum » par Anne Prunet. «L’appréhension du monde se fait chez Daniélou par différents moyens d’expression : musique, danse, arts plastiques, écriture convergent pour permettre à l’homme de saisir le monde, sur un plan intellectuel comme sensoriel. Alain Daniélou, plus qu’un spécialiste cantonné à un seul domaine d’étude est un ouvreur de porte. Son rôle de passeur entre Orient et Occident témoigne de cette volonté d’esquisser des pistes, d’ébaucher des chemins dans lesquels d’autres s’aventureront peut-être plus avant» (21.

    À lire et à relire Alain Daniélou, on se prend à réinterpréter les rites et mystères qui nimbent la culture bretonne, par exemple ces sacrifices de barbes et de cheveux au pardon de Saint-Nicodème à Pluméliau ou de Notre-Dame de Quelven à Guern… rites connus et toujours pratiqués en Inde, un exemple parmi tant d’autres qui maillent et ensemencent une civilisation à l’extrême Occident. La Bretagne a sans doute un enseignement à prendre pour se réapproprier sa nature originelle : « C’est dans l’amour de l’œuvre divine, de la beauté des corps, et dans l’intensité du bonheur et du plaisir que l’on est le plus proche de l’état divin » (22)

    Bernard Rio

    Musicologie

    Alain Daniélou est également connu comme musicologue. Il est l’inventeur de «Semantic», un appareil pour jouer de la musique indienne avec 36 notes à l’octave. Outre ses travaux sur les musiques de l’Inde, couronnés par l’Unesco, il a dirigé l’école de musique de Rabindranath Tagore à Shantiniketan, l’Institut international d’études comparatives de la musique à Berlin en 1963 puis l’institut de musique de Venise en 1971.

    Bibliographie

    Alain Daniélou est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages (essais et fictions) et d’une dizaine de traductions de textes hindous. Son œuvre est traduite en anglais, espagnol, italien, allemand, portugais, japonais, hindi, etc. Le catalogue des œuvres d’Alain Daniélou, a fait l’objet d’une publication sous le titre « Le parcours multiple », édité par le Centre Alain Daniélou, Zagarolo, Rome, 2004 Publication d’une lettre trimestrielle téléchargeable sur le site internet : www.alaindanielou.org Anne Prunet : « Poétiques du voyage au vingtième siècle », Astrolabe N°14, juillet 2007, CRLV, Paris IV-Sorbonne; « Victor Segalen et Alain Daniélou : palimpseste littéraire : entre terre natale et terre d’élection», colloque international : « Dynamisme linguistique et souveraineté des cultures, Tunis, 15-17 avril 2010, actes à paraître, Institut Supérieur des Langues de Tunis, Edition Imprimerie Nationale Tunisienne. Sur la famille d’Alain Daniélou : « Charles Daniélou, 1878-1953 : Itinéraire politique d’un Finistérien », Patrick Gourlay, Presses Universitaires de Rennes, 1996 « Madeleine Daniélou », Blandine-D. Berger, éditions Le Cerf 2002

    Notes

    Les références et citations présentées dans cet article sont extraites des ouvrages suivants :

    « Le tour du monde en 1936 », Alain Daniélou, éditions Flammarion 1987, réédition Le Rocher 2007

    « Le chemin du labyrinthe, souvenirs d’Orient et d’Occident », éditions Robert Laffont 1981, réédition Le Rocher 1993, nouvelle édition l'Age d'Homme 2015;

    « Les quatre sens de la vie », éditions Le Rocher, 2000

    « Shiva et Dionysos », éditions Fayard, 1 979 Notes (suite)

    1-7) Alain Daniélou «Le tour du monde en 1936». éditions Flammarion 1987

    2-21) Anne Prunet « Poétiques du voyage au vingtième siècle », 2007, CRLV, Paris IV-Sorbonne

    3-4-5-6-8-11-12-13-14-15-16-17-18-19) Alain Daniélou «Le chemin du labyrinthe» souvenirs d’Orient et d’Occident », éditions Robert Laffont 1981, réédition L'Age d'Homme 2015;

    9) « Bénarès, la cité des sages nus : les écrivains et leur pays d’élection », Le Figaro, 10 juillet 1987

    10) Anne Prunet « Victor Segalen et Alain Daniélou : palimpseste littéraire : entre terre natale et terre d’élection», colloque international : « Dynamisme linguistique et souveraineté des cultures, Tunis, 15-17 avril 2010 20-22) Alain Daniélou « Shiva et Dionysos », éditions Fayard, 1979

  • Le cul bénit sur France 3

    L'église et les audaces érotiques en terre bretonne

    Par Jean-Michel Ogier @Culturebox Rédacteur en chef adjoint de Culturebox

    Publié le 14/10/2015 à 18H48

    Un kaléidoscope de sculptures évocatrices en terre bretonne

    Un kaléidoscope de sculptures évocatrices en terre bretonne

     © France 3 / Culturebox

    Introvertis, pudibonds. Certains clichés qui collent aux Bretons ont la vie dure. Et pourtant, le patrimoine religieux de la Bretagne regorge de représentations sexuelles plus ou moins cachées. Bernard Rio les a débusquées et rassemblées dans un livre au titre évocateur : "Le cul bénit liaisons sacrées et passions profanes". Suite de la série réalisée par France 3 Bretagne sur ce thème.

    Accrochez-vous bien car ce qui suit va certainement vous amener à regarder certains monuments du patrimoine breton d'un autre oeil.

    Des scènes du "Kamasutra breton"

    Bernard Rio est historien et, à ce titre, il a parcouru les chemins bretons et poussé bon nombre de portes d'églises et de ce fait a recensé "les scènes licencieuses que l'on trouve dans les chapelles en Bretagne, et aussi dans les monuments mégalithiques".

    Des scènes qui remontent... à la préhistoire, au néolithique, sur les dolmens décorés de seins et de sexes dressés en menhirs puis à la période gauloise, celtique, gothique et jusqu'au XVIIIe siècle". Et là qu'a découvert Bernard Rio ? Des représentations inscrites dans la pierre comme pour l'éternité de "fellations, coïts, sodomie" et, précise-t-il, "des scènes encore plus grivoises (sic) comme le lèche-cul, le pète-en-gueule, le souffle-à-cul. Bref une sorte de Kamasutra breton !".

    L'historien n'y voit pas "le péché qu'il ne faudrait pas commettre mais des scènes pour montrer la vie telle qu'elle est, avec les rites de fertilité et de fécondité pratiqués en Bretagne". Ce n'est pas une particularité bretonne prévient Bernard Rio car ces scènes sont présentes dans toute l'Europe du Sud y compris en Espagne et en Irlande pays très catholiques. Ce qui fait la spécificité bretonne c'est la mutliplication de ces scènes avec l'idée que la nature est sacrée et que l'homme va adorer le côté sacré de cette nature féconde et fertile.

    L'érotique devient scandaleux

    La Bretagne n'échappera pas au tournant puritain du XIXe siècle, dans la foulée de la Révolution Française. Le clergé local qui était jusqu'alors plutôt tolérant va resserrer les vis et devenir répressif. "L'érotique va devenir scandaleux", "on va masquer les fesses, buriner les pénis" .

    Reportage : Karine Cevaër, Christophe Rousseau, Ludovic Decarsin, Pascal Coulombier  
     
    La vague de puritanisme a conduit à la destruction de nombreuses sculptures, trop immorales. La chapelle de Saint-Laurent du Pouldour a même été détruite entièrement car les villageois venaient y pratiquer des rites de fécondité et différents jeux érotiques. Il reste néanmoins de nombreuses sculptures et autres représentations "osées" dans toute la Bretagne, comme cette sculpture en bois dans l'église du Croisty.
    Sculpture homme phallus Eglise du Croisty
    © France 3 / Culturebox


    "le cul bénit, amour sacré et passions profanes" de Bernard Rio
    © DR

    "Le cul bénit , Liaisons sacrées et passions profanes". Bernard Rio, novembre 2013, coop Breizh, 25€
     
  • Chemins de Bretagne

    Chemins de Bretagne, ouvrage de Bernard Rio, publié initialement sous le titre "la Bretagne des chemins creux" en 2005, est désormais disponible au format kindle sur amazon.

    Introduction :

    Un jour de juin, au détour d’un chemin pentu à Langolen, dans un rai de lumière abrupte, une vipère péliade attendait un campagnol à déjeuner. Un autre jour printanier, marchant vers le Bois-Jahan, à Barbechat c’est une salamandre qui s’apprêtait à surmonter un talus. Chemin faisant la liste des rencontres impromptues est longue, du capucin fébrile au lucane cerf-volant, il y a foule à fréquenter les anciennes voies. J'y bonjoure toujours à l’improviste car aucun rendez-vous n’a raison de mon allure aléatoire. Je ne présume ni de l’importance ni de la nécessité d’un chemin car je ne sais à l’avance ce qu’il me réserve. D’autre part je n’aime ni la moyenne horaire ni la performance kilométrique et il m’arrive souvent de traîner et de me détourner d’une ligne trop droite. La sinuosité pourrait être ma règle de passant dans les creux du paysage. Une règle coutumière dans les chemins d’aventure et d’exception sur les voies ordinaires.

    Le chemin ordinaire ne voit pas où il va quand bien même il annonce ses destinations sur des panneaux à géométrie invariable. C’est le chemin qui aboutit à sa fin, à un nul part institutionnel où il faudrait débarquer puisqu’enfin arrivé. Son objet est de ramener le vagabond dans le monde auquel il aurait tenté de se soustraire. C’est le chemin qui tire un trait de A à Z, linéaire et normalisé, gravillonné et enrobé, le chemin d’exploitation de ceux qui prétendent savoir où ils vont.

    Le chemin aventureux sait où il mène même quand aucune borne ne balise ses carrefours. C’est le chemin qui vire sans cesse, croise et décroise les filets d’eau, s’ébouriffe de scolopendres, se luxure de digitales. C’est le chemin qui va au-delà des apparences et des stationnements finaux. Son objet est la contrebande des âmes. L’emprunter c’est méconnaître son point d’arrivée car chaque pas dévide la quenouille de la vie et chaque instant s’atourne d’une approximative immortalité.

    Il existe ainsi deux sortes de chemin pour marcher. Le chemin ordinaire pour filer droit par temps d’azur et le chemin d’aventure pour se défiler aux quatre saisons, se tordre l’esprit autant que les chevilles, patauger après le passage d’accortes bouseuses, se priver de soleil et oublier le vent pour enfin bailler son droit de passage en jurant que ce n’est plus possible de se fier à une carte innommable.

    Il y a deux chemins celui qui va et celui qui ne va pas, celui qui s’ennuie et celui qui s’enfuit. Pour se perdre en chemin, il ne faut pas faire semblant de marcher. C’est une question d’habitude. Par habitude, j’entends un hasard mâtiné d’instinct un jour où cela se peut que j’aille là où je ne m’y attendais pas et que je me pose ici bas où le bon dieu a permis que j’arrive. C’est simple comme bonjour et mauvais jour, il y a deux sortes de pays, deux sortes de chemins, deux sortes de marches, deux sortes de saisons, deux sortes de sorties mais mille ou une seule chance de se découvrir un instant à mi-voie.

    Pour suivre un chemin d’aventure, je mets un pied devant l’autre et je me laisse le temps de faire mon chemin. Dans notre civilisation de l’autoroute et de la climatisation, j’ai dû apprendre à marcher pour m’en aller dans le monde grouillant et fourmillant. J’ai dû apprivoiser mon pas de marcheur afin d’entendre le pouls du monde où je cheminais.

    La marche peut-elle s’apparenter à une écriture ? Le chemin suivrait-il, serait-il une ligne ? Tandis que j’écris ces mots, mon esprit vagabonde déjà dehors et lorsque je marche ma pensée trotte à vive allure. Toute chose imprévisible que j’entrevois et que je surprends amène une idée et un plaisir tout aussi fugitifs.

    Après que le soleil ait pulvérisé la rosée du matin, après avoir abandonné l’idée que je me faisais de l’itinéraire, il advient qu’une vipère péliade, qu’une salamandre, qu’un lièvre, qu’un lucane, qu’un geai, qu’un écureuil me tirent leur révérence pas plus étonnés que cela de m’apercevoir l’œil rond et la bouche bée au détour du talus moussu. C’est signe que j’ai trouvé ma voie, que je suis au milieu. D’ordinaire les créatures sauvages fuient l’homme. Ce serait donc que je me serais ensauvagé en si bon chemin !

    Libre de passage et perdu pour l’autoroute ! C’est alors que le chemin devient mon livre pratique, ma bibliothèque, mon université. C’est alors que je fête les anniversaires à répétition : le fusain en janvier, l’hépatique en février, le pissenlit en mars, l’ortie blanche en avril, l’iris jaune en mai, la fléole des prés en juin, l’armoise en juillet, la myrtille en août, la vipérine en septembre, la châtaigne en octobre, l’ellébore en novembre, le houx en décembre…

    Les occasions de faire rouler les cailloux entre deux talus ne manquent jamais et la demoiselle quiètement posée sur la queue d’une fougère aigle ne me démentira pas. Le spectacle est immanent au cheminement. Jamais le même, toujours couru. Hier soir, un pigeon a croisé un renard. Il ne reste que les plumes du ramier pour imaginer le dialogue animal au coin du bois. Une bande d’amanites tue-mouche encercle un bouleau, hommage lige des féodaux écarlates au blanc seigneur…

    Il y a ce que je vois, ce que j’entends… Il y a ces odeurs et ces couleurs… Il y a dans les chemins d’aventure le présent tissant, ruisselant, bondissant, chantant, crissant, exaltant et parfois une page qui se tourne, un temps qui reflue, une image qui remonte à la surface, un réveil mystérieux, un frisson dans le dos, une bouffée de papier chiffon, un éclis de lumière qu’un invisible bûcheron a projeté en abattant l’arbre de votre raison déjà vacillante. Une conjonction hasardeuse d’instants et d’éléments exhume une cohorte des mailles de l’histoire. Le marcheur se trouve là et c’est à cause de ses pensées incontrôlables que le spectacle recommence.

    Quel besoin avons-nous de penser en marchant ? Une idée qui vire dans la tête et clip clap action. Cinquante ans, cinq cents ans plus tard, voilà le temps qui décoiffe les errants. Vous êtes là et vous voyez, vous entendez, vous sentez ce que vous n’imagiez plus. Dans cette saignée de terre engoncée dans les chênes et les houx, à Kermané au-dessus de Loc’h d’Auray, j’ouvre les yeux et les oreilles. Les gars de Joseph Cadoudal, d’Yves Le Thiais, de Jean Rohu montent à Lann-er-Rheu. Nous sommes au matin du 21 juin 1815 et les soldats de Napoléon vont connaître leur Waterloo breton. Dans le chemin d’aventure, je suis les traces des chouans et des faulx-saulniers, des pèlerins montois et des jacquets, des noces et des enterrements, des prêtres et des hérétiques, des écoliers et des renards. Tous sont un jour passés par là ! Honoré de Balzac a mis ses pas dans ceux de François-René de Chateaubriand sur les chemins de Marigny, le savait-il… L’a-t-il croisé en rêve sur le chemin de La Gélinais ?

    Inutile d’aller en si bon chemin et de songer à y revenir en se disant que c’est le jour J. Il n’y a pas plus de J que de K. Ce qui est vu aujourd’hui tient du miracle. Et l’éphémère traverse le sentier comme un pic-vert à tire d’aile. Il n’y a pas de bis repetita. Je passe mon chemin et vous laisse le vôtre. Il est l’outil du rêve, la pensée gyrovague.

    La vérité du chemin s’épanouit dans le souvenir. Elle ne se fait valoir qu’au recommencement d’une marche sur un autre chemin perdu, un autre jour inattendu.

    Il y a deux sortes de chemin, mais si d’aventure je ne suis pas d’humeur, je tourne en rond en me disant que ce n’est peut-être pas le jour de pérégriner. Je crains de revenir à mon point de départ sans exclamation, sans interrogation, les souliers à peine poussiéreux, l’esprit raide comme un i, insensible au chant d’un je ne sais quoi d’emplumé, jusqu’à ce que l’égosillement de l’accenteur mouchet atténue la déception. Ce matin-là, je ne vaux pas la peine du vieux chemin, lequel a plus d’honneur que le marcheur dépassé par l’espoir de ce qui ne pouvait être ni perçu ni entraperçu. Il y a deux sortes de chemin, un ordinaire pour se déplacer, un d’aventure pour je ne sais toujours pas quoi ni où et comment ! Les questions gravitent entre deux talus et il me faut aller pour dénicher l’unique réponse à mon brouhaha.

  • De la source à l'estuaire

    Une nouvelle édition de "Rivières de Bretagne" parue en 2006 est désormais disponible au format kindle sur amazon. 

    Sommaire

    Introduction : Les couleurs de la rivière

    Aller à la source : Bénie soit la pluie – La chance de la Bretagne – Et le druide fit le saumon – Les saints bretons veillent sur les fontaines – Une mémoire très ancienne – Savoir lire une rivière – Le retour du père Castor - Un chien d’eau sur la lande

    Eaux rapide : Éloge du courant – De l’impétuosité de la crue – A chaque espèce sa vitesse – Au pêcheur à la mouche Salut l’Artiste – La pêche comme une parabole - Trio de truites - La chênaie hêtraie – Salicylique : Du saule à l’aspirine  - Les oiseaux des berges – Le saumon royal

    Eaux lentes : L’art du méandre – Les tracés se modifient – Le jaune des eaux calmes – Au domaine de l’anguille -Volatile et volubile, l’hirondelle - Du bras mort à la forêt humide – Les poissons de l’eau lente : Indigènes et immigrés - La végétation du frai - Vol au-dessus d’un nid d’amour : les libellules - Moulins, meuniers et meunières

    Vallées inondables - Hautes eaux dans les basses terres – Le vertige de la crue – Hommage à la clandestine - Petites bêtes du bord de l’eau - Le brochet, un chasseur menacé - Le sursis de l’eau

    Estuaires : À propos d’un mouvement – Le mélange des eaux – Le bar monte avec le flot – Le barrage d’Arzal - Bouchon vaseux - L’anguille aux œufs d’or - Oiseaux d’eau - Du sel et du sédiment

    Bibliographie

    Index des espèces citées

     

    Introduction : Les couleurs de la rivière

    Pêcheurs, mariniers, éclusiers, meuniers… Il y a un certain nombre de personnes qui ne peuvent se passer de la rivière pour vivre et travailler. Il y a aussi des dilettantes qui vont et viennent au bord de l’eau sans aucune raison que le plaisir vagabond.C’est mon cas. La rivière a toujours fait partie de mon paysage où que j’aille et quoi que je fasse de mes journées. Je me promène et je me nourris de réflexions au fil du Blavet, du Scorff, de l’Oust, de la Vilaine, de la Loire… Rivières de mon enfance et de mon environnement immédiat. Ce livre rassemble des observations de passant, des impressions et des épisodes éparpillés dans le temps et la Bretagne. Je me suis souvenu en l’écrivant de personnes qui m’ont appris à lire la rivière.C’est à elles que je dois quelques-uns des moments et des idées qui jalonnent ces digressions de la source à l’estuaire, qui ponctuent chacun des états de la rivière : jaillissante à la source, intrépide à ses débuts, apaisée dans les méandres de la vallée, exploratrice des basses terres à la fin de l’hiver et finalement unie à l’immensité pour une danse maritale et maritime.

    Lorsque Jean-Louis Lemoigne m’a montré les images de ses propres déambulations fluviatiles, j’ai compris que la rivière, à laquelle nous nous référons tous les deux, illustrait un monde sauvage. J’ai alors perçu une distinction non plus entre les hommes qui œuvraient avec la rivière et ceux qui en tiraient une jouissance intellectuelle, mais entre les personnes qui ne pouvaient se soustraire de la nature et celles qui le pouvaient. Ainsi donc j’ai trouvé l’explication à l’inexplicable enfermement de la Loire et comblement de l’Erdre à Nantes ou de la Marle àVannes. Il y a des hommes qui peuvent s’affranchir du cours de l’eau jusqu’à l’effacer de leur paysage.

    J’admets que je me plais à voir l’eau couler sous les ponts, à l’entendre et à la suivre.Je crois davantage à la vertu d’une bergeronnette qu’à un niveau de vie bitumée.Le disant, je justifie mes écarts de pensée et je vais tenter de brosser un tableau de ces rivières sauvages en rappelant des souvenirs personnels, en citant des acteurs et des témoins de ces courants transarmoricains : des hommes bien entendu mais aussi des insectes, des oiseaux, des poissons, des reptiles, des mammifères, des plantes et des arbres dont le parti pris n’est pas moins fiable que mes dissidences.

    La réalité de la rivière n’est pas due à un regard univoque.Elle est composée de multiples facettes perçues en des milliers de lieux par des milliers d’yeux.Rien n’est moins vrai que la vitesse du courant dans le bouillonnement d’une cascade.Rien n’est moins intangible que la limpidité de l’eau car le monde aquatique fluctue en permanence. Pourtant l’eau peut être cristalline un instant pour se teinter de bleu, de jaune, de rouge, de noir l’instant suivant.Les couleurs de la rivière ne sont néanmoins jamais primaires et jamais homogènes. Avant, pendant, après une pluie, l’eau courante se nuance des couleurs du ciel et de la terre.

    La rivière ensemencée de particules ne ressemble plus à l’onde migratrice qui précède l’orage.Elle n’est plus tout à fait la même.Tandis que je m’abrite sous le chêne courtisan, j’assiste à sa métamorphose.Les gouttes de pluie qui explosent à la surface ne produisent pas le même effet que les eaux pluvieuses qui ruissellent et gonflent son cours.Le voile d’un nuage et l’ombre portée des arbres à la réapparition du soleil forment des contrastes saisissants mais éphémères.

    Chaque rivière que je fréquente possède sa gamme de coloris.Et chacune s’apprête dans un ton différent pour surprendre mon regard à chacune de mes approches.Le peintre et le pêcheur cernent le mieux ce jeu subtil puisqu’ils visent, tous deux, à en capter les secrets colorés et empoissonnés en déployant les artifices de leurs propres palettes : pinceaux et lignes, tubes et mouches de couleur.

    Définir la rivière, c’est esquisser une esthétique qui ne saurait être que personnelle.Rien ne saurait être moins juste puisque vu à la façon de chacun, dans l’incertitude d’un instant. L’eau boueuse de la Sèvre nantaise en crue ne ressemble aucunement à une autre eau boueuse.Ce n’est pas le même ocre que le pisé argileux de la Vilaine qui dévale à Folleux. À la fonte des neiges de février dernier, les eaux de Corlay reflétaient un éclat gris opaque tandis que je notais, le jour même et à moins de dix kilomètres de distance, un vert blanchâtre dans le cours du Daoulas.

    L’effet du soleil n’est pas moins troublant qu’une averse de pluie ou de neige. De prime abord, une eau estivale apparaît claire. Le pêcheur et le baigneur en voient si bien le fond que le moindre geste éloigne les truites qui se remisent sous les rochers. Cette eau rafraîchissante étincelle d’or et d’argent et nos yeux pareillement éblouis ne peuvent déceler immédiatement l’enluminure. Pour que la transparence de la rivière devienne évidente, il faut qu’un nuage blanchisse le ciel, alors seulement le cristal de l’eau s’épure de la blondeur solaire.

    Les couleurs d’une rivière dépendent de la lumière du jour : un ciel uniformément gris ou bleu ne rehausse pas les courants et n’éclaire pas les trous d’eau comme un ciel bigarré et traversé de cirrus peut le faire.

    Avant que le soleil se lève, lorsque la brume flotte sur l’eau, la rivière s’écoule sans reflet et sans éclat, paraphée par l’heure encore bleuie de la nuit.Elle n’est pas encore sortie des limbes mais déjà un concert d’invisibles oiseaux annonce l’incandescence du jour. Les ombres lentement s’effacent dans le décor aquarellé des balsamines et des sureaux, la rivière emmitouflée de verdure attend le jour pour s’habiller des couleurs du temps qu’il fait.Son monde s’accorde avec elle : la grenouille dans les herbes, la libellule dans l’air, le martin-pêcheur sur la branche, le saumon dans les rapides, le brochet embusqué dans les roseaux.Et l’homme sur son chemin, pointant le bout de ses souliers ou levant les yeux au ciel, cherchant ce qu’il ne trouve pas en ville, trouvant ce qu’il ne cherchait pas : son ego dans le courant de la vie.